Les talibans afghans ont nommé mercredi à leur tête un érudit en religion, le mollah Haibatullah Akhundzada, un choix rapide destiné à prévenir le morcèlement du mouvement après la mort soudaine de son prédécesseur Mansour.
Comme pour mieux faire passer le message, un attentat suicide revendiqué par les talibans a tué onze personnes près de Kaboul au moment même où la nomination était rendue publique. Le kamikaze, qui circulait à pied, a déclenché sa charge à proximité d'un minibus transportant les employés d'un tribunal de l'ouest de la capitale.
Le mollah Haibatullah a été choisi à l'issue d'une "choura" (conseil central) de trois jours, convoquée dès le lendemain de la mort du mollah Akhtar Mansour, tué dans un tir de drone américain samedi au Pakistan, confirmée par les talibans mercredi. Dignitaire religieux peu connu, Haibatullah est l'ancien bras droit de Mansour. Sa désignation rapide tranche avec la longue période de deux ans durant laquelle les talibans avaient caché la mort du mollah Omar, chef historique des talibans, décédé en 2013 au Pakistan.
Il aura la lourde tâche d'unifier un mouvement fragmenté et profondément divisé sur la question de la reprise ou non de pourparlers de paix avec le gouvernement afghan. Sa désignation a été "unanime et tous les membres (de la choura, NDLR) lui ont fait allégeance", ont assuré les talibans dans un communiqué publié sur internet.
Il aura comme adjoints le mollah Yacoub, fils aîné du mollah Omar, et Sirajuddin Haqqani, chef du réseau insurgé du même nom et proche allié des talibans. Tous deux étaient jusqu'ici pressentis comme les favoris à la succession de Mansour.
L'étendue réelle de son nouveau rôle reste cependant discutée. Haibatullah, qui hérite du titre d'émir des croyants, "sera davantage un dirigeant symbolique qu'opérationnel", ses adjoints assurant la gestions quotidienne, estime ainsi l'analyste pakistanais Amir Rana. "Il se peut qu'Haqqani s'occupe du côté militaire et le mollah Yacoub du côté politique", selon lui.
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Désigné dans un "testament"
Le mollah Haibatullah, âgé d'environ 50 ans, était lui-même adjoint du mollah Akhtar Mansour. Trois sources talibanes basées au Pakistan ont assuré à l'AFP que Mansour avait désigné Haibatullah pour lui succéder "dans son testament".
Ce natif de Kandahar, berceau des talibans dans le sud de l'Afghanistan, n'a rien d'un foudre de guerre. Dignitaire religieux discret, il officiait comme juge chargé des affaires talibanes à l'époque du régime des fondamentalistes (1996-2001).
Peu connu hors des sphères talibanes, il jouit cependant d'une importante influence religieuse. Membre du conseil des oulémas, organe garant de la légitimité spirituelle des talibans, il dirigeait également le système judiciaire insurgé.
Il devra s'attacher à unifier un mouvement éparpillé depuis l'annonce de la mort du mollah Omar. "Le mollah Haibatullah a été sélectionné parce qu'il est plus à même d'unifier les talibans que les Haqqanis ou le fils du mollah Omar", note Wahid Muzhda, un analyste afghan.
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Mais très vite, le nouveau leader va devoir trancher l'épineuse question de l'opportunité de renouer le dialogue avec le gouvernement afghan pour tenter de mettre fin à l'insurrection. Sous son prédécesseur, un bref dialogue de paix avait été suspendu sine die l'été dernier, et les efforts de Kaboul pour faire revenir les talibans à la table des négociations ont tous échoué.
Interrogé par l'AFP, Dawa Khan Menapal, un porte-parole du président afghan Ashraf Ghani, a jugé que la désignation d'Haibatullah constituait "une bonne occasion de reprendre les pourparlers". Et d'avertir les talibans qui refusent de rendre les armes qu'ils "connaîtront le même destin que Mansour".
Mais les observateurs sont très sceptiques quant à la capacité du nouveau chef de relancer le dialogue.
"Le mollah Haibatullah représente le statu quo" par rapport à l'ère du mollah Mansour, estime Rahimatullah Yousafzaï, fin connaisseur pakistanais des talibans. "Il ne négociera pas".
Et pour l'analyste pakistanais Amir Rana, l'attentat-suicide de mercredi matin est un "message (signifiant) 'Nous sommes toujours là' et nous pouvons nous attendre à de nouveaux attentats dans les prochaines semaines". "A chaque fois qu'un important chef taliban est capturé ou tué, ils intensifient leur campagne d'insurrection", souligne-t-il.
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Laklak mallâ "hâïbéhhh" !
10 h 24, le 27 mai 2016