La soudaine annonce par le président russe du retrait du gros de ses troupes de Syrie continue de dominer les analyses et les spéculations politiques au Liban. En dépit des déclarations qui prétendent le contraire, la décision de Vladimir Poutine a pris tout le monde de court, les alliés comme les adversaires, et le commandement syrien n'en a été informé que très peu de temps à l'avance et alors que les préparatifs militaires de départ étaient sur le point de commencer.
Il faut rappeler que la décision d'intervenir militairement en Syrie, exécutée à partir du 30 septembre 2015, avait aussi pris de court les Américains, qui avaient été contraints de donner par la suite leur aval et d'affirmer avoir donné leur feu vert... après le début de l'opération. M. Poutine utilise donc la surprise comme tactique politique et à chaque fois, il réussit à semer le trouble et la confusion chez ses partenaires et chez les autres acteurs sur la scène régionale et internationale.
Cette décision russe a été d'autant plus surprenante qu'avec l'aide de l'aviation russe, l'armée syrienne et ses alliés étaient en train d'enregistrer des victoires décisives sur le terrain. Des milliers de soldats et de combattants sont ainsi déployés sur plusieurs fronts en Syrie et risquent de se retrouver en difficulté s'ils ne bénéficient plus d'une couverture aérienne. Les Russes assurent que ce ne sera pas le cas puisque d'une part, ils ont maintenu des forces aériennes dans la base de Hmeimim, au sud de Lattaquié, alors que des missiles S400 (antiaériens ultrasophistiqués) ont été déployés en Syrie, et d'autre part, ils ont renforcé l'aviation syrienne ainsi que l'armée en général.
En dépit de toutes les déclarations destinées à calmer les appréhensions des alliés, la décision russe a été perçue comme un coup de frein à la dynamique de victoire enclenchée à partir du 30 septembre 2015, surtout que l'accord conclu le 26 août dernier entre les commandements militaires syrien et russe en préparation de l'intervention de Moscou n'avait pas fixé de limite dans le temps. D'ailleurs, les responsables russes n'ont cessé de dire au cours des cinq derniers mois que la mission russe ne prendra fin que lorsque les objectifs pour lesquels elle a été menée seront atteints.
C'est justement sur ce dernier point que l'ambiguïté a plané. Comme l'a souligné le leader druze Walid Joumblatt hier sur Twitter, l'objectif déclaré était d'éradiquer l'organisation terroriste État islamique. Certaines parties avaient interprété cette phrase à la lettre alors que les Russes disent aujourd'hui que leur intervention en Syrie leur a permis de tuer 2 000 terroristes russes qui avaient rallié les rangs de l'EI. En annonçant cette information, les dirigeants russes adressent un message fort à destination de la scène intérieure russe. Parallèlement, l'intervention militaire russe en Syrie a consolidé le régime et ses institutions et lui ont permis de reprendre l'initiative sur plusieurs fronts tout en assurant la superficie de ce qu'on appelle désormais « la Syrie économiquement utile ». Mais cela n'a jamais signifié pour les Russes qu'ils allaient procéder à la reconquête de tout le territoire syrien pour le compte du régime. D'une part parce que ce serait une opération longue et coûteuse qui comporterait le risque de se transformer en sables mouvants comme le fut l'Afghanistan pour les Soviétiques, une expérience que les Russes ne veulent absolument pas rééditer. D'autre part parce que Vladimir Poutine a déclaré depuis le début que son souci était de relancer le processus politique et il est certain que l'annonce du retrait de la plupart des forces russes de Syrie est de nature à apaiser l'opposition et ses parrains régionaux, en particulier l'Arabie saoudite.
Selon une source diplomatique arabe en poste à Beyrouth, M. Poutine a donc fait le job qui lui était assigné : empêcher la chute du régime syrien et faire de lui un partenaire incontournable dans la recherche d'une solution politique. Mais cela ne signifie pas que le président syrien doit se comporter en vainqueur en plaçant le plafond haut comme l'a fait le ministre des Affaires étrangères, Walid Moallem, au cours de sa dernière conférence de presse à l'ouverture de la troisième session des pourparlers de Genève. Selon la source précitée, l'attitude de M. Moallem aurait déplu aux Russes qui se sont empressés d'annoncer leur retrait dans une volonté de pousser le régime à être plus malléable dans les négociations.
De même, les Russes n'auraient pas apprécié l'annonce par le régime de l'organisation d'élections législatives en avril, au lieu d'attendre la fin de la période transitoire... En annonçant le retrait du gros de ses troupes de Syrie, Vladimir Poutine a donc visé plusieurs objectifs, politiques et économiques, internes, régionaux et internationaux.
Selon la source diplomatique arabe précitée, les Russes et les Américains se sont donc en quelque sorte partagé les rôles et si M. Poutine s'est chargé du régime syrien et de ses alliés, c'est désormais aux Américains de remplir leur part de « l'accord », en faisant pression sur les Saoudiens pour qu'ils cessent d'exiger un gouvernement de transition, alors que le communiqué de Vienne avait parlé d'un gouvernement d'union nationale avec des prérogatives élargies. Il faut aussi que les Saoudiens, par le biais de la délégation de l'opposition dite de Riyad, cessent d'exiger le départ de Bachar el-Assad au début de la période transitoire qui devrait s'achever par l'adoption d'amendements constitutionnels et l'organisation d'élections législatives et présidentielle.
Le processus est encore long et difficile, mais selon la même source diplomatique arabe, il est sur les rails. Et Vladimir Poutine garde la main...
commentaires (8)
Elle le prend carrément pour un surhomme, à ce Nabot Gnome !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 29, le 18 mars 2016