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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Entre le troisième et le septième, où (dé)coucherons-nous ce soir ?

Regards indiscrets et vaguement voyeurs sur les chassés-croisés nocturnes d'un immeuble beyrouthin où l'on vit en communauté, mais séparément... Il ne reste plus qu'à choisir où passer la nuit.

Photo G.K.

Nous avons l'impression, et cela fait un moment, que Beyrouth a endossé sa tenue de maçon friand, prêt à escalader les échafaudages de l'espoir et piloter les grues du changement... Nous étions donc partis pour saluer bien bas ces efforts d'urbanisme qui rendent la skyline beyrouthine un tantinet plus supportable aux rétines et amènent autant de promesses pour les appétits d'entrepreneurs à cigares et autres fétichistes de buildings. Mais il faut bien admettre que ces quartiers astiqués en deviennent presque insupportables, avec leurs tours qui reflètent leur arrogance dans des façades miroir et leur sage dallage qui sert surtout d'urinoir pour chiens monogrammés. Heureusement, il existe encore dans Beyrouth quelques bâtiments réservés qui sentent l'élégance ternie. Ce sésame pour le bon goût, bribes d'humanité dans une ville qui bascule dans l'anonymat de ses nouvelles bâtisses. Tellement humains que nous nous sommes tous délectés, avouons-le, rien qu'à l'idée presque simplette de s'installer sur un balcon, menton affalé dans la paume, et de mater ce qui se passe chez les voisins d'en face. Manière doucement voyeuriste de squatter l'intimité plus ou moins avenante de leurs intérieurs et ou de rejoindre leurs drôles de vies.

Castafiore de la douche
Ce jeu devient d'autant plus régalant lorsqu'il fait nuit. Quand tout le monde est rentré et que l'obscurité moque les prudences et les pudeurs de ceux qui tirent d'inutiles rideaux. Sans scrupules, allons-y par étage... Au vu et au su de tout le quartier, sinon ce n'est pas drôle, la célibataire du premier catapulte les contraintes de son tailleur qui libère aussitôt l'insouciance de ses rotondités de femme orientale. Comme tous les soirs, à la même heure, elle clopine vers sa baignoire comme plongerait Feyrouz dans le bain de foule de L'Olympia, Adèle au Madison Square Garden ou, pire, Céline Dion au Ceasar's Palace. Persuadée de réserver ses vocalises de pseudojongleuse d'octaves à son seul rideau de douche, c'est l'immeuble tout entier qui se retrouve à grimper aux tringles, criant haro sur cette Castafiore en eau. Même la voisine du second, sourde comme un pot, s'y met, labourant le champ à acariens de sa vieille moquette à coups de canne et de « Sketé, tawachtina ». Pour une fois, ce n'est pas le pauvre époux qui se prendra les foudres de cette femme qui sort ses griffes nacrées à chaque fois que les petits du troisième l'appellent « tante ».

Cage aux folles
C'est d'ailleurs vers les cuisines du troisième que le regard s'aventure. Là où une employée de maison glisse sur les rails des fils de ses écouteurs qui lui servent un karaoké de Whitney Houston. Elle aimerait décoller sur sa planche à repasser pour sans doute (mieux) atterrir chez elle, chez les siens qu'elle n'a probablement pas étreints depuis des lustres. Ou sinon loin de chez ces cracheurs dans la soupe du mépris qui regarderont en coin la moghrabié qu'elle s'apprête à leur servir. Nous passerons volontiers par le charivari saveur patchouli et Elnett du huitième, là où croupissent le mauvais esprit et la paranoïa d'une flopée de joueuses de quatorze. « C'est un Alzheimer ma chérie », lancera même l'une d'elles lorsqu'une autre se trompera au calcul des points, la faute à ce verre de trop.
Nous redescendons vers le cinquième où deux amants éconduits grimpent dans les ascenseurs de ces instants immenses et insensés. Mais nous n'y traînerons pas, par manque d'envie de se retrouver dans les bras d'un Cupidon dénudé du croupion. Alors escale au sixième, où apparaît un homme au menton haut, cravaté dans sa droiture et sa rigidité ordonnée. Comme tous les soirs, il bafouillera à sa femme deux ou trois mots qui la renverront vers la solitude de sa chambre. Et comme tous les soirs, avec une absence d'afféterie pourtant, ses larmes démaquilleront sa peau de porcelaine. Comme tous les soirs, tel un tableau ouvert à tous les possibles. Puis elle refermera ses persiennes et nous tenterons en vain de dénouer ses mystères à gros lacets. Mais est-ce vraiment nécessaire ?

 

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Nous avons l'impression, et cela fait un moment, que Beyrouth a endossé sa tenue de maçon friand, prêt à escalader les échafaudages de l'espoir et piloter les grues du changement... Nous étions donc partis pour saluer bien bas ces efforts d'urbanisme qui rendent la skyline beyrouthine un tantinet plus supportable aux rétines et amènent autant de promesses pour les appétits...

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