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Culture - Exposition

Caline Aoun, de port en port, de dock en dock

Constamment en transit entre Beyrouth et Londres, la jeune plasticienne libanaise embarque les visiteurs de la galerie Marfa' dans son exploration poético-conceptuelle du flux des échanges portuaires commerciaux et, forcément, humains...

Des palettes évoquant les constructions inachevées de Beyrouth.

C'est une galerie bien nommée. Située en plein secteur portuaire, Marfa' propose des expositions qui, souvent, mettent le cap vers des horizons nouveaux. En l'occurrence « Fields of Space » (Les champs de l'espace) de Caline Aoun – qui, de prime abord, peut désarçonner le visiteur – et qui prend son point de départ, son inspiration première, de l'emplacement même de la galerie pour s'ouvrir sur le grand large... de l'exploration artistique. Celle des liens secrets et des corrélations sous-jacentes entre des données portuaires purement matérielles et chiffrées, et une certaine poésie visuelle.


La jeune artiste, dont le travail s'articule généralement autour des grands thèmes de la surconsommation et de la saturation dans notre monde contemporain, convertit, dans cette exposition, des éléments concrets des transactions du port de Beyrouth en œuvres graphiques et visuelles. Soit : une installation murale infographique, une vidéo, quatre photographies, ainsi qu'une dernière œuvre au sol. Un ensemble de pièces inspirées des registres d'importations-exportations, des palettes de transports de marchandises, ou encore des planchers de containers.
Un travail conceptuel censé encourager le spectateur à regarder différemment la banale matérialité des objets qui l'entourent, en leur imaginant des interactions esthétiques et artistiques insoupçonnées.

Import/export
Ainsi, la pièce maîtresse de l'exposition, intitulée Datascape, qui se présente sous forme de plusieurs représentations graphiques, en noir et blanc, quadrillant tout un mur, évoque des paysages abstraits, aérés, presque intangibles... Ils ont pourtant été élaborés à partir d'une mise en infographie du tonnage total par mois de 12 produits importés et exportés au Liban, sur une période courant de 2004 jusqu'à 2015 : ciment, maïs, céréales, oignons, fer et aluminium, papier et carton, matériaux de construction...

 

Vagues en pixels
Dans Seascape, une vidéo déroulant des images répétitives de mouvement des vagues, c'est le processus inverse qui est traité. Il s'agit, en fait, des images diffusées en direct de la mer, au large d'Antélias, filmée 24 heures sur 24 par une caméra de surveillance installée à la Aïshti Foundation. L'idée, ici, est de convertir la poésie intrinsèque de la grande bleue en données matérielles, numériques et pixelisées. « Et puis, à partir de la transposition virtuelle de cette mer dans les murs d'une galerie, de réfléchir sur les notions d'espaces public et privé, de privatisation et de gentrification du littoral... », insiste aussi l'artiste dans sa note d'intention.

 

Le train-train du commerce
Sur le mur adjacent, 4 photos de paysages de Palettes empilées jusqu'à hauteur d'édifices (72 x 102 cm ; en deux exemplaires, chacune, plus deux épreuves d'artiste) forment la partie la plus accessible de cette exposition. Il s'agit, en fait, d'images prises par Caline Aoun au cours d'un arrêt de train dans la banlieue de Londres. Saisie par la ressemblance entre les empilements de palettes de containers et ces immeubles à la construction inachevée qu'on voit partout à Beyrouth, l'artiste y exprime aussi sa vision des villes « édifiées grâce aux échanges commerciaux. À commencer par Beyrouth, ville portuaire qui s'est construite principalement autour de ces échanges... ».

 

De lourdes charges
Moins évidente, l'installation au sol, Shipping Container Floor, se présente comme une longue feuille bleue (234 x 590 cm) à motifs évoquant des lattes de bois. Il s'agit d'une reproduction à l'identique, mais en papier mâché, du plancher normalement en bois dur d'un container de transport de marchandises. Élaborée à partir de papier carbone (utilisé généralement dans les administrations pour les duplicatas des reçus et des inscriptions sur registres), qui lui donne sa couleur bleue et la fragilité de sa texture, cette œuvre joue sur l'idée d'allègement du poids du réel de toutes choses, même d'un sol de container censé supporter de très lourdes charges...
De prime abord trop minimaliste et trop dépouillée pour impressionner, cette exposition soulève cependant dans l'esprit des visiteurs un questionnement ténu sur les secrètes correspondances qui tissent la matérialité et l'immatérialité du monde. Des interrogations ou commentaires qu'ils peuvent d'ailleurs consigner sur un long pan de mur dans la galerie que l'artiste a recouvert de silver scratch ink, cette matière métallique qu'on gratte sur les cartes de recharge de téléphone ou les billets de loterie et qu'elle a mis à leur disposition.

*Secteur du port de Beyrouth, 1 339 Marfa'. Horaires d'ouverture : du mardi au vendredi, de 12h à 19h, et les samedis, de 14h à 19h. Tél. : 01/571636.

Entre Beyrouth et Londres


Des études de beaux-arts à Londres, d'abord à la Central Saint Martins, puis à la Royal Academy School, couronnées par un doctorat de la University of East London, l'artiste trentenaire partage son temps entre Beyrouth et la capitale britannique. C'est sa première exposition solo dans la capitale libanaise. Elle a, à son actif, plusieurs participations à des expositions collectives, dont « Exposure » au Biel en 2012 et Art Basel l'année passée, dans le cadre de « Statement », une plateforme sélective de promotion des artistes émergents.

 

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