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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’addiction est la maladie de la séparation avec la mère (suite)

Nous avons vu la dernière fois combien est importante la séparation entre la mère et l'enfant. Le jeu de la bobine, du Fort/Da, observé par Freud et décrit dans le dernier article nous montre bien que dès l'acquisition du langage, l'enfant trouve le moyen de symboliser cette séparation. Donald Woods Winnicott (1896-1971), pédiatre puis psychanalyste, a observé de son côté comment se débrouillait l'enfant pour arriver à cette séparation.

Ainsi, il a saisi que l'enfant n'arrivait pas à se séparer directement de la mère, qu'il lui fallait un objet substitutif pour cela. Il a appelé cet objet « L'objet transitionnel ». Cet objet, nous l'avons tous connu et nous pouvons tous l'observer chez un enfant d'environ un an, voire deux ou trois ans. Il s'agit d'un nounours, d'un jouet, d'un morceau de tissu que l'enfant va suçoter avant de dormir particulièrement. En cela, l'objet transitionnel est le substitut du sein.
Cet objet est transitionnel parce qu'il désigne le passage d'un état où l'enfant est encore fusionné avec le corps de la mère à un état où il en est séparé. Il lui est plus facile de constituer cet objet substitutif de la mère et de s'en séparer, plutôt que de se séparer directement de sa mère. L'enfant va aimer et s'attacher à cet objet transitionnel, il va aussi le détester et le rejeter. Son ambivalence à son égard remplace l'ambivalence à l'égard de la mère. À un moment donné, l'enfant va se débarrasser de l'objet transitionnel, il ne l'intéressera plus. La séparation avec la mère est alors faite.

Dans l'addiction, les sujets dépendants de la drogue, tout genre de drogues, cherchent toujours à se séparer de la mère. Joyce McDougall fait l'hypothèse suivante : les personnes qui souffrent d'addiction n'ont pas réussi, dans leur enfance, à créer un objet transitionnel. Pour des raisons diverses liées autant à la mère qu'à l'enfant, raisons que j'ai décrites sous leurs formes cliniques dans L'Orient-Le Jour du jeudi 18 février, l'enfant n'arrive pas à se séparer de sa mère et la mère n'arrive pas à se séparer de l'enfant. Joyce McDougall relate le cas d'un patient qui lui dit : « Sans moi, Maman tomberait en morceaux. » Ce cas clinique résume assez bien la très grande difficulté de la séparation mère/enfant. Cette absence d'objet transitionnel qui aurait permis à l'enfant de se séparer de sa mère dans l'enfance sera remplacée, chez la personne adulte souffrant d'addiction, par ce qu'elle appelle « l'objet transitoire ».

La fonction de cet « objet transitoire » est de permettre la séparation avec la mère, séparation qui n'a donc pas eu lieu dans l'enfance parce que l'enfant n'a pas pu construire son objet transitionnel. La drogue et tout objet d'addiction remplissent donc des fonctions maternelles. Le meilleur exemple est le terme de sevrage. Combien de fois les patients toxicomanes, leurs parents, leurs psychiatres, l'équipe soignante qui les accueille dans les services spécialisés utilisent le mot de sevrage, sans jamais réaliser le poids de ce mot. Le sevrage est le but que se donnent le patient toxicomane et toutes les personnes concernées par lui. Il s'agit, pendant la cure de désintoxication qui se fait à l'hôpital, de donner au patient les médicaments nécessaires pour pallier aux souffrances et aux douleurs dues au manque. L'absence de drogue est insupportable, tant sur le plan physique que psychique. Le terme de sevrage indique ce temps où le patient doit renoncer à sa drogue.

« Un bébé, ça n'existe pas »
On voit bien, comme le décrit Joyce McDougall, comment l'objet drogue remplace la fonction maternelle, l'objet maternel. Cet objet transitoire est en fait une tentative permanente mais avortée de se séparer de la mère. Si la future personne souffrant d'addiction n'a pas réussi dans l'enfance à se séparer de la mère grâce à l'objet transitionnel, c'est, comme le dit Winnicott, parce qu'« un bébé, ça n'existe pas ». Ce qui veut dire que le bébé est dans une symbiose totale avec sa mère. On ne peut les comprendre séparément. De l'extérieur, on voit deux personnes différentes mais en fait, il y a une « constellation mère enfant ». La mère, à qui il est demandé d'être « suffisamment bonne » ou « adéquate sans plus », éprouve le besoin de son bébé de se fondre avec elle et y répond par le même sentiment de se fondre avec lui.

Si cette fusion persiste au-delà des quelques premières semaines de la vie, le bébé, en totale dépendance avec sa mère, reçoit les projections maternelles comme si elles étaient les siennes. Pour des raisons liées à son enfance et particulièrement à sa relation avec sa propre mère, la mère du futur toxicomane n'arrive pas à se séparer de lui. Et l'enfant, futur patient addicté, par crainte d'abandonner sa mère qui est elle-même dépendante de lui, cherchera dans la drogue une mère de substitution, dont il voudrait se séparer pour se séparer enfin de sa mère, mais qu'il aura beaucoup de mal à le faire.

 

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