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Moyen Orient et Monde - Analyse

Désengagement partiel en Syrie : un double joker pour Moscou à Genève

Avec son retrait militaire, la Russie dispose désormais de deux cartes à jouer pour consolider le processus diplomatique.

Des chasseurs-bombardiers russes Mig-29, sur une base aérienne en mars 2015. Sergey Venyavsky/AFP

Le 14 mars 2016, le président russe Vladimir Poutine annonce un retrait militaire partiel de Syrie. Cette annonce suscite aussitôt un déchaînement médiatique aux relents idéologiques alarmants. Si l'effet de surprise est provoqué par le timing de l'annonce, à la veille de la reprise des pourparlers de Genève, ce retrait n'a pourtant rien d'inattendu, Moscou ayant dès le début annoncé que son intervention en Syrie serait limitée et répondrait à des objectifs militaires et opérationnels précis. Que le retrait ait été négocié ou non avec les alliés et parrains régionaux du conflit, il confirme à l'évidence la prééminence de l'action diplomatique et la volonté réelle de la Russie de trouver une issue politique négociée à 5 ans de crise.

Si la thèse d'un abandon militaire de la Russie et d'un lâchage du président syrien Bachar el-Assad a été relayée par plusieurs organes de presse, cette explication est contredite par la réalité sur le terrain et la déclaration d'intention initiale des Russes, qui avaient formulé clairement les limites de leur action en Syrie, et insisté sur ce point. Un mois après le début des opérations en Syrie, Vladimir Poutine a déclaré que la Russie n'enverrait pas de troupes au sol, et que dans le cadre de cette mission elle interviendrait comme force d'appui à ses alliés qui mènent l'offensive sur le terrain. Ces propos tenus en octobre 2015 éclairaient l'approche russe d'un refus catégorique de s'impliquer profondément dans la crise. Conformément à cette déclaration d'intention, la Russie ne se désengage aujourd'hui que partiellement en maintenant ses installations navales et aériennes, un système de défense antiaérien, des effectifs au sol de près d'un millier de soldats, et quelques appareils. Son soutien sera certes moins massif qu'au cours de cette campagne aérienne de six mois. Néanmoins, l'évolution d'une position offensive à une posture défensive permet désormais à Moscou de convertir les succès militaires en gains politiques dans le processus diplomatique de Genève.

 

(Lire aussi : Le triple coup de Poutine pour les cinq ans de la guerre en Syrie)

 

Réussites militaires
Sur le terrain la Russie a réalisé ses objectifs militaires. Premièrement, cette intervention a permis de sécuriser la région côtière de Tartous et Lattaquié où Moscou a installé une nouvelle base militaire permanente, la première au Proche-Orient depuis la fin de ses relations avec l'Égypte. Deuxièmement, l'action de la Russie a permis une évolution significative du rapport de force sur le terrain et la sécurisation du pays « utile », à savoir l'axe Homs-Hama-Damas-Alep, qui rassemble plus de la moitié de la population syrienne. Troisièmement, la principale route d'approvisionnement des rebelles avec la Turquie par le nord d'Alep a été coupée, et les ravitaillements depuis la Jordanie au sud ont été officiellement interrompus. Au final, l'engagement limité de la Russie a permis d'éloigner le spectre d'un scénario libyen et irakien en consolidant la position du régime syrien, qui a reconquis environ 10 000 km² de territoires. Comme le rappelle Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie, Moscou a ainsi pu offrir une démonstration forte de l'étendue de ses capacités militaires. « Ils ont expérimenté leurs armes les plus modernes : entre autres, leurs chasseurs Su-35S, leurs chars T-90 et les missiles de croisière tirés de la mer Caspienne », note le chercheur.

En évitant l'enlisement, les Russes ont donc pu tirer un bilan positif de leur engagement militaire. Alain Gresh, spécialiste du Moyen-Orient, rappelle que le but de cette intervention n'a jamais été la volonté de rétablir le statut quo politique ante, et ne consistait pas davantage en une opération de sauvetage aveugle de Bachar el-Assad ;
il s'agissait dès le début de renforcer la voie du processus diplomatique et la recherche d'une solution politique. « Une victoire militaire totale était peu probable, et à supposer que les Russes l'emportent sur le terrain, il faut compter plus de 300 milliards de dollars pour reconstruire la Syrie. La Russie n'est pas prête à assumer un coût aussi exorbitant, ni à entrer dans une confrontation avec les Américains en s'engageant dans cette voie », explique M. Gresh.

Cette lecture est partagée par Cyril Roussel, géographe, chargé de recherche au CNRS, qui estime que, stratégiquement, les Russes sont allés au bout de ce qu'ils pouvaient réaliser. « Leur stratégie a été payante, puisque l'on relance un processus de négociations après avoir procédé à une incision au sein de la nébuleuse des rebelles. Alors que jusque-là on ne parvenait pas à établir une distinction nette entre rebelles modérés et extrémistes, le bénéfice a été de créer cette fracture. » Selon lui, les seules forces qui paraissent bien structurées sur le terrain sont aujourd'hui les forces du régime et les Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition arabo-kurde), l'opposition soutenue par Riyad étant partiellement lâchée par Washington et en mauvaise posture. « Alliés au régime, aux Kurdes et aux milices chrétiennes syriaques, les Russes sont suivis également par l'opposition laïque démocratique telle que mise en place par les Kurdes. Ils ont donc deux cartes à jouer : la carte prorégime, et celle de l'opposition laïque démocratique kurde. En face, les Américains se chargent de rassembler l'opposition la moins encline à négocier avec le régime », explique Cyril Roussel.

(Dossier spécial : Guerre en Syrie, an V : Pour quoi, pour qui et comment ?)

 

Gains politiques
Dans ce contexte, le retrait partiel de Moscou risque de se révéler redoutablement efficace. D'un côté les Russes, sans obtenir de victoire militaire écrasante, se sont désengagés à temps pour convertir leurs succès militaires en gains politiques, et ont par là même désamorcé tout risque d'escalade militaire avec la Turquie. D'un autre côté, en rétablissant le rapport de force en faveur du régime sans lui offrir de victoire décisive, Moscou le contraint à accepter la voie des négociations. Pour Alain Gresh, « ce retrait est aussi une manière de dire à Assad qu'ils ne sont pas prêts à aller jusqu'au bout avec lui, et qu'il faut maintenant négocier ». Fabrice Balanche rejoint également cette conclusion : « Le régime sait qu'il ne sera pas soutenu à n'importe quel prix par Moscou. Il faut donc qu'il fasse des concessions sur la gouvernance : le fédéralisme par exemple voulu par Moscou. L'opposition n'avait pas l'intention de négocier quoi que ce soit, Mohammad Allouche (négociateur en chef pour les pourparlers de Genève) demandant le départ d'Assad mort ou vif. Désormais, elle doit faire un effort également. Mais, de toute façon, l'opposition syrienne n'est qu'une marionnette entre les mains de l'Arabie saoudite et de la Turquie. Donc c'est à ces deux pays de faire des concessions. »

La Russie peut donc accentuer la pression à la fois sur le régime syrien et sur le parrain turc de la rébellion. La Turquie est aujourd'hui en proie à l'instabilité, sa gestion de la crise syrienne l'ayant exposé à la menace sur son propre territoire. Le dernier attentat-suicide d'Ankara attribué par les autorités turques au PKK témoigne aujourd'hui de son impuissance à enrayer les dynamiques conflictuelles sur son propre sol. Ses divergences profondes avec les États-Unis en raison de leur forte implication aux côtés des forces kurdes et la rivalité féroce qui l'oppose à la Russie marginalisent de plus en plus la Turquie en tant qu'interlocuteur dans le dossier syrien, tandis que l'intervention militaire en Syrie a propulsé Moscou au rang d'acteur régional incontournable dans la résolution des conflits. Si à la suite de la visite en Iran le 5 mars courant du Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, pour promouvoir les relations économique et commerciale entre les deux pays, le dialogue avec Téhéran se renforce progressivement, ce rapprochement aurait sans doute des retombées positives sur le front diplomatique syrien. La Turquie a tout intérêt aujourd'hui à évoluer vers une position moins offensive dans sa gestion du dossier syrien pour se prémunir contre un scénario à la pakistanaise, qui de base arrière du jihadisme afghan a fini par devenir un foyer d'instabilité majeur et s'« afghaniser » à son tour.

 

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Le 14 mars 2016, le président russe Vladimir Poutine annonce un retrait militaire partiel de Syrie. Cette annonce suscite aussitôt un déchaînement médiatique aux relents idéologiques alarmants. Si l'effet de surprise est provoqué par le timing de l'annonce, à la veille de la reprise des pourparlers de Genève, ce retrait n'a pourtant rien d'inattendu, Moscou ayant dès le début annoncé...

commentaires (3)

Mme Lina Kennouche dit à peu près la même chose que Scarlett , mais en moins détaillé . Toujours est il que cet article est l'image exacte de la situation actuelle ! Comprenne qui pourra . Aveugle qui ne voudra pas voir !

FRIK-A-FRAK

11 h 53, le 19 mars 2016

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Commentaires (3)

  • Mme Lina Kennouche dit à peu près la même chose que Scarlett , mais en moins détaillé . Toujours est il que cet article est l'image exacte de la situation actuelle ! Comprenne qui pourra . Aveugle qui ne voudra pas voir !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 53, le 19 mars 2016

  • PARTIE DE LA CONNIVENCE..,. CA SERT BIEN LE SERIEUX DES NEGOCIATIONS... DEJA DE MISTOURA NE PARLE QUE DE GOUVERNEMENT DE TRANSITION... PRFEMIER CHANGEMENT RECLAME PAR LE PEUPLE SYRIEN !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 24, le 19 mars 2016

  • Enfin une journaliste qui a un peu remplacé la nébuleuse de la désinfo ...par du pragmatisme ...

    M.V.

    06 h 23, le 19 mars 2016

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