Le fait que la course à la présidence se soit restreinte à deux candidats du 8 Mars, soutenus tous deux par le camp adverse, est une chance inespérée pour le Hezbollah. Ce dernier doit prolonger le statu quo actuel du vide, sans compromettre cette configuration des candidatures.
Fort de son appartenance « intrinsèque » au 8 Mars, le chef des Marada, Sleiman Frangié, se fait l'écho de la stratégie de compromis autour de la présidentielle préconisée par le Hezbollah à cette fin : il a ainsi déclaré dans une conversation avec les médias, rapportée hier par la presse, qu'il ne pouvait « s'exclure arbitrairement (de la présidentielle, NDLR), au risque de conduire le 14 Mars à appuyer un candidat non issu du 8 Mars ».
Mais le fait qu'il soit favorisé par les pointages ne l'incite pas pour autant à se rendre à la prochaine séance électorale – « même si cela pourrait être critiqué au regard de ma qualité de candidat, je boycotterai la séance du 8 février tant que le Hezbollah maintient son boycottage ».
Il se démarque ainsi du courant du Futur, qui dénonce la dénaturation du scrutin par la logique du compromis. Il appelle surtout le général Michel Aoun à tenter de décrocher l'appui de Saad Hariri, tout en sachant pertinemment que cette entreprise a très peu de chances d'aboutir.
Les milieux des Marada révèlent à L'Orient-Le Jour que « le choix » de Sleiman Frangié de ne pas se rendre à l'hémicycle, en faveur de l'exercice démocratique, vise à « ménager ses alliés ».
Et c'est précisément auprès de son allié chiite qu'il mène sa campagne contre le général Aoun. Il a critiqué la représentativité de ce dernier, dont « le bloc parlementaire se serait nettement rétréci, n'étaient les swing votes chiites à Baabda, Jbeil, Kesrouan et Jezzine ». Il a également estimé que « le problème du général Aoun est qu'il présume que le Hezbollah peut me contraindre à me retirer à tout moment de la course ». Ces deux arguments tendent à valoriser l'alliance du Hezbollah avec les Marada.
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C'est ensuite à travers le prisme du discours communautaire chrétien que le député de Zghorta a cherché à désavouer l'entente de Meerab entre Samir Geagea et Michel Aoun. Voulant démontrer surtout que cette entente n'a pour objectif que « de bloquer ma candidature », il a laissé glisser dans son argumentation une référence au passé de guerre qu'il avait pourtant surmonté dans ses discours antérieurs. « Le général Aoun a dit qu'il me considérait comme son fils. Pourquoi donc s'est-il allié à celui qui est responsable de l'assassinat de mon père ? Certains ont estimé que la mise en liberté de Michel Samaha a heurté les sentiments de beaucoup de personnes, mais alors ne faut-il pas ménager les sentiments de Fayçal Karamé, Tracy Chamoun et les proches des victimes de l'armée ? » s'est demandé Sleiman Frangié.
Mais il a ensuite fait une révélation, pour le moins paradoxale au regard du retour aux accusations concernant l'affaire d'Ehden, sur un appui présumé de Samir Geagea à sa candidature, sous conditions, qu'il aurait obtenu dans le cadre du dialogue bilatéral Marada-FL, en juin 2015, à la veille de l'annonce du document d'entente FL-CPL. « L'offre des FL consistait à soutenir le chef des Marada à la présidence en contrepartie de trois engagements : celui de confier le portefeuille de l'Intérieur aux FL, celui de ne pas nommer le général Chamel Roukoz au commandement de l'armée – afin de faciliter la normalisation des rapports entre les FL et l'institution militaire – et celui, enfin, de soutenir ultérieurement la candidature de Samir Geagea à la présidence de la République », ont ainsi rapporté des médias. Ils ont ajouté que le dialogue Marada-FL s'était gelé « pendant près de trois mois » après l'annonce du document d'entente à partir de Rabieh, avant d'être relancé, au moment du rapprochement des Marada avec le courant du Futur, à l'initiative de Youssef Saadé. « Ce dernier a contacté Tony Chidiac afin de l'informer de la rencontre prévue à Paris entre Saad Hariri et Sleiman Frangié et de savoir si la position des FL à l'égard de la candidature hypothétique du second était inchangée. La réponse obtenue était la suivante : si le dossier de la présidentielle est relancé, cela nous permettra de réexaminer notre entente préalable. »
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Alors que le CPL n'a pas commenté hier les propos attribués au chef des Marada, les FL ont publié une longue mise au point sur la teneur de leurs échanges avec les Marada sur la présidentielle. Le communiqué a d'abord souhaité « que le candidat à la présidence, Sleiman Frangié, respecte a minima le secret des entretiens, et sans déformer les propos échangés ».
Le parti a précisé en outre que « dans le cadre des échanges avec les Marada liés à la présidentielle il y a environ un an, l'hypothèse d'un soutien à la candidature de Sleiman Frangié avait été soulevée, sans que nous ne la contestions. Et cela est la plus grande preuve de notre bonne foi envers le député Frangié. Toutefois, nous avions assorti ce soutien à des ententes auxiliaires dont le courant des Marada a révélé son incapacité à honorer. Le débat sur la question s'est alors clos ». Le texte a souligné « l'importance que les FL accordent au commandement de l'armée. Il est donc naturel que nous ayons un avis à cet égard, mais sans plus ». Et de poursuivre : « Il y a près de trois mois, dans le cadre des rencontres régulières entre l'ancien ministre des Marada, Youssef Saadé, et Tony Chidiac, délégué des FL, le premier avait posé la question de savoir si, au cas où Sleiman Frangié réussirait à garantir son élection à la présidence, le parti FL lui opposerait son veto ? La réponse était alors que les FL n'opposent un veto à personne, mais élisent ceux qui rejoignent à un degré acceptable son programme électoral ». Le communiqué a démenti « en bloc » le fait de leur notification préalable, par les Marada, de la rencontre de Paris.
Les FL ont démenti également le fait d'avoir sollicité l'aide des Marada pour entamer un dialogue sérieux avec le Hezbollah. « Ces allégations sont absolument infondées, d'abord pour les raisons politiques qu'on connaît, et ensuite, si l'intention des FL était de se rapprocher du Hezbollah, elles l'auraient exprimée directement, sans la médiation de personne. »
Les FL ont rejeté enfin l'idée selon laquelle leur appui à la candidature de Michel Aoun était motivé par une volonté de bloquer celle de Sleiman Frangié. « Nous rappelons que le rapprochement avec Aoun a commencé de nombreux mois avant la question de la candidature de Frangié. Il serait plus précis de dire que la candidature de Frangié a barré la voie à tout autre candidat centriste ou issu du 14 Mars. Il est donc naturel que les FL appuient, dans ces circonstances, la candidature de Michel Aoun, surtout après l'élaboration d'un document d'entente commun », note enfin le communiqué.
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Le Liban n'existe plus. Il n'y a plus qu'une poignée de communautés qui défend chacune son intérêt personnel et sa supposée intégrité territoriale. Ceci n'est pas un pays.
LS
22 h 29, le 03 février 2016