Obama, comédien en chef de haute volée

L'exercice fait partie des prérogatives du poste. Depuis presque un siècle, il est demandé au chef d'État américain de railler sa propre personne et le monde politique, au cours d'un gala donné le 30 avril par les correspondants de presse couvrant la Maison-Blanche. La soirée de l'Association des correspondants de la Maison-Blanche (WHCA) est un event très prisé, où il fait bon être et être vu. Pour y assister, il faut être convié par les différents médias américains qui se font un point d'honneur d'avoir à leur table des people et des célébrités aussi bien politiques qu'artistiques, sportives et journalistiques. Hollywood et ses étoiles très convoitées ne manquent jamais ce rendez-vous.

Tout a commencé, samedi soir, sur un tapis rouge. Meilleur moyen de mettre en valeur l'arrivée de ce beau monde qui rivalisait d'élégance. Comme pour les oscars, la soirée de l'Association des correspondants de la Maison-Blanche tient du défilé de tenues et de coiffures. Cette année, Dame Helen Mirren, en tête, est apparue toute de mauve vêtue, en hommage à Prince, avec le sigle du chanteur qui vient de disparaître tatoué (de manière temporaire) en mauve près de son cou. Elle était suivie de Jared Leto, de la mannequin Emily Ratajkowski, de l'actrice et chanteuse Jada Pinkett Smith accompagnée de son époux Will Smith, de Kerry Washington, Jeff Goldblum, Emilie Livingston, Morgan Freeman, Emma Watson, Christy Turlington, Aretha Franklin et Whoopi Goldberg.

Un ton mordant
Une fois toutes ces étoiles filantes repérées et bien observées, place à la grande attraction de la soirée : le président. Pour mettre au point son « numéro » et son discours, et comme pour ses prédécesseurs, Barack Obama s'entoure d'une équipe spécialisée dans ce genre de performance, only in America ! Et, bien sûr, il revoit et retouche les détails, s'il est nécessaire de le faire, pour se fondre dans ce rôle. Contrairement aux présidents qui l'ont précédé et qui cultivaient le bon rire caricatural, Barack Obama fait dans une sensibilité comique subtile, influencée par la culture pop. Le tout sur un ton détaché mais mordant à souhait. Cette année, pour ce qui est son huitième et dernier show, M. Obama a commencé en décochant une double flèche : « Si mon texte de ce soir est bon, je l'utiliserai l'an prochain chez Goldman Sachs » (une allusion à l'une des controverses du moment : les conférences grassement payées à Hillary Clinton par cette banque d'investissement). Et de poursuivre : « Ma brillante et jolie femme, Michelle, est là ce soir. Elle a l'air si heureuse ! Cela s'appelle de la pratique. C'est comme apprendre, au sport, à faire trois minutes de planks (planches). » La First Lady sourit alors, élégante en Givenchy. Se tournant vers Bernie Sanders, le seul à ne pas arborer un smoking – il a souvent déclaré qu'il n'en avait pas un dans son armoire –, Obama lui dit : « Bernie, vous ressemblez à un "one million Bucks" ou, en termes plus simples, à 37 000 donations, chacune de 27 dollars. » En effet, le rival d'Hillary Clinton est fier de ne carburer qu'aux microlevées de fonds.
Trêve de plaisanterie quand il accueille Dame Helen Mirren, le président des États-Unis avouant : « Je n'ai rien à dire à part qu'elle est géniale, géniale. » La grande actrice britannique avait pour voisins de table le vice-président Joe Biden et le secrétaire d'État John Kerry.

« Justin Trudeau m'a éclipsé ? Come on ! »
Obama ne s'est pas retenu, comme il l'a fait aux précédentes éditions de cet événement, d'user avec charme d'autodérision. « L'autre jour quelqu'un m'a dit, "M. le Président, vous êtes dépassé ! Justin Trudeau vous a éclipsé. Il est si beau et si charmeur ! Il est le futur". J'ai répondu, Justin ? Come on, arrêtez ! Je refuse ! »
Lors de cette soirée, démocrates et républicains en ont pris pour leur grade. Et si sa tête de Turc habituelle, Donald Trump, n'était pas de la fête cette année, il n'a pas échappé au carnage. « C'est surprenant, il y a là une salle pleine de soutiens, de célébrités et il a dit non. Est-ce que ce dîner serait trop tape-à-l'œil pour Donald ? Qu'est-ce qu'il peut bien faire en ce moment ? Manger un steak Trump? Tweeter des insultes à Angela Merkel ? » a lancé M. Obama.
Le président a également égratigné la presse à qui il a reproché d'avoir donné une telle tribune au milliardaire. « Une digne couverture adaptée au sérieux de cette candidature. Vous pouvez être fiers de vous », a-t-il ironisé.

À la fin de son show, le président, qui peinait à cacher son émotion, a laissé tomber son micro avec ces mots : « Obama out », une référence au geste que les grands noms dans la culture pop font pour signifier que leur prestation a atteint un tel niveau d'excellence qu'il n'y a plus rien à ajouter.

Lancé en 1920, le White House Correspondent Association Dinner est devenu une véritable tradition washingtonienne. En 1924, le président Calvin Coolidge fut le premier à y jouer le rôle d'orateur. Au départ, la soirée était une affaire d'hommes, bien que les journalistes femmes faisaient partie de l'association. Ce sera la journaliste Helen Thomas, d'origine libanaise, qui leur ouvrira les portes de ce gala unique au monde et dont les bénéfices sont consacrés à des bourses aux étudiants d'instituts de journalisme. Quant à Helen Thomas, (1920- 2013), elle était devenue une légende associée à la Maison-Blanche pour avoir couvert les administrations de onze présidents américains. Et honneur suprême, durant tout ce temps, c'était à elle de poser la première et la dernière question au chef d'État, lors des conférences de presse.

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