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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Au Yémen, l’EI déterminé à piétiner les plates-bandes d’el-Qaëda

Pour supplanter son rival, le groupe jihadiste d'Abou Bakr al-Baghdadi entend profiter, surtout, de son exposition internationale et de son radicalisme idéologique poussé à l'extrême.

Les jihadistes d’el-Qaëda dans la péninsule Arabique (Aqpa) sont en conflit ouvert avec un nouveau venu au Yémen, l’État islamique (EI). Photo archives AFP

La mort est leur métier. Au Yémen, l'État islamique (EI) et el-Qaëda mènent une course effrénée aux attentats, aux exécutions et au chaos dans le but tristement paradoxal de séduire. Dans ce conflit qui oppose les rebelles chiites houthis installés dans le nord-est du pays à une coalition arabo-sunnite dirigée par l'Arabie saoudite, les deux groupes terroristes redoublent d'efforts, de leur côté, pour montrer aux recrues potentielles leur supériorité chacun sur l'autre.

La présence de forces jihadistes au Yémen n'est pas uniquement le fait de la guerre civile, qui s'est déclarée en 2014. El-Qaëda et l'EI, les deux hydres du terrorisme jihadiste international ? n'ont pas surgi au Yémen avec l'opportunisme dont ils font preuve en Libye par exemple. La nébuleuse de Ben Laden y est implantée depuis le début des années 2000. Dès 2009, les extrémistes d'el-Qaëda chassés d'Arabie saoudite par le gouvernement viennent y trouver refuge et font front commun avec ceux déjà sur place. Lutte contre la monarchie des Saoud, terrorisme international... Très rapidement, le mouvement se fait un nom, celui d'Aqpa (el-Qaëda dans la péninsule Arabique). Il devient l'un des mouvements terroristes les plus dangereux de la planète aux yeux de la communauté internationale et s'enracine dans le sud-est du pays. Aujourd'hui, son ancrage réel bénéficie donc de cette antériorité.

Le réseau jihadiste détient des organes de propagande solides avec les magazines Sada al-Malahem (en arabe) et Inspire (en anglais). Sa structure de revenus est performante, elle vient de son contrôle des installations portuaires comme le port d'al-Mukallah. El-Qaëda avait donc toutes les cartes en main pour être le grand gagnant de la guerre civile et de l'instabilité politique qui l'accompagne. En renforçant ses positions dans le sud du pays, en gangrénant la ville d'Aden, en multipliant les attentats contre les forces houthies, Aqpa répond bien présent.
Mais voilà, sur la scène yéménite comme au niveau international, el-Qaëda voit son encombrant cousin, l'EI, marcher sur ses plates-bandes. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la croissance du groupe d'Abou Bakr al-Baghdadi sur le terrain. Quand le cœur de l'organisation en Syrie et en Irak bat de l'aile, pilonné par les bombardements occidentaux, le Yémen est perçu par l'EI, comme el-Qaëda naguère, comme une terre de repli autant que de conquête.


(Lire aussi : Yémen: fin d'un cessez-le-feu qui n'a jamais fait taire les armes)

 

Se protéger
Combien d'hommes ? Quelle hiérarchie ? Quel lien avec l'organisation centrale en Irak ? « On peut difficilement mesurer ses forces actuelles, si ce n'est par l'importance des opérations menées, mais maintenant il est certain qu'il n'est plus un simple groupuscule indépendant, mais une entité structurée », avance une source diplomatique occidentale basée au Yémen.
« L'EI au Yémen est un groupe fermé sur lui-même, car il évite de commettre les mêmes erreurs de sécurité qu'Aqpa, il vise surtout à protéger ses membres des attaques de drones américains », poursuit la même source. En effet, particulièrement meurtriers ces derniers mois, les drones déciment les leaders d'el-Qaëda. Après l'assassinat de leur leader, Nasser al-Wahichi, numéro deux du réseau mondial en juin dernier, c'est Jalal Belaïdi, un autre membre important du groupe qui est tombé la semaine dernière sous les frappes américaines.

 

(Lire aussi : Engagées au Yémen, les monarchies du Golfe sont moins actives contre l'EI, selon un haut gradé US)

 

Séduire
Se protéger donc, mais séduire également. L'enjeu primordial entre les deux groupes terroristes reste le recrutement, l'attractivité. C'est dans cette course à la recrue que Daech (acronyme de l'EI en arabe) semble prendre le dessus. Parce qu'il bénéficie de son prestige international notamment. Il est désormais le groupe à abattre, les puissances occidentales en font leur cheval de bataille ; il peut donc se poser en premier martyr de « l'islam véritable ». Pour Colette Mazzucelli, professeur à la New York University (NYU) et spécialiste du Moyen-Orient, « la crédibilité de l'État islamique se concentre autour de sa volonté d'utiliser les moyens les plus agressifs possibles dans ses attaques au Yémen, ce qui est attrayant pour les transfuges potentiels d'Aqpa qui sont des jihadistes purs et durs. L'EI vise à capitaliser sur son potentiel pour accroître son prestige dans la conduite des attaques les plus audacieuses, à assassiner des personnalités politiques-clés, de manière à polariser l'attention internationale et de continuer à attirer des recrues locales ».

La conséquence sur le terrain est double. Tout d'abord, de nombreux groupes armés qui combattaient depuis des années pour el-Qaëda rejoignent les rangs de l'EI. Ils sont attirés par cette énorme visibilité internationale, par ce radicalisme idéologique poussé à l'extrême. Face aux houthis, que l'Arabie saoudite et el-Qaëda perçoivent comme un danger chiite appuyé par l'Iran, les deux frères ennemis se retrouvent. L'alliance est purement circonstancielle, elle est loin d'être parfaite, mais cela suffit à jeter un sérieux discrédit sur el-Qaëda aux yeux des recrues potentielles.
Qui mènera le plus « pur » jihad ? Qui rétablira le califat sans « compromission » avec les puissances étrangères ? Sur ce sinistre terrain, Daech est en passe de supplanter el-Qaëda. Pour l'heure, cette lutte prospère, les deux belligérants se renforcent dans le sud du Yémen. Pour l'expert yéménite Mahmoud al-Muslimi, « le futur de l'EI dans ce pays est incontestablement lié au futur de la guerre. S'il perdure dans ces mêmes conditions, l'EI va devenir plus puissant, plus violent et va continuer son expansion ».

 

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