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Moyen Orient et Monde - Tribune

L’obligation de la coopération sur l’eau au Moyen-Orient

Sundeep Waslekar est le président de Strategic Foresight Group, un think-tank international.

Depuis la déclaration de l'Onu en septembre dernier sur l'eau comme un objectif de développement durable, plusieurs pays ont accru leurs efforts afin de promouvoir la coopération transfrontalière dans le domaine de l'eau avec les pays voisins. Sauf le Moyen-Orient.
Pendant des décennies, l'Irak, la Syrie et la Turquie ont essayé de négocier des accords pour coopérer sur l'Euphrate et le Tigre sans aboutir à une conclusion déterminante. Cet échec à régler le problème a aidé, entres autres facteurs, à l'émergence d'acteurs non étatiques, particulièrement comme Daech (acronyme arabe de l'État islamique). Aujourd'hui, des groupes extrémistes violents dans la région ont mis la main sur plusieurs barrages-clés, des canalisations, des réservoirs de stockage et des stations de contrôle. Ils utilisent l'eau en tant qu'arme pour forcer la population à se soumettre à leurs souhaits. Dans ce contexte, la maintenance du barrage de Mossoul au nord de l'Irak est quasi impossible. Plusieurs experts ont mis en garde contre les risques d'effondrement imminent du barrage qui pourrait menacer la vie d'un demi-million de personnes en quelques heures.

Le Moyen-Orient se trouve aujourd'hui au milieu d'une multitude de catastrophes. Les solutions faciles n'existent pas. La seule manière de sortir de ce calvaire est d'accepter de grands compromis et de négocier la paix globale avec un accent sur la coopération transfrontalière dans le domaine de l'eau.
Les questions de l'eau forment une partie intégrale des accords de paix. En 2015, nous avons célébré le bicentenaire du Congrès de Vienne, qui avait fondé le régime du Rhin et aussi la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR). Cette année marque les 160 ans depuis que le traité de paix de Paris a établi la première commission sur le Danube. Toutes les deux existent aujourd'hui, en version modernisée, et sont parmi les éléments marquant la stabilité européenne. L'eau a joué un rôle pivot dans la reconstruction de l'Europe de l'après-guerre froide. La Slovénie a souscrit à l'accord de protection du Danube. De plus, c'est le pays dépositaire de l'accord portant sur le bassin du fleuve Sava. Ce dernier est le premier accord traitant de thèmes multilatéraux au sud-est de l'Europe, signé après les accords de Dayton qui avaient débouché sur la fin de la guerre en Bosnie.
Le même lien entre l'eau et la paix a été établi en Amérique centrale. Une fois que le plan centraméricain de la paix a été négocié avec succès par le président costaricain Oscar Arias dans les années 1980, plusieurs accords régionaux sur la coopération dans le domaine de l'eau ont aussi été signés par la suite.


(Lire aussi : Autour de Mossoul, entre l'enclume du barrage et le marteau de l'EI...)


La relation entre l'eau et la paix ne définit pas uniquement la situation post-conflit. La gestion de l'eau est un outil important pour la prévention des conflits. L'établissement de la Commission sur l'administration de la rivière Uruguay en 2010, suivi par la résolution pacifique du conflit entre l'Argentine et l'Uruguay, sont une preuve de la nécessité politique de la gestion des questions environnementales d'une façon efficace et préventive.
En outre, il y a des initiatives, bien plus complètes et avancées que celles connues en Europe, qui définissent les fondements pour la coopération et la stabilité durables régionales. La Commission du Mékong en est un exemple phare. La Chine ne faisait pas partie de la commission jusqu'à présent. En novembre dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères a déclaré l'établissement du mécanisme de coopération Lacang Mékong pour favoriser la coopération sur le Mékong entre la Chine et ses voisins de l'Asie du Sud.
Les pays dans le bassin du Nil ont renoncé à leur ancienne rivalité en faveur de la coopération dans le domaine de l'eau. Il y a un an exactement les présidents de l'Éthiopie, de l'Égypte et du Soudan se sont rencontrés à Khartoum pour se mettre d'accord sur l'aménagement concerté de « Great Ethiopian Renaissance Dam ».

Aujourd'hui l'OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal) est peut-être l'accord de grande portée le plus important. Cet organisme gère les ressources en eaux en tant que de bien commun régional, à l'échelle du bassin dans tous les quatre pays riverains – la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal – en surmontant les intérêts nationaux. Inspirés par l'OMVS, les organismes du bassin de Congo et de Gambie sont appelés à intensifier leur coopération cette année.
Si les gouvernements, non seulement en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi en Afrique et en Amérique latine, peuvent favoriser la coopération transfrontalière, qu'est-ce qui empêche le Moyen-Orient ?
Les discussions au Moyen-Orient se concentrent plutôt sur les pertes probables issues de la coopération régionale. Alors que les pays dans d'autres régions du monde mettent l'accent sur les bienfaits potentiels. Il s'agit de choix entre la psychologie des bienfaits et la psychologie des pertes.
En novembre dernier, 15 pays se sont réunis pour convoquer le Panel global sur l'eau et la paix. Cet événement donne une opportunité aux dirigeants des pays du Moyen-Orient à s'engager afin de tirer des leçons des exemples réussis de la coopération dans d'autres régions du monde et de bâtir leur propre avenir. Le risque de l'effondrement imminent du barrage de Mossoul ne concerne pas uniquement la faillite de l'État seul, mais aussi la survie d'une grande partie de la population. En fin de compte, c'est le choix entre le compromis et la catastrophe, la dignité et la mort, et malheureusement le Moyen-Orient n'a pas assez de temps pour choisir l'option évidente.

* Danilo Türk est l'ancien président de la Slovénie et le président du Panel global de haut niveau sur l'eau et la paix. Sundeep Waslekar est le président de Strategic Foresight Group, un think-tank international.
Traduit par Devaki Erande.

 

 

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