Rechercher
Rechercher

Liban - Liban

Loi sur les loyers : En maintenant le flou, les autorités veulent pousser propriétaires et locataires à s’entendre à l’amiable

L'ouverture de la deuxième session parlementaire ordinaire, en mars, fournira-t-elle l'occasion au Parlement de voter les amendements à la loi sur les loyers ? Rien n'est moins sûr.

Les manifestations des anciens locataires aboutiront-elles ? Photo Ani


La mise en application de la loi sur les anciens loyers en est déjà à sa deuxième année. Elle est exécutoire depuis le 27 décembre 2014. Mais en l'absence d'un Parlement susceptible d'étudier les amendements proposés par la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, suite à la décision du Conseil constitutionnel d'annuler quelques articles de cette loi (les articles 7, 13 et le paragraphe B-4 de l'article 18 ; voir encadré), elle continue de susciter la polémique et de diviser anciens locataires et propriétaires. Car elle est incomplète, incapable pour l'instant de résoudre d'éventuels litiges, ou de trouver une alternative pour les anciens locataires sans ressources ou à petit revenu, qui n'ont pas les moyens d'assumer l'augmentation de leur loyer. Cette loi est, de plus, particulièrement « compliquée », au point que « certains magistrats n'y comprennent rien », comme le constate un avocat à la Cour, Me Élie Assaf.


Résultat : aussi bien les anciens locataires que les propriétaires sont confrontés à deux choix : aller en justice avec ce que cela comporte comme coûts et tracasseries, ou parvenir à un accord à l'amiable entre les deux parties. Un accord qu'encourage fortement le Conseil constitutionnel dans sa synthèse de la loi sur les loyers. « Dans une situation cumulée et enchevêtrée durant plus d'une génération, il est nécessaire d'étendre les processus de médiation, d'arbitrage et d'accords à l'amiable, évitant les recours aux tribunaux, recours onéreux pour les deux parties et qui surchargent la justice sans garantie suffisante quant à la rapidité du règlement judiciaire », dit la synthèse.


Selon une source judiciaire informée, c'est effectivement dans l'objectif de pousser les deux parties à trouver un terrain d'entente que les autorités laissent volontairement traîner le dossier. C'est surtout la raison pour laquelle la création de la Caisse de solidarité se fait attendre. « Si cette caisse avait été créée au lendemain de l'application de la loi, tous les locataires sans exception se seraient précipités pour présenter une demande d'assistance, note la source. Lorsque cette caisse sera formée, seuls les locataires réellement nécessiteux en bénéficieront », les autres ayant déjà assumé une augmentation de loyer, négociée avec leurs propriétaires, ou envisagé une solution alternative. Et la source d'ajouter que l'augmentation de loyer est « supportable » durant les quatre premières années.

 


(Repère : Liban : Décryptage de la loi de libéralisation des loyers anciens)

 

Des situations dramatiques
Mais les choses ne semblent pas évidentes pour les anciens locataires, principalement les personnes âgées et les retraités sans enfants, même ceux de la classe moyenne, mis au pied du mur par des propriétaires déterminés à récupérer leurs droits bafoués. Conscients, certes, de l'injustice qui touche les anciens propriétaires depuis près de 70 ans (par le biais d'une loi exceptionnelle en vigueur depuis 1948), ces locataires n'en ressentent pas moins une vive inquiétude : pourront-ils assumer la sensible augmentation de leur loyer, même progressive ? Seront-ils contraints de déménager ? Qu'adviendra-t-il des personnes âgées sans ressources ni retraite, alors que la Caisse de solidarité envisagée par la loi n'a toujours pas vu le jour ?
« Mon loyer était de 700 dollars par an environ. Mais c'est 1 000 dollars que je devrai débourser chaque mois d'ici à quelques années », déplore un habitant de Chiyah. « Mon propriétaire qui évoque un règlement à l'amiable me réclame déjà l'augmentation avec les arriérés. Comment assumer, alors que j'ai perdu l'un de mes deux emplois, que mon salaire plafonne à 800 dollars et que j'ai un fils malade à charge ? Est-ce vraiment un règlement à l'amiable, en l'absence d'une caisse ? » demande ce standardiste d'un certain âge, inquiet à l'idée de devoir vendre le seul bien qu'il possède, un terrain légué par son père.


La situation d'un habitant d'Achrafieh à la retraite est autrement plus dramatique. « Je gagnais confortablement ma vie. Mais aujourd'hui, je n'ai plus de rentrées. Je n'ai pas les moyens de payer un loyer qui atteindra 2 000 dollars par mois d'ici à quelques années, selon l'expertise présentée par le propriétaire de mon appartement. Je ne peux même pas assumer un loyer de 1 000 dollars par mois, alors que mon loyer n'atteignait pas 400 dollars par an », déplore l'homme qui tient, lui aussi, à garder l'anonymat. Convaincu que la loi n'est toujours pas applicable car « incomplète et peu claire », ce retraité attend que les amendements proposés par la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice soient adoptés par le Parlement. Et il persiste dans son refus de permettre aux experts désignés par son propriétaire l'accès à son appartement, estimant qu'ils n'ont « aucune qualité pour agir en justice ». « Mon propriétaire a refusé de considérer mon règlement de l'ancien loyer comme une avance, dans l'attente de la finalisation de la nouvelle loi. J'ai donc remis le montant au notaire », explique-t-il. Ce retraité vient tout juste de recevoir un avertissement de l'avocat de son propriétaire. Mais il s'entête. « Ne peut-il pas patienter, le temps que cette loi soit clarifiée ? » demande-t-il.

 

(Voir aussi, le dossier spécial du Commerce du Levant : Que dit la loi sur la libéralisation des loyers ?)

 

Aucune stratégie de l'habitat
Selon l'un des membres du Comité de défense des droits des anciens locataires, Antoine Karam, « nous allons assister à des drames », plus particulièrement au sein d'une catégorie de la population, les personnes âgées défavorisées et les célibataires à la retraite sans ressources. « Une vieille dame démunie envisage déjà le suicide », lance cet architecte, dans une mise en garde. La faille, estime-t-il, réside dans « l'échec des autorités à adopter une stratégie de l'habitat » parallèle à la nouvelle loi sur les loyers, estime-t-il. Ces mêmes autorités ont échoué à mettre en place une politique de santé et un plan de retraite. « L'État est victime de l'injustice qui a longtemps touché les anciens propriétaires. Mais cela ne justifie pas une nouvelle injustice envers les anciens locataires », martèle-t-il, observant par ailleurs que c'est le maintien des anciens baux qui a contribué à l'importante plus-value des biens-fonds.


M. Karam accuse ainsi la nouvelle loi « de déplacer vers des zones périphériques les populations les moins privilégiées des villes côtières (Beyrouth, Saïda, Tyr, Tripoli, Jounieh, Jbeil), afin de transformer le pays en Solidere II ». Une hypothèse vérifiée par une étude de l'Ifpo qui a dénoncé les risques de gentrification de la ville de Beyrouth et de perturbation du tissu social de la ville. Quelle option ont aujourd'hui les anciens locataires ?


« Faire pression dans la rue, afin qu'ils puissent bénéficier de droits en contrepartie », répond-il sans hésiter.
Ces revendications sont totalement légitimes, reconnaît la source judiciaire informée qui constate que « l'État a adopté une loi qui peut être considérée comme équitable et juste. Mais il a ignoré le locataire dans l'incapacité d'assumer l'augmentation, car il a échoué à mettre en place un programme social à son intention, associé à un système efficace de transports en commun ». En revanche, poursuit la source, « il n'était plus permis de continuer à bafouer les droits des anciens propriétaires qui vivaient dans la misère, d'autant que l'ancienne loi bloquant les loyers revêtait un caractère exceptionnel ».
Les exemples sont nombreux, comme celui de ce père de famille contraint de travailler dans les pays arabes durant de longues années car il ne parvenait plus à vivre décemment des revenus de son immeuble. « Pourquoi ai-je dû m'exiler loin de ma famille, alors que j'aurais pu vivre décemment de l'immeuble construit par mon père à la sueur de son front ? »
demande-t-il, déterminé à récupérer ses droits, tout en préservant des relations cordiales avec ses anciens locataires.

 

(Pour mémoire : Tentatives controversées d'appliquer la nouvelle loi sur les loyers)

 

Des zones d'ombre dans la loi
Les choses ont été tout aussi difficiles pour Fadia Y. et sa famille, les revenus de leur immeuble à Kfar Habab ne rapportant même pas de quoi leur permettre de vivre. « Fort heureusement, mes sœurs et moi avons chacune un métier qui nous a permis de prendre notre mère à charge après le décès de notre père, et de retaper l'immeuble à nos frais. » Mais face à la complexité de la nouvelle loi, la propriétaire hésite encore à réclamer à ses anciens locataires la moindre augmentation. Elle préfère attendre. « Je crains d'embêter mes locataires, alors que le dossier n'est pas maîtrisé. Même mon avocat parle de zones d'incertitude dans la loi », affirme-t-elle.
La nécessité de réparer l'injustice vis-à-vis des anciens propriétaires n'est certes pas la seule finalité de la loi sur les loyers. « Derrière cette loi, il existe une volonté de la Banque du Liban d'encourager les crédits à l'habitat et donc de pousser les anciens locataires à envisager l'achat d'un appartement comme alternative à la hausse de leur loyer, affirme Me Élie Assaf. C'est dans cet objectif que le citoyen est sollicité au quotidien par les banques locales, par SMS », constate-t-il. Sauf que cette volonté officielle n'explique pas comment les personnes âgées et sans ressources réussiront à contracter un prêt bancaire et à financer l'achat d'un appartement.
Dans ce contexte difficile, les locataires réticents risquent-ils l'expulsion, aujourd'hui ?
« Aucun jugement d'éviction n'a été prononcé jusque-là pour refus d'application de la loi sur les loyers », affirme à L'OLJ le président du Conseil d'État, Chucri Sader. Il explique que « la reprise des biens-fonds par les propriétaires ne s'est faite que dans deux cas de figure, la nécessité familiale ou la destruction de l'immeuble ». Une reprise qui ne se fera « qu'en contrepartie d'une indemnisation versée aux locataires, désormais plus importante ».
Mais les choses ne sauraient tarder, nombre de propriétaires ayant décidé de recourir à la justice face au refus catégorique des locataires récalcitrants. À ces derniers de prouver leur bonne foi, mais aussi de prouver que leur contestation est assez sérieuse pour ne pas être expulsés de leur logement... À moins d'accepter de s'asseoir à la même table que leur propriétaire pour négocier.

---

L'invalidation de quelques articles par le Conseil

constitutionnel n'empêche pas la loi d'être exécutoire

Dix députés ont présenté un recours en invalidation de la loi sur les loyers auprès du Conseil constitutionnel, alors que cette loi avait été adoptée à l'unanimité. Il s'agit de Abdel Latif Zein, Agop Pakradounian, Kassem Hachem, Walid Succariyé, Ziad Assouad, Nadim Gemayel, Nawaf el-Moussaoui, Bilal Farhat, Élie Marouni et Fadi el-Haber.
Rejetant cette demande d'invalidation, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi est exécutoire, donc applicable. Il en a cependant invalidé les articles 7 et 13, ainsi que l'alinéa B-4 de l'article 18. A donc été invalidée la commission spéciale d'experts chargée de l'évaluation du bien-fonds, car sa décision était irrévocable, non susceptible de recours. Or cette invalidation rend impossible la résolution d'éventuels litiges entre propriétaires et locataires. Le Conseil constitutionnel a également annulé pour vice d'inconstitutionnalité la Caisse mutuelle censée venir en aide aux locataires dont le revenu mensuel n'atteint pas le triple du salaire minimum, ainsi qu'aux personnes âgées seules et sans revenu. Quant à l'alinéa B-4 de l'article 18, il met en œuvre le fonctionnement de la Caisse mutuelle en référence à la commission.
L'objectif était de permettre, d'une part, « la création d'une commission d'experts suivant le principe du double degré de juridiction », et de favoriser, d'autre part, « la création d'un fonds d'entraide dépourvu de tares constitutionnelles », qui fonctionnerait avec effet rétroactif, à partir de la date de mise en vigueur de la loi, afin de préserver les droits des anciens locataires, note une source judiciaire informée qui requiert l'anonymat.
L'invalidation de ces trois textes a certes « compliqué encore plus l'application d'une loi déjà très compliquée, comme le note Me Élie Assaf, car en cas de désaccord, « la loi est bloquée ». Cela n'empêche pas la loi d'entrer en vigueur. « Le Conseil constitutionnel n'a pas annulé la loi. Celle-ci est donc exécutoire, mis à part les textes écartés », assure la source judicaire. Et de préciser qu'« une loi incomplète n'est pas un vide juridique, toute loi étant par nature incomplète », et que la loi sur les loyers est « expérimentale ». Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a certes invalidé ces textes, « mais il ne peut en aucun cas obliger le Parlement à modifier la loi », car il n'a pas de pouvoir contraignant à l'égard de la Chambre.

---

Les amendements adoptés en commission parlementaire

pourraient ne pas être votés par le Parlement

La commission parlementaire de l'Administration et de la Justice a adopté trois amendements majeurs à la loi sur les loyers, suite à l'invalidation de certains textes décidés par le Conseil constitutionnel. Le député Robert Ghanem, président de la commission, explique ces amendements à L'Orient-Le Jour.
La commission « a abaissé l'estimation de la valeur locative du bien-fonds de 5 % à 4 % de sa valeur immobilière », précise-t-il.
Jugée inconstitutionnelle, la Caisse de solidarité sera remplacée par « un fonds spécial d'aide aux anciens locataires » qui présentent une demande d'assistance. « Ce fonds prendra en charge 100 % de l'augmentation du loyer, pour les foyers dont le revenu n'excède pas trois fois le salaire minimum. Les foyers dont le revenu se situe entre trois fois et cinq fois le salaire minimum assumeront le tiers de l'augmentation, et le fonds les deux tiers », souligne-t-il encore.
Quant à la commission d'experts chargée de l'évaluation des biens-fonds, elle répondra « au principe du double degré de juridiction ». Ce qui signifie que sa décision n'est pas définitive et peut faire l'objet d'un appel.
« Ces amendements sont aujourd'hui devant l'assemblée plénière », explique Robert Ghanem. Pour être adoptés définitivement, il faudrait déjà que le Parlement se réunisse. « Lorsqu'il y aura une séance, le président du Parlement, Nabih Berry, soumettra ces amendements au vote », indique le député. Cette séance pourrait avoir lieu dès le premier mardi après le 15 mars, à l'occasion de l'ouverture de la deuxième session ordinaire parlementaire de l'année.
Une source judiciaire informée note cependant que « ces amendements pourraient aussi ne pas être discutés au Parlement, mais être relégués aux oubliettes, car la loi sur les loyers est une loi programme » avec un objectif et des engagements (qui doit être prise dans sa totalité). Elle conclut toutefois que « des réajustements sont possibles ultérieurement par des amendements législatifs et des décrets d'application ».

 

 

 

 

La mise en application de la loi sur les anciens loyers en est déjà à sa deuxième année. Elle est exécutoire depuis le 27 décembre 2014. Mais en l'absence d'un Parlement susceptible d'étudier les amendements proposés par la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, suite à la décision du Conseil constitutionnel d'annuler quelques articles de cette loi (les articles...

commentaires (1)

On revient au même refrain comment sauver le locataire qui n'est et ne sera jamais pauvre vu que nous vivons dans un pays tribal et laisser au propriétaire le choix d 'aller en justice , justice qui a déserté le pays depuis belle lurette .

Sabbagha Antoine

08 h 08, le 07 mars 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • On revient au même refrain comment sauver le locataire qui n'est et ne sera jamais pauvre vu que nous vivons dans un pays tribal et laisser au propriétaire le choix d 'aller en justice , justice qui a déserté le pays depuis belle lurette .

    Sabbagha Antoine

    08 h 08, le 07 mars 2016

Retour en haut