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Liban - Trafic sexuel

Sans la prostitution, le taux de viol augmentera, estiment les clients

Une étude menée par Kafa en 2014 met l'accent sur les motifs qui poussent les hommes à acheter le sexe, ainsi que sur la perception qu'ils se font des femmes dont ils achètent les services.

Selon l’étude menée par Kafa sur la demande pour la prostitution, 71 % des hommes interviewés ont confié que les Super Night Clubs constituent...

L'affaire de Chez Maurice, la maison close où un réseau de prostitution a été récemment démantelé et soixante-quinze femmes libérées de l'esclavage sexuel qui y était pratiqué sur elles, a fait éclater au grand jour le dossier du proxénétisme au Liban. Si dans le cadre de cette affaire l'accent a été surtout mis sur les victimes qui avaient subi toute sorte de violences et de maltraitances tout comme sur les maquereaux, aucune mention n'a été faite des clients qui, contrairement à ces derniers, sont exemptés de toute sanction. Et pourtant, les clients constituent la « raison d'être » de ce business et de celui de la traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle.

« Après tout, il n'y a pas d'offre sans demande », avance Ghada Jabbour, cofondatrice de l'ONG Kafa et responsable du département de lutte contre le trafic humain à l'ONG. « Sans la demande, la prostitution et le trafic des femmes pour une exploitation sexuelle n'auraient pas existé et ce business n'aurait pas prospéré », insiste-t-elle encore. D'après un rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime sur le trafic humain, publié en décembre 2012, les femmes et les filles constituent en fait 75 % de l'ensemble du trafic humain dans le monde. Selon le même document, 58 % des cas de trafic humain signalés à l'échelle internationale sont effectués à des fins d'exploitation sexuelle. « Pour lutter contre ces phénomènes de prostitution et de trafic sexuel, il est important donc d'identifier les motifs derrière la demande », note Ghada Jabbour.

À cet effet, Kafa a mené en 2011 une étude auprès de cinquante-cinq hommes tous âges, communautés et situations sociales confondus. Le seul facteur qui les unit reste le fait d'avoir payé au moins une fois dans leur vie pour avoir des rapports sexuels. Une interview semi-structurée comportant plus de 100 questions a été menée avec chacun de ces hommes afin de collecter des informations sur leur personnalité, leurs attitudes, leurs pratiques, leurs motivations, leurs perceptions et leurs opinions concernant la prostitution et les femmes qui y sont impliquées. Les résultats de cette étude, baptisée « L'exploration de la demande de prostitution : ce que les acheteurs disent de leurs motifs, pratiques et perceptions », ont été publiés en 2014.


(Lire aussi : « À l'étranger, la prostitution est une chose naturelle. Ce n'est pas du trafic humain ! »)

« Un mal nécessaire »
Les hommes interviewés avaient en moyenne 28 ans. Plus de 90 % d'entre eux étaient des employés avec un salaire moyen de 1 000 dollars par mois. Près de 60 % avaient obtenu leur bac ou un diplôme universitaire, 67 % étaient soit mariés soit engagés dans une relation sérieuse et 26 % avaient des enfants. « Donc, il n'existe pas un profil standard du client, explique Ghada Jabbour. Ça peut être n'importe qui. »
Interrogés sur le nombre de prostituées qu'ils avaient fréquentées, les hommes interviewés avaient avancé un chiffre allant de 3 à 300. Quelque 42 % d'entre eux avaient signalé avoir eu recours aux services de plus de cinquante femmes. La majorité des hommes (71 %) ont confié que les Super Night Clubs constituent leur destination préférée, suivis des bars (53 %).

L'étude montre en outre que « la prostitution est considérée comme étant un mal nécessaire ». Plus encore, certains des hommes interviewés estiment que « le sexe est un besoin fondamental au même titre que la nourriture et l'eau ». « Dieu a concédé aux hommes les pulsions sexuelles », confie l'un d'eux, au moment où d'autres affirment que « la nature de l'homme est ainsi constituée » et que le besoin de sexe « est un impératif biologique chez les hommes ». D'où leur recours constant aux services des femmes prostituées.

Au nombre des justificatifs avancés par les hommes interviewés figurent notamment « l'accessibilité à la prostitution », d'autant qu'« il y en a pour tous les budgets », et le fait qu'acheter le sexe était « facile et convenable ». L'ensemble des hommes ont ainsi affirmé : « Acheter le sexe est plus facile et plus convenable que d'avoir une relation avec des femmes qui ne sont pas dans la prostitution. » De plus, pour un grand nombre d'entre eux, cela « leur permet d'éviter les contraintes de l'engagement ».
La « variété dans le choix des femmes » était un autre motif présenté par les hommes. L'un d'entre eux a ainsi déclaré : « Un homme marié ne couche pas avec sa femme tous les jours. Il va sûrement coucher avec d'autres femmes. Un homme n'a pas envie de manger de la moujaddara tous les jours. Il a envie aussi de poulet. »

 

(Lire aussi : Trafic sexuel au Liban : une Syrienne raconte l'enfer)

 

Payées pour assouvir les besoins du client
À la question de savoir s'ils étaient conscients de la violence et l'exploitation que subissent ces femmes, 40 % des hommes ont affirmé qu'elles sont heureuses dans ce qu'elles font. « Onze des hommes interrogés ont confié avoir vu des signes de violence sur le corps des femmes, souligne Ghada Jabbour. Un seul s'est arrêté, les dix autres ont continué comme si de rien n'était. Ils estiment ainsi que ces femmes ont pour unique fonction d'assouvir leurs besoins, d'autant qu'elles sont payées pour cela. Comme si le fait de payer masquait toutes les horreurs et l'exploitation dont ces femmes peuvent être victimes. Certains vont même jusqu'à se considérer corrects puisqu'ils ont payé. » Un des clients interrogés avait en fait avancé : « Je sais que j'ai payé pour l'avoir. Je veux coucher avec elle et c'est tout. » Un autre, marié avec des enfants, avait clamé : « Je m'en fous si elle a été battue. Je ne me soucie que de mon plaisir. » Un troisième avait affirmé : « Si quelqu'un a cassé le flipper ou la machine de poker la veille, cela ne vous empêche pas de jouer de nouveau au poker. »

La pression exercée par les pairs et les parents est aussi l'un des arguments soulevés par les hommes ayant fait l'objet de l'étude. Un homme de 33 ans, marié avec des enfants, a ainsi expliqué : « Je me sentais timide et incapable d'avoir une relation sexuelle à n'importe quel moment. Donc mon oncle, qui payait pour le sexe, m'a emmené dans sa maison où il a apporté deux filles. »
Selon cette étude, 80 % des hommes interviewés regardent des films pornographiques et nombre d'entre eux « reconstituent les scènes » avec les femmes dont ils achètent les services, d'autant que leurs partenaires refusent de le faire.

« Toilettes publiques »
Ghada Jabbour explique que l'étude a également montré que « les clients ne se remettent pas en cause ». « Ils estiment que la femme a choisi cette profession et qu'elle éprouve du plaisir à le faire, poursuit-elle. Plus encore, ils estiment qu'ils ont fait d'une pierre deux coups : d'une part, ils ont donné du plaisir à ces femmes, et d'autre part, ils leur ont donné de l'argent ! Par ailleurs, ils jettent un regard de dédain sur ces femmes qu'ils considèrent comme étant la racaille de la société. L'un d'entre eux les a même qualifiées de "toilettes publiques". »
« Lorsque nous leur avons demandé d'imaginer la société sans prostitution, ils ont eu du mal à le faire, explique Ghada Jabbour. Et ceux qui l'ont fait ont imaginé de mauvaises choses. Ils ont ainsi estimé que sans la prostitution, ils pourraient devenir incontrôlables et que la société pourrait en souffrir, puisque le taux de viol va augmenter, ainsi que celui de la pédophilie et de la violence domestique. Comme si les prostituées formaient un rempart qui protège les autres femmes qui ne sont pas dans le domaine. »

Pour Ghada Jabbour, il est impératif de « responsabiliser le client » pour pouvoir lutter contre ce phénomène. « La Suède, à titre d'exemple, a interdit la prostitution, note-t-elle. Elle sanctionne les maquereaux et les clients, ces derniers étant passibles d'un an d'emprisonnement. Il y a quelques semaines, le 13 avril, la France a promulgué une loi qui sanctionne tout le système prostitutionnel, mis à part les victimes. De telles mesures sont importantes pour parvenir à l'égalité des genres. La prostitution n'est pas un monde rose comme d'aucuns ont tendance à croire. C'est une forme de violence contre les femmes. Une sensibilisation est nécessaire dans ce sens. »

 

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commentaires (5)

Ou de la paille, et surtout ; plutôt ; du bon foin pour bestiaux.

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

13 h 18, le 07 mai 2016

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Commentaires (5)

  • Ou de la paille, et surtout ; plutôt ; du bon foin pour bestiaux.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 18, le 07 mai 2016

  • ESTIMATION DES CLIENTS OU DES PROXENETES CRIMINELS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 40, le 06 mai 2016

  • Et le taux de violeurs en prison aussi ...!

    M.V.

    12 h 26, le 06 mai 2016

  • On croit rêver... Les commentaires ou les qualificatifs utilisés pour décrire les femmes sont vraiment désespérants... et donnent aux hommes, du moins à ceux qui sont mentionnés dans cet article, une piètre image d'eux-mêmes... On n'éminera jamais la prostitution, ce n'est pas sans raison qu'on la nomme "le plus vieux métier du monde", mais aujourd'hui on parle d'esclavage sexuel, répandu dans le monde entier. La Suède sanctionne peut-être les maquereaux et les clients, mais les Pays-Bas exposent les femmes dans des vitrines, l'Allemagne et le reste de l'Europe en ont fait un business plus que fructueux... La prostitution peut être un monde rose pour certaines femmes qui l'ont choisi et se louent en toute liberté, au tarif qu'elles souhaitent, mais la plus grande partie des prostituées vivent un cauchemar: leur corps, leur vie, leurs "revenus" ne leur appartiennent plus. Elles sont un objet rentable entre les mains d'hommes (ceux qui paient et ceux qui font payer) qui les exploitent à fond, sans la moindre considération...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 33, le 06 mai 2016

  • "Un homme n'a pas envie de manger de la moujaddara tous les jours. Il a envie aussi de poulet." ! Pourquoi pas alors, comme troisième choix, de la M.RDE ; carrément ; pour cet genre "d'homme!" ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 49, le 06 mai 2016

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