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Liban - La situation

L’option Aoun : motifs et limites

L'urgence d'élire un président de la République avant les législatives, bien qu'ayant réintégré le discours politique, n'aura conduit, pour l'instant, qu'à une énième évaluation des chances des deux principaux candidats en lice.

Le député Sleiman Frangié avait à plus d'une occasion assuré qu'il ne bloquerait pas le scrutin si la course tournait à l'avantage de son rival, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le général Michel Aoun. Pour l'heure, le député de Zghorta continue de bénéficier de l'appui du bloc du Futur, « tant qu'il n'a pas décidé lui-même de retirer sa candidature », assurent à L'Orient-Le Jour les milieux du courant du Futur.

L'affirmation du ministre de la Justice Achraf Rifi, au lendemain des municipales de Tripoli, « sur base d'informations », que « le député Frangié ne sera pas élu », ne serait « pas suffisante pour décréter officiellement la fin de sa candidature », estime un responsable du courant du Futur. Il rapporte néanmoins qu'une partie de ce mouvement préconiserait actuellement un retour aux sources du 14 Mars, qui se matérialiserait idéalement par un abandon des « appuis arbitraires aux candidatures de Michel Aoun et Sleiman Frangié ».
Les propos controversés du ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk sur la genèse du compromis Frangié iraient à contre-courant de cette tendance : M. Machnouk défendrait un autre avis au sein du courant du Futur, contesté par une partie du bloc, qui consiste à renoncer à la candidature de M. Frangié, mais au profit du général Aoun, rapporte à L'OLJ une source du bloc du Futur, critique à l'égard de cette option.

(Lire aussi : Berry : Une nouvelle loi électorale ou la colère de la rue)

 

« L'optimisme pragmatique » de Aoun
Ces informations rejoignent la lecture que fait à L'OLJ l'ancien ministre Sélim Jreissati, proche du général Aoun. « Optimiste », pour ce qui est des chances d'une élection du chef du bloc du Changement et de la Réforme, il fait une lecture « pragmatique, non triomphaliste », de la situation. Les données qu'il retient sont les suivantes : « Tous ont compris que la crise politique et institutionnelle s'est doublée d'une crise économique et financière aggravée par les sanctions américaines contre le Hezbollah, en plus de la crise sociale liée à la présence massive de déplacés syriens ; la crise a fragmenté les rouages du système, dont les municipales ont révélé les défaillances et les faiblesses structurelles, notamment celles des partis politiques et de leurs rapports respectifs. » Ces données auraient alimenté une conviction « interne, mais aussi régionale et occidentale », de trouver une solution au Liban, et surtout de comprendre que « le déblocage se situe au niveau de la présidentielle », explique M. Jreissati.

Afin d'expliquer ce changement de priorité chez le bloc aouniste (qui entendait mener les législatives avant la présidentielle), il précise que l'élection d'un nouveau Parlement, « qui doit impérativement recouvrer sa légitimité », est « bloquée structurellement au niveau de la loi électorale ». « La seule issue qu'il reste donc à la crise est la tenue de la présidentielle, qui aboutira à la formation d'un gouvernement de consensus fonctionnel et à la tenue des législatives avant juin 2017 », dit-il, certain que la présidentielle doit faciliter l'élaboration d'une nouvelle loi électorale.
Force est de relever néanmoins la tendance actuelle des milieux politiques à renvoyer au chef du Rassemblement démocratique, le député Walid Joumblatt, la responsabilité du blocage d'une nouvelle loi électorale, une tendance qui trahirait une volonté générale non déclarée de revenir éventuellement à la loi de 1960.

Il reste que la décrépitude générale ainsi décrite, jointe aux développements régionaux, aurait convaincu, selon M. Jreissati, les acteurs internes, régionaux (y compris iraniens, assure-t-il) et occidentaux (notamment français, selon lui), de la nécessité de résoudre la crise, « le plus facile étant de le faire d'abord par le biais de la présidentielle ». Et plus encore, en élisant le général Michel Aoun à la Magistrature suprême. L'intérêt serait « la marge de manœuvre dont ce dernier dispose », qui lui permet d'une part de « tranquilliser le Hezbollah au moment de son retour de Syrie » et de l'autre de rassurer Saad Hariri. M. Jreissati révèle sur ce dernier point que le général Aoun est résolu à former « un gouvernement présidé par Saad Hariri ou par une personne que ce dernier désignerait – étant, il me semble, peu enclin à présider le gouvernement ». Il s'engagerait en outre à « se porter garant de Taëf », ajoute-t-il en réponse à une question. L'élection de Michel Aoun serait, en somme, le produit d'une « victoire du pragmatisme politique ».

C'est ce « pragmatisme » qui aurait motivé les récents propos de Nouhad Machnouk et ceux de Walid Joumblatt sur sa disposition à élire Michel Aoun, « une disposition qui est également celle, non déclarée, du président de la Chambre » (ce qui reste à vérifier, puisque l'hostilité de Nabih Berry à l'égard de M. Aoun est un secret de polichinelle). Ces développements feraient suite, toujours selon M. Jreissati, à une position de l'Élysée, favorable à Michel Aoun, que le président français aurait communiquée à Saad Hariri (cette position de l'Élysée n'est présumée jusqu'à l'heure que par les milieux du 8 Mars). À cela s'ajouterait une « volonté iranienne de déblocage », les développements en Syrie, en faveur de la Russie et de l'Iran, étant un motif de déblocage pour Téhéran. C'est dans ce contexte qu'il situe, enfin, la visite hier de l'ancien Premier ministre Nagib Mikati à l'ambassadeur d'Arabie saoudite, Ali Awad Assiri.

Pourtant, M. Jreissati s'abstient de se prononcer directement sur l'avis du Hezbollah sur la question. « Je ne peux imaginer un instant qu'à la lumière des développements dans la région, le Hezbollah puisse contredire ce mouvement important pour une sortie de crise au Liban en faveur de son candidat unique », dit M. Jreissati, en voyant d'un bon œil le mutisme du parti chiite à cet égard.

Pour ce qui est du courant du Futur, l'ancien ministre dément qu'il y ait « des échanges directs bilatéraux » avec le CPL sur cette option. Il place toutefois Saad Hariri devant l'alternative suivante : « Optera-t-il pour la modération dans le sens de la cohésion nationale, qui est le legs véritable de Rafic Hariri, ou bien haussera-t-il le ton contre nous et contre la solution de déblocage, aux seules fins de contrecarrer Achraf Rifi et les dissidences internes de son parti ? »


(Lire aussi : Ingérences saoudiennes : pour Assiri, les propos de Machnouk sont "injustifiables")

 

Forte opposition au sein du bloc du Futur
Les milieux du bloc du Futur qui s'opposent à l'élection du général Aoun sont toutefois confiants que Saad Hariri ne choisira pas d'appuyer Michel Aoun, et cela pour plusieurs raisons. D'abord, le cas contraire conduira les députés dissidents du bloc du Futur à se rendre à la séance électorale « par respect du pacte national », mais à s'abstenir de voter pour Michel Aoun. « Cela risque de provoquer un profond schisme au sein du bloc du Futur, que Saad Hariri entend éviter », explique un député réfractaire à l'option Aoun. Il précise en outre que les avancées des Russes et des Iraniens en Syrie conduisent les seconds à retarder la résolution de la crise, et non l'inverse. Et cela, « même le CPL le sait », dit-il, rapportant la teneur d'une conversation, en commissions parlementaires, entre les députés Ibrahim Kanaan et Georges Adwan, dont la teneur est que « le Hezbollah ne veut pas la tenue de la présidentielle et a intérêt à maintenir le blocage institutionnel ».

Ce qui aurait motivé la prise de position de Nouhad Machnouk serait, selon le député rapportant les explications du ministre lui-même, « une tentative de jeter un pavé dans la mare, alors que la situation était stagnante ». En renvoyant par ailleurs à l'Arabie saoudite la responsabilité des concessions politiques du courant du Futur depuis les accords de Doha, il aurait tenté d'inciter l'Arabie, par un effet inverse, de revenir sur sa décision de se retirer du Liban. Cette version des faits ne convainc cependant pas les membres du bloc du Futur, critiques à l'égard de M. Machnouk et qui limitent ses propos à « sa rivalité avec Achraf Rifi » et ses velléités d'accéder à la présidence du Conseil en contrepartie de l'élection de Michel Aoun. La déclaration du député Ammar Houry selon lesquels les propos de M. Machnouk ne sont pas représentatifs du bloc du Futur prouvent d'abord que ces propos n'ont pas été coordonnés avec Saad Hariri, et surtout que ce dernier n'entend pas y souscrire, au risque de « commettre un suicide politique », selon la source citée. De même, l'ambassadeur d'Arabie, au lendemain de sa rencontre avec M. Machnouk, a tenu à faire le distinguo entre ce dernier et Saad Hariri, en précisant que les propos du ministre ne reflètent que sa position personnelle.


(Pour mémoire : À quel jeu joue donc Nouhad Machnouk ?)

 

Pharaon à Meerab
Au milieu des tensions provoquées par la nouvelle hypothèse en vertu de laquelle Michel Aoun pourrait retrouver le chemin de Baabda, le député Michel Pharaon s'est rendu hier à Meerab. À l'issue de son entretien avec le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, il a estimé que « la candidature de Aoun bénéficie d'une légitimité chrétienne qu'il faudrait examiner, en trouvant les garanties nécessaires pour toutes les parties ». Prié de préciser la portée de ses propos, M. Pharaon explique à L'OLJ qu'il n'entendait pas soutenir la candidature de Michel Aoun, ni désavouer celle de Sleiman Frangié. « La légitimité chrétienne de Michel Aoun est aussi une légitimité politique. C'est-à-dire que tout déblocage de la présidentielle doit passer par le tandem Aoun-Geagea. S'il est impossible d'élire le premier, il faudra voir les chances du second, sinon leur demander de proposer un candidat tiers », dit-il.

Il reste que, dans cette atmosphère d'hypothèses et de spéculations, l'avis unanime – même dans les milieux du bloc du Changement et de la Réforme – est que le déblocage de la présidentielle ne se fera pas de sitôt. C'est d'ailleurs ainsi que des sources proches du ministre Achraf Rifi font un résumé utile et rapide de la situation à L'OLJ : « La victoire de Tripoli a rendu totalement impossible aussi bien l'élection de Michel Aoun que celle de Sleiman Frangié. » Des propos à méditer.

 

Pour mémoire
Machnouk franchit une ligne rouge... et ouvre une nouvelle voie, le décryptage de Scarlett Haddad

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L'urgence d'élire un président de la République avant les législatives, bien qu'ayant réintégré le discours politique, n'aura conduit, pour l'instant, qu'à une énième évaluation des chances des deux principaux candidats en lice.
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commentaires (7)

Les retournements de veste sont si nombreux qu'ils dégoûtent tous ceux qu'ils ont un atome d'amour pour leur pays. Allez les candidats à l'émigration, bouclez vos valises et vos baluchons, n'attendez plus rien de ces politicards de rencontre.

Un Libanais

16 h 16, le 09 juin 2016

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Commentaires (7)

  • Les retournements de veste sont si nombreux qu'ils dégoûtent tous ceux qu'ils ont un atome d'amour pour leur pays. Allez les candidats à l'émigration, bouclez vos valises et vos baluchons, n'attendez plus rien de ces politicards de rencontre.

    Un Libanais

    16 h 16, le 09 juin 2016

  • C,EST SI SIMPLE : QUAND LE BORDEL N,A PLUS DE PATRONNE... LES CLAUDETTES JOUENT CHACUNE A MADAME CLAUDE !!! SOYONS SERIEUX... LE PAYS NE PEUT PAS RESTER SANS PRESIDENT... MEME SI LES PRETENDUS DIVINS LE SOUHAITENT... LA SOLUTION DU GENERALISSIME... QUI N,EST PLUS PARAVENTISSIME AYANT FAIT DANS SA CONSCIENCE ACTE DE REDEMPTION... CHANGE SA BOUSSOLE ET SON VOCABULAIRE... EST LA SOLUTION D,URGENCE POUR UNE ACCALMIE GENERALE DANS LE PAYS QUI SE DEMEMBRE A NOS YEUX ! JE PREFERE MILLE FOIS LA SOLUTION AOUN AU DEMEMBREMENT DE TOUTES SORTES ET ASPECTS DU PAYS !!!!!!! WALLAH TA I FARJIYON NJOUM IL DOHR...

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 12, le 09 juin 2016

  • Il avait joué la vie de ce Pays sur un coup de dés ! Il en a voulu courir les risques car il s’en fichait…. de lui.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 13, le 09 juin 2016

  • Voilà un article du " journalistiquement " correct ...qui prime sur le " populisme correct " ....! heureusement , que nous savons (pas de Marseille)..décoder une/des méthode (s) de "info maitrisée " (en novlangue) que cultive discrètement..., bien qu' à profusion l'AFP...!

    M.V.

    12 h 33, le 09 juin 2016

  • Un article fleuve. On dit que Dieu a donné la parole à l'homme pour qu'il cache mieux sa pensée. Donc la vérité qui ne pourra être que lui le phare Aoun aux commandes. Et qui vivra verra.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 45, le 09 juin 2016

  • Un brin d’optimisme pour élire le général Aoun mais comme d’habitude tout dure au Liban trois jours et ainsi on reviendra au point mort le troisième jour .

    Sabbagha Antoine

    08 h 39, le 09 juin 2016

  • C'st incroyable de lire un tel article qui relate les cheminements des pensées de certains libanais politiquement bien installés depuis des lustres aux commandes du pays Comment peuvent ils approuver l'élection d'un vieillard de 83 ans comme président d ela République !!!! Les réalisations de cet homme dans son passées sont dominées par résultats négatifs et on va lui confié le pays !!!! Quant à Geagea , le rallié à son ancien ennemi, ça sent le souffre, et S. Hariri qui soutient un homme à peine sorti de l'enfance sans aucune expérience politique. On se débarrasse de toutes ces combines politicardes . Ils sont coriaces et ils ne lâcheront pas le morceau de fromage qui les nourrit à ne rien faire. Il n'y a que 3 maronites susceptibles d'être candidats au poste présidentielle ? Et S.Hariri qui joue à la mouche du coche !!!! ET le Hezbollah qui dicte sa loi !!! Si M.AOUN est élu, le Liban est fini. Il placera tous les membres de sa famille aux postes de commande et l'inénarrable Bassil deviendra le chef d'orchestre de tout ça !!!!

    FAKHOURI

    07 h 06, le 09 juin 2016

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