C'est à froid, loin du déchaînement des passions et des débats fiévreux, qu'il convient, au stade actuel, de s'engager sur la voie tortueuse d'une évaluation préliminaire de la tournure prise par le scrutin municipal de dimanche dernier. Les deux régions sensibles de Baalbeck-Hermel et de Beyrouth – qui ont donné le coup d'envoi de ces consultations électorales – ont, à l'évidence, des profils sociopolitiques radicalement différents l'un de l'autre. Il reste que malgré cette dissemblance, un dénominateur commun, et non des moindres, se dégage de cette première journée dominicale.
Les chiffres officiels enregistrés par les listes et les candidats perdants se font, malencontreusement, toujours attendre. Négligence, manque de moyens logistiques ou volonté de camoufler certaines réalités ? L'on serait tenté de pencher pour le troisième cas de figure si l'on se base, à défaut de scores précis, sur une lecture qualitative des résultats communiqués par les principales machines électorales.
Bien au-delà des querelles de clocher et des traditionnelles compétitions à caractère familial, clanique ou partisan (au sens étroit du terme), le scrutin de Beyrouth a sans conteste mis en relief une nouvelle donne qui mérite une profonde réflexion : une liste (complète) formée de cadres supérieurs et d'éléments actifs portant l'étendard de la société civile a croisé le fer avec la coalition regroupant l'ensemble des grands partis et des pôles d'influence de la capitale, et a enregistré – c'est là le point le plus important – un score très respectable, remportant même la majorité des suffrages dans les quartiers chrétiens.
Il serait hasardeux dans ce contexte d'aller trop vite en besogne et de se livrer à une analyse primaire de ce phénomène. Il serait erroné, spécifiquement, d'affirmer d'emblée que le comportement des électeurs de Beyrouth était essentiellement dirigé contre un leader ou un parti particulier. Il s'agissait plutôt d'un vote de contestation exprimant un vaste ras-le-bol face à une situation globale, un état de fait, qui sévit dans le pays depuis de longs mois. Pouvait-on réellement s'attendre à autre chose après l'interminable scandale des déchets, les magouilles mystérieuses du réseau illégal d'Internet, la cascade des affaires de corruption, la quasi-paralysie du gouvernement, le marasme généralisé, la crise socio-économique grandissante et les querelles stériles entre factions politiques ? C'est une aversion à l'égard de cette situation dans son ensemble que les électeurs ont voulu exprimer, plus qu'une position hostile envers tel leader ou tel autre parti déterminé. Cette réaction – qui n'est autre qu'une classique reddition de comptes – était d'autant plus prévisible que toutes les factions regroupées au sein de la liste des « Beyrouthins » sont celles-là mêmes qui composent le gouvernement moribond, à l'exception notable des Forces libanaises qui, dès le départ, ont refusé de s'associer au cabinet Salam.
C'est une reddition de comptes quelque peu similaire qu'a connue, parallèlement, la région de Baalbeck-Hermel, dimanche dernier... À la différence fondamentale que le vote de contestation a visé cette fois-ci le Hezbollah dans son propre fief. Dans la ville de Baalbeck, une liste mise sur pied par une personnalité chiite proche du 14 Mars, Ghaleb Yaghi, s'est opposée aux candidats du Hezbollah et a remporté plus de 46 pour cent des suffrages. À en croire plusieurs sources, deux ou trois candidats de la liste contestatrice auraient pu, même, être élus n'était le comportement milicien du parti de Dieu lors du dépouillement dans certains bureaux de vote. Le bilan a été tout aussi flagrant dans un autre fief du Hezbollah, la ville de Hermel, où le parti chiite a été contraint de mener une bataille très serrée contre une liste adverse représentant la société civile, qui regroupait plusieurs femmes et qui a enregistré un score non négligeable.
Les motivations et les fondements sociopolitiques de ce double vote de contestation ne sont évidemment pas les mêmes à Beyrouth et dans la région de Baalbeck-Hermel. Mais dans l'un et l'autre cas, un dénominateur commun se dégage : un profond (et salutaire) sentiment de ras-le-bol généralisé, qui transcende les communautés et les partis, s'est exprimé face à l'état de déliquescence avancée qui sévit à tous les niveaux et dans plus d'un domaine. Reste à savoir dans quelle mesure et comment le message a été reçu, et perçu, par l'establishment politique du pays.
commentaires (9)
Et, bien entendu, à Sétt Nadine Labaké !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
16 h 08, le 14 mai 2016