Courtois, discret, conciliateur : le vice-président brésilien Michel Temer semblait résigné aux seconds rôles honorifiques... jusqu'à ce qu'il appuie sur la gâchette pour s'emparer du fauteuil présidentiel de Dilma Rousseff.
Les sénateurs ont voté, jeudi à l'aube, l'ouverture formelle d'un procès en destitution de l'impopulaire dirigeante de gauche et la suspension de son mandat pendant 180 jours maximum, dans l'attente du jugement final. M. Temer, 75 ans, avocat constitutionnaliste au port altier, toujours tiré à quatre épingles, va donc assumer dans la journée la présidence, probablement jusqu'en 2018.
Il remporte ainsi une âpre partie de poker menteur. Pendant de longs mois, il a dissimulé son jeu en habile bluffeur, visage impassible, figé par la chirurgie esthétique. Tant pis si Dilma Rousseff le qualifie de "traître", de "chef de la conspiration". Dirigeant depuis 15 ans le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), arbitre centriste de toutes les majorités de gouvernement depuis 1994, M. Temer a accumulé les rancœurs en cinq ans de mariage de raison avec la dirigeante de gauche.
(Pour mémoire : Le vice-président Temer lâche Rousseff)
'Décoratif'
En décembre, ce conciliateur peu coutumier des coups d'éclats avait surpris en étalant son amertume dans une "lettre personnelle" à Mme Rousseff. Il lui reprochait de l'avoir toujours méprisé, traité en "vice-président décoratif". Il ne lèverait plus le petit doigt pour elle.
Retranché depuis dans sa résidence de Brasilia, téléphone coupé pour la présidence, il a observé en silence l'embrasement de la crise politique brésilienne au mois de mars, l'affaiblissement inexorable de la chef de l’État. L'heure avait sonné pour Michel Temer de passer enfin de l'ombre à la lumière. En vieux renard de la politique, il a orchestré le débarquement de son parti du gouvernement fin mars, un coup fatal pour sa désormais rivale.
C'est maintenant ou jamais pour ce politicien largement méconnu des Brésiliens, qui a présidé trois fois la Chambre des députés. Car s'il devait briguer le pouvoir à la loyale lors d'une élection présidentielle, il n'obtiendrait qu'entre 1 à 2% des suffrages, selon un récent sondage. Les Brésiliens souhaitent son départ à peu près autant que celui de Mme Rousseff.
Le profil sans relief de ce cadet d'une fratrie de huit enfants, nés d'immigrants libanais en 1940 dans l’État de Sao Paulo (sud-est), cache toutefois quelques surprises. Michel Temer a publié en 2013 un recueil de poésie. Il a eu cinq enfants de trois mariages en quatre décennies. Son épouse actuelle est une ex-reine de beauté âgée de 32 ans, enceinte de six mois, décrite comme "belle, réservée et au foyer" dans un récent portrait de la revue conservatrice Veja.
M. Temer a longtemps joué les modestes. Quand ses partisans le recevaient il y a quelques mois, aux cris de "Temer président !", il répondait gêné: "Pour l'instant, non merci. Nous allons attendre 2018". Mais il avançait déjà par petites touches. Deux mois avant sa lettre de divorce à Dilma Rousseff, il avait publié une ébauche de programme économique intitulé "Un pont vers l'avenir". Il y critiquait les "excès" de la politique économique dépensière du Parti des travailleurs (PT, gauche) au pouvoir.
( Pour mémoire : Michel Temer, le vice-président brésilien d'origine libanaise, a vu sonner son heure )
Tiré d'affaires ?
Les marchés, inquiets de la récession historique qui frappe le Brésil, espèrent qu'il répondra rapidement à leurs attentes : ajustement budgétaire, réforme du système des retraites, du droit du travail. Mais comme Mme Rousseff, il devra composer avec un Parlement fragmenté où les appuis se négocient cash, au minimum en échange de milliers de postes de confiance dans la machine étatique.
Il comptait drastiquement réduire le nombre de ministères. Il a déjà dû mettre de l'eau dans son vin. Et puis il y a les affaires, en particulier cet aussi titanesque qu'embarrassant scandale de corruption autour du géant étatique pétrolier Petrobras, qui éclabousse de plein fouet le PMDB.
L'affaire a déjà coûté jeudi dernier son poste à son encombrant camarade Eduardo Cunha, le sulfureux président de la Chambre des députés qui a tiré les ficelles de la destitution de Mme Rousseff. M. Temer a lui-même été cité par des inculpés. Le procureur n'y a pas vu à ce stade d'indices suffisants pour le poursuivre. Il pourrait aussi voir son mandat cassé avec celui de Mme Rousseff par la justice électorale pour financement illicite par des fonds détournés de Petrobras. Et il risque d'être déclaré inéligible pour huit ans, après sa récente condamnation en appel pour entorse à la loi sur le financement des campagnes électorales.
Qu'importe. Le 5 août, c'est sûrement à lui qu'il reviendra l'honneur de déclarer "ouverts" les jeux Olympiques de Rio de Janeiro, devant des centaines de millions de téléspectateurs.
Pour mémoire
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C'est çà, la libanaiiise "diaspora(h) ? !
20 h 16, le 13 mai 2016