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Liban - 13 avril 1975

Une paix à reconstruire

Une plaque commémorative portant 13 noms de combattants, tombés pendant la guerre de 1975-1990, ne peut échapper aux visiteurs de la permanence du parti Kataëb de Baabda. La particularité de cette plaque est qu'elle reflète une volonté unificatrice des martyrs de la ville puisqu'elle porte des noms non seulement de combattants Kataëb mais aussi du Parti national libéral (PNL), du Tanzim, des Gardiens du Cèdre, des Forces libanaises, et même le nom d'un officier des Forces de sécurité intérieure tombé lors de la guerre fratricide dévastatrice de 1990 qui avait opposé l'armée du général Michel Aoun aux FL du Dr Samir Geagea.

 

Deux de ces combattants sont tombés face à l'armée d'occupation syrienne en 1978 à Baabda, cinq autres face aux forces palestino-libanaises alliées en 1976, alors que les cinq restant sont tombés dans les multiples rixes et combats fratricides ayant opposé les milices chrétiennes entre elles, parmi eux un ami très proche assassiné par un membre de sa propre milice. Cet aperçu est un échantillon éloquent de la mémoire de guerre tracée par ces martyrs qui avaient 20 ans. L'instinct de survie, la volonté de défendre le Liban, de se distinguer et de changer le monde nous avaient motivés à porter les armes dans les rangs des milices à l'époque. Eux ont trouvé le martyre et nous, les survivants, sommes toujours là, remplis d'émotions et de souvenirs, mêlant fierté, amertume, douleur, nostalgie et espoir, comme au 13 avril 1975.


Nombreux sont ceux de ma génération, de tous bords et qui ont été acteurs dans toutes les étapes depuis 41 ans – s'étant affrontés dans des combats meurtriers – qui ont la perception du devoir inachevé et qui continuent à œuvrer pour un Liban meilleur, forts de leurs expériences des guerres fratricides interchrétiennes, interlibanaises, ou contre les ennemis extérieurs. Le devoir de mémoire s'impose envers tous les martyrs du Liban, tombés chacun pour sa propre cause, surtout ceux de l'armée libanaise. Toutefois, nous ne devrions pas rester prisonniers du passé, bloquant ainsi toute solution. Bien au contraire, nous sommes tenus par le devoir de réflexion et d'action, y associant les nouvelles générations pour les prémunir contre les maux qui rongent le Liban depuis deux siècles. La véritable paix libanaise reste à reconstruire, d'autant que l'histoire semble avoir avancé à reculons d'un siècle pour nous ramener à une situation semblable à celle qui prévalait à la chute de l'empire ottoman.


Beaucoup de jeunes chrétiens ont porté les armes en 1975 contre l'hégémonie palestinienne puis contre l'occupation syrienne, mais tous les Libanais n'étaient pas unanimes dans les objectifs de guerre. Pour simplifier : les chrétiens se sentaient menacés dans leurs libertés et leur existence, et les musulmans se sentaient frustrés et marginalisés dans les institutions de l'État, car depuis la formule de 1943 et jusqu'à la veille de la guerre, le 13 avril 1975, ils percevaient qu'ils ne participaient pas efficacement aux décisions nationales. Aujourd'hui, avec la formule de Taëf, la situation n'est guère meilleure ; chrétiens, sunnites et druzes se sentent menacés et frustrés, à pied d'égalité, et les chiites, aujourd'hui forts de leurs armes, appréhendent d'éventuelles représailles contre leur montée en puissance, et tentent de garantir leur rôle national futur. Après 41 ans, tout semble donc retourner à la case départ.


Depuis mon militantisme dans les rangs des phalanges libanaises en 1975, jusqu'à ma position actuelle de vice-président du mouvement « Liban Message », un très long chemin a été parcouru : 28 ans dans les rangs de l'armée, puis rencontre avec Raymond Nader, ancien membre de l'état-major des FL, déclenchement du processus de réconciliation armée-FL après la guerre fratricide qui nous avait opposés en 1990 (processus commencé au niveau d'anciens officiers des deux bords en 2007, bien avant la réconciliation Aoun-Geagea), réconciliation également avec les adversaires de 1976, notamment des anciens du Mouvement national. Cette évolution totalement investie dans « Liban Message » nous a permis, avec sympathisants et amis, de passer d'une logique de pure sécurité et survie à une logique de réconciliation et de paix, conditionnée par la sécurité consensuelle. Cela implique de rassurer les communautés libanaises et de reconstruire un climat de confiance entre elles. Mais comment peut-on atteindre ce but dans un Liban scindé verticalement en deux, et au milieu d'un Moyen-Orient dévasté par une guerre confessionnelle de plus en plus dévastatrice ?


« Liban Message » a accueilli des personnalités et responsables de tous bords pour engager une réflexion et un dialogue, que ce soient des personnalités indépendantes, du 8 ou du 14 Mars. Il s'est avéré que la volonté du vivre-ensemble est bien là, incontournable, inévitable, mais le moyen de vivre ensemble n'est pas encore clair. Quand il s'agit d'en parler, on transcende vers le haut, ou on parle d'autodéfense et de survie, qu'il s'agisse des chrétiens, des sunnites, des chiites ou des druzes, sachant que la paix intérieure personnelle se reflète facilement en une action de paix extérieure.


L'expérience vécue par les acteurs de la guerre qui continuent à agir depuis 41 ans et par les penseurs – non les leaders ou ceux qui se veulent chefs – pourrait énormément contribuer à l'instauration d'un climat de confiance. De leur côté, les palabres politiques et les compromis ne portent que sur des convergences ou divergences d'intérêts restreints et non sur un processus d'immunisation contre de futurs conflits potentiels. Les voix raisonnables, crédibles, toutes tendances confondues, assurent que l'éventail des solutions va de l'adoption du système fédéral régional (et non pas confessionnel ou confédéral, comme le fait accompli actuel) au développement de l'appartenance citoyenne, absente depuis 1920, où l'État gère des citoyens et non pas des communautés, le rôle de ces communautés s'arrêtant net aux limites de la Constitution qui ne devrait plus être soumise à des interprétations diversifiées, nuancées ou contradictoires.


Aucune autre alternative n'est visible et tout commence par l'évolution des mentalités pour transformer ces réflexions, qui se limitent aux cercles de penseurs, en une véritable culture sociale. C'est pourquoi retrousser ses manches s'impose pour œuvrer en ce sens avec beaucoup de patience, malgré un long chemin parsemé d'embûches. C'est là que se situe le défi au goût agréable pour un Liban meilleur, ainsi que le vrai sens de notre existence dans cette partie du monde.

 

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