« Moyen-Orient », « Asie Mineure », il y a dans ces appellations occidentales quelque chose d'indécis, de fluctuant : Orient mais pas trop, Asie mais en petit, en format débutant, le genre qui n'a ni l'âge de voter ni celui de passer le permis, et qui doit encore faire signer ses bulletins par son tuteur légal. Innocente géographie où des montagnes accroupies broutent de vastes plaines et lapent sous un ciel radieux les vagues qui viennent mourir à leur pied. Diabolique histoire qui semble ne jamais devoir s'apaiser, sur cette ligne de faille à la croisée de tant de civilisations et de civilisations contraires. Aujourd'hui, on a adjoint à ces contrées toute la bande méditerranéenne de l'Afrique du Nord sous le label Mena, comprendre Middle East North Africa. Pas un pays de cette baie gigantesque, ce long et périlleux chemin de cabotage ouvert par « nos ancêtres » les Phéniciens, où les habitants ne maudissent le sort qui les a fait naître sous de tels auspices.
Le Liban est un cas particulier parmi les passagers de cette lourde galère. N'ayant presque jamais su assumer seul son destin, toujours s'offrant à la convoitise d'un État plus grand, plus adulte, plus vorace, il a développé avec le temps une logique géocentrique à travers laquelle il se croit au cœur des préoccupations des puissances, régionales ou autres. Avec quelle fierté reprend-on chez nous les paroles de De Gaulle : « Vers l'Orient compliqué... » Car l'Orient compliqué, ça a toujours été par ici, approchez messieurs-dames, l'histoire en a pris acte. Voyez comme l'Iran lorgne le littoral libanais pour faire sa jonction rêvée avec l'océan, on se croirait au temps de la Grande Armada. Voyez comme Israël pompe notre eau en douce ! Et plante son désert au goutte-à-goutte rien qu'avec les rivières qu'il nous détourne. Il ne nous reste que des robinets qui crachotent. Car oui, à quoi bon constituer des réserves, assainir les réseaux et gérer les eaux de ruissellement ? Ne rien posséder, c'est déjà ça de pris à l'ennemi. Voyez aussi comme le monde entier lorgne nos réserves d'hydrocarbures, ah, ça, ils peuvent courir ! On ne fera aucun forage et le patrimoine sera sauvegardé. Si ce n'est pas de la résistance ! C'est qu'il a de la dot, ce pays, l'air de rien. Même ses ordures, voyez-vous, ses ordures-mêmes sont un trésor. Il pousse la coquetterie jusqu'à lancer des appels d'offres pour s'en défaire. Ça, il ne l'aurait jamais cru, que quelqu'un veuille bien les lui prendre, les reliefs de ses festins sans grâce et ses reliquats inavoués. Même ses candidats à la présidence, lancés les uns contre les autres comme des gladiateurs de bazar, sont proposés à l'encan. Il n'est pas jusqu'à cette jeunesse qui a perdu le souvenir de l'espoir, qui ne soit proposée sur le marché planétaire. Ça fera toujours résonner les caisses publiques, quand ils iront gagner leur vie ailleurs et enverront quelques sous pour soutenir leurs parents, entretenir un reste de racines.
Ce pays est compliqué, certes. Il est surtout histrionique.
commentaires (10)
À part les mots difficiles à comprendre (je les chercherai dans le dictionnaire), oui Mme. Fifi votre article est magnifique! Les tristes vérités si bien étalées par époques et étapes, font du parcours millénaire de ce petit pays, un drame constant, rarement garni de périodes appelées "âge d'or"! Malheureusement, aucun triste détail ne manque dans votre exposé qui nous mène à votre conclusion: pour les jeunes qui vivront sous des cieux plus cléments, les parents ou grands parents qui seront demeurés au Liban représenteront, dans un proche avenir, "un reste de racines". Qu'il est lourd à vivre ce Liban de mon coeur!!! Ce beau pays défiguré par des libanais, qui ne sont même pas sensibles à cette merveilleuse nature rendue poubelle... Cet article est un document à garder! Merci Mme Fifi!!!!
Zaarour Beatriz
22 h 31, le 04 février 2016