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Liban - L’éclairage

Des pressions saoudiennes pénibles mais provisoires

Nombreuses sont les interprétations qui ont été données aux mesures vexatoires prises par l'Arabie saoudite et les pays du Golfe contre le Liban. Certains y ont vu une conséquence naturelle du comportement du Hezbollah au niveau de la crise régionale, et notamment son engagement militaire auprès des forces du régime en Syrie, ainsi que de ses attaques systématiques contre le royaume wahhabite, dans la foulée des deux crises au Yémen et au Bahreïn. D'autres y ont vu l'expression d'une nouvelle politique suivie par Riyad depuis l'accession du roi Salmane à la tête du royaume et la nomination de cadres jeunes pour la gestion des affaires publiques.


Afin de comprendre la pression saoudienne exercée actuellement sur le Liban, il serait intéressant de se pencher sur l'évolution de la politique saoudienne depuis l'arrivée du roi Salmane au trône.
Force est de constater que Riyad est passé, avec Salmane, de la défensive à l'offensive, allant même jusqu'à lancer des opérations militaires en dehors de son territoire, notamment au Yémen, pour contrer le mouvement insurrectionnel lancé par les houthis qui essayaient de prendre le contrôle de ce pays. Le changement de la politique saoudienne consistait donc à se poser en obstacle majeur devant la réalisation des ambitions iraniennes, et notamment devant l'appétit expansionniste de Téhéran qui, dans la foulée du printemps arabe, voulait affermir son influence en Irak, en Syrie, au Yémen et au Liban. Il est intéressant de rappeler dans ce cadre des propos tenus en 2014 par Ali Akbar Velayati, conseiller principal du guide suprême iranien, Ali Khamenei, selon lesquels « l'influence actuelle de l'Iran s'étend du Yémen au Liban ». Il avait à la même occasion ouvertement exprimé l'espoir que les Ansarullah (les houthis) joueraient au Yémen le même rôle assumé par le Hezbollah au Liban.

 

(Lire aussi : La stratégie de la tension des pays du Golfe peut-elle ébranler l’économie ?)


La nouvelle politique saoudienne se caractérise par une grande autonomie et beaucoup d'initiatives, comme l'ont montré les rapports entretenus par Riyad avec les États-Unis lors des négociations au sujet du dossier nucléaire iranien, ainsi qu'avec la Russie au sujet de la crise syrienne. Pour empêcher que le coup d'État lancé par les houthis au Yémen ne réussisse, l'Arabie saoudite n'avait pas hésité à lancer une opération militaire dans ce pays, qu'elle avait baptisée « Tempête de la fermeté ». Parallèlement, Riyad avait refusé toutes les invitations iraniennes à ouvrir une nouvelle page dans leurs rapports après la signature de l'accord sur le nucléaire, en posant comme condition, pour accéder aux vœux de Téhéran, que celui-ci mette fin à ses ingérences dans les affaires intérieures des pays arabes et à retirer les combattants des gardiens de la révolution et du Hezbollah de Syrie. Il n'a pas non plus hésité à rompre ses relations diplomatiques avec l'Iran consécutivement aux attaques lancées contre son ambassade et son consulat à Téhéran après l'exécution, par les autorités saoudiennes, d'un cheikh saoudien chiite opposant, Nimr el-Nimr. L'Arabie avait considéré les protestations iraniennes contre l'exécution du cheikh saoudien comme une ingérence dans ses affaires intérieures.


Pour toutes ces raisons, d'aucuns pensent que les mesures adoptées par Riyad contre le Liban sont ponctuelles et ne sont que l'expression d'un ras-le-bol saoudien qui s'est exacerbé avec l'amplification de la campagne menée par le Hezbollah contre le royaume depuis l'exécution du cheikh Nimr. Un diplomate arabe installé à Paris y croit ferme et assure que l'Arabie saoudite ne nourrit aucune hostilité à l'encontre du Liban et de son peuple, en dépit des atteintes qui lui ont été portées par le Hezbollah, dont la direction avait mis dans le même sac le royaume wahhabite, Israël et Daech, estimant que les trois représentent le même danger.
Ce diplomate explique que l'Arabie saoudite en a assez du comportement d'une partie représentée au gouvernement et qui foule aux pieds la déclaration ministérielle et la déclaration de Baabda (de juin 2012), en s'arrogeant le droit d'envoyer des hommes combattre en Syrie, en Irak, au Yémen, à Bahreïn, en Égypte, suivant ses propres intérêts et ceux de l'autorité dont elle dépend.


S'il insiste sur le fait que les mesures saoudiennes contre le Liban sont provisoires, ce diplomate reconnaît cependant qu'elles portent préjudice au Liban et ternissent sa réputation à l'échelle internationale. Il révèle que la France, les États-Unis ainsi que d'autres États occidentaux ont engagé une médiation discrète pour essayer de régler le problème qui s'est posé depuis que l'Arabie a suspendu son aide militaire à l'armée et appelé ses ressortissants à quitter le Liban. Il est intéressant de relever dans ce contexte qu'en dépit du gel du contrat entre Riyad et Paris, les usines françaises continuent de fabriquer les armes commandées par l'Arabie saoudite, en fonction des spécifications précisées par le Liban dans sa liste de matériel soumise aux deux parties.


Toujours selon le même diplomate, les mesures saoudiennes visent le gouvernement et les responsables libanais et non pas le peuple. Aussi n'est-il pas question pour Riyad de retirer ses dépôts bancaires, notamment le milliard de dollars déposé auprès de la Banque centrale. Quant aux mises en garde des pays du Golfe à leurs ressortissants à qui ils ont interdit de se rendre au Liban, elles doivent être situées, estime-t-il, dans le cadre de précautions prises en prévision de développements qui pourraient intervenir au niveau de la sécurité. Selon un ministre libanais, ces mises en garde sont principalement liées aux développements sur le terrain en Syrie où l'on s'apprête à instaurer un cessez-le-feu, d'autant que le Conseil de sécurité pourrait le proclamer sous le chapitre sept de la Charte des Nations unies, ce qui permet à l'Onu d'intervenir militairement en cas de menace pour la paix.


De sources concordantes, on souligne qu'il n'est pas question pour l'Arabie saoudite, qui a toujours soutenu le Liban, de le lâcher en ce moment précis et de le jeter dans la gueule du loup, c'est-à-dire de laisser la voie libre aux Iraniens pour y asseoir davantage leur influence.
Il n'en demeure pas moins que le diplomate arabe installé à Paris juge nécessaire pour les Libanais de faire attention au nouveau style d'action saoudien et d'agir en conséquence, en prévision des efforts qui doivent être menés pour tourner la page du différend qui vient d'émerger et pour en ouvrir une autre, qui devra tenir compte du rôle de premier plan que le jeune commandement saoudien semble déterminé à assumer dans le cadre d'une révision de la carte de la région. Riyad semble prêt en effet à faire face aux puissances régionales et à jouer un rôle de premier plan dans le combat contre le terrorisme et l'extrémisme sunnite, comme le montre la manœuvre militaire organisée à son initiative près de sa frontière avec l'Irak, avec la participation d'unités militaires de vingt États. La manœuvre est baptisée « Tonnerre du Nord » et ce sont les forces armées de la Coalition islamique antiterroriste, mise en place en décembre dernier par le jeune ministre de la Défense, Mohammad ben Salmane, par ailleurs vice-prince héritier, qui y prennent part.

 

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