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Moyen Orient et Monde - Analyse

En Iran, il faut que tout change... pour que rien ne change

Ni Rohani ni Khamenei n'ont intérêt à voir basculer le Parlement du côté des réformateurs ou des ultraconservateurs.

Des affiches électorales dans une rue de Téhéran hier. Raheb Homavandi/Reuters

Aujourd'hui, les Iraniens éliront leurs représentants au Parlement et à l'Assemblée des experts. Ces échéances interviennent quelques semaines après la levée des sanctions et dans un contexte où la compétition pour la prochaine présidentielle fait déjà rage. Après les débats intenses concernant les orientations de la politique extérieure, la vie politique iranienne se tourne de nouveau vers les questions intérieures.
La libéralisation du régime est-elle possible grâce à un ralliement des électeurs à la ligne d'ouverture du président Rohani ? Rien n'est moins sûr : le nationalisme et la fidélité à la figure de l'ayatollah Khomeyni cimentent la classe politique, par-delà la division souvent surestimée entre conservateurs et réformateurs.

 

La compétition électorale sans la démocratie ?
La République islamique d'Iran peut paraître étrange : c'est une théocratie qui tient régulièrement des élections. Les échéances d'aujourd'hui seront-elles authentiquement démocratiques ? En ce qui concerne les législatives, le corps électoral est assurément large : tous les citoyens iraniens de plus de 18 ans, soit 55 millions d'électeurs, sont admis à voter ; les partis en lice sont nombreux (14). Toutefois, le caractère démocratique de l'élection est limité par la forte sélection des candidats. Sur plus de 12 000 candidats, près de 6 000 ont été écartés par le Conseil des gardiens de la Constitution.
En ce qui concerne les élections à l'Assemblée des experts, la sélection des candidats par le Conseil des gardiens de la Constitution est encore plus forte et comporte des critères religieux. C'est l'élection des 88 experts qui constituera l'échéance majeure, aujourd'hui, car ce corps a des pouvoirs étendus : il doit notamment choisir le successeur du guide suprême, Ali Khamenei, actuellement atteint d'un cancer.

 

(Portrait : Hassan Rohani, un « cheikh diplomate » ambigu)

 

Après l'obsession nucléaire, le retour des questions socio-économiques
Les élections législatives ont pour premier enjeu la modernisation de l'économie et l'amélioration du bien-être social après les deux mandats de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad pendant lesquels la croissance a été atone.
Le premier défi du Parlement sera le redressement économique : si l'Iran possède une dette publique relativement faible (16 % du PIB), sa situation économique est précaire : le taux de chômage chez les jeunes atteint 25 % ; les infrastructures industrielles sont obsolètes ; l'inflation atteint 9,4 %. Le pays a besoin de réformes profondes pour encourager l'investissement. Or le paysage industriel et économique souffre de plusieurs faiblesses : la mainmise des gardiens de la révolution sur certains secteurs (bâtiment, agriculture) et la chute des cours mondiaux des hydrocarbures.
Les réformes sociales constitueront le deuxième enjeu : l'exode rural, le chômage des jeunes diplômés, le développement de la classe moyenne seront l'enjeu d'une lutte entre les partisans du statu quo et les équipes du président Rohani. Les attentes populaires sont aujourd'hui fortes dans le domaine des biens de consommation, comme l'a montré le film de 2015, Le taxi de Téhéran.
Quant à l'élection de l'Assemblée des experts, elle aura pour principal enjeu la succession du guide suprême, Ali Khamenei. L'équilibre est difficile à trouver : l'élection d'une Assemblée trop conservatrice ou trop libérale remettrait en cause son seul objectif : la survie du régime. La libéralisation du régime ne pourra pas être à l'ordre du jour. L'objectif des autorités est d'alimenter le nationalisme politique tout en ouvrant très progressivement l'économie aux investisseurs étrangers. À court terme, un équilibre entre conservateurs et libéraux au sein de l'Assemblée des experts conviendrait parfaitement à cet objectif.

 

(Commentaire : À travers Gholam Ali Haddad Adel, la haine médiatique face aux néo-principalistes iraniens)

 

Un seul mot d'ordre : éviter les turbulences
Si le dépouillement des scrutins est traditionnellement long en Iran, plusieurs tendances sont prévisibles. Tous les partis et factions en présence partagent l'objectif cardinal de pérenniser le régime. Ni le président actuel Hassan Rohani, issu lui-même du système, ni Ali Khamenei, n'ont intérêt de voir basculer le Parlement du côté des réformateurs ou des ultraconservateurs – un tel mouvement ne ferait qu'affaiblir in fine la république en portant sur le devant de la scène une des lignes de fracture internes de l'Iran.
L'Assemblée des experts, structurellement plus cléricale et plus conservatrice, sera elle probablement à l'image des élites actuellement en place, rivales pour les positions de pouvoir mais alignées sur les questions de régime. Après une période de réorientation diplomatique et à l'orée d'une ouverture économique, les élections iraniennes, fortement contraintes par les forces de rappel internes, aboutiront sans doute à une continuité politique afin d'éviter tout scénario révolutionnaire.

 

*Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris et dirige le site de géopolitique EurAsia Prospective: @cy_bret
Rémi Drouin est spécialiste de l'islam, de l'Iran et du Moyen-Orient, diplômé d'Oxford, département d'études perses, et de Sciences Po Paris

 

 

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