Stretching Thoughts, ou comment s'abandonner et libérer sa pensée ; comment réveiller les consciences, se poser des questions et avancer pour changer le monde.
Pour Nadim Karam, il faut se mettre à plusieurs. Son art public qu'il promène à travers les villes du monde entier (Melbourne, Shanghai et Prague, en passant par le Japon et Dubaï) interpelle et invite le spectateur à entrer dans son monde imaginaire, là où tout est possible. Il suffit de le vouloir. Il suffit de laisser libre cours aux idées positives. Dans cette rébellion créative qui est la sienne, il pose l'équation de l'énergie propre à chaque homme, confinée dans son inconscient. Libérer cette énergie et contribuer à améliorer notre espace vital, c'est ce que chuchotent ou hurlent les personnages de cette exposition, aux cerveaux à mille ramifications, d'où s'échappent toutes les pensées...
« Non, je ne l'ai pas façonnée moi-même, dit Nadim Karam. Cette sculpture, je l'ai juste récupérée, recyclée, et la voilà qui trône au milieu de l'espace. Je l'ai humanisée. Elle donne vie à l'exposition, incitant chacun à s'interroger sur son sens et envoyant à chaque visiteur une impression différente. » Mais elle est ce que l'artiste définit comme The Neglecting Thoughts. « Si on venait à démêler toute cette ferraille enchevêtrée, on pourrait reconstruire une ville entière. Elle représente un peu le cerveau et tous ses possibles. Il est donc important de la mettre dans ce contexte, un peu comme le nerf moteur, car elle introduit toute l'exposition et nous renvoie aussi vers le thème principal, The Stretching Thoughts.
Comme Ouranos
La question se pose donc : combien est-on capable d'étendre ou étirer sa pensée pour aller plus loin ? Combien restons-nous dans l'inertie totale, au niveau individuel, comme au niveau (du) collectif?
Ces histoires, ces pensées que l'artiste veut laisser s'envoler, ont pris leur départ dans la procession archaïque – une procession de silhouettes – pour atteindre l'éléphant seul. Le pachyderme va englober toutes ces histoires. Il a cet avantage d'être ce grand « espace » qui comprend toute la mémoire du monde, cet espace qui peut contenir les éléments de la procession, répartis de façon à créer une abstraction. De l'histoire qui crée la mémoire, va naître l'éléphant-paon (peacock elephant).
Est-ce que l'éléphant-paon existe? Oui, dans l'imaginaire de l'artiste. Ce paon aux mille regards scrute le monde avec toutes ses probabilités. Tel est le monde de Nadim Karam, ce monde onirique que tout être humain devrait explorer avec ses éventuelles facettes. Si chacun l'a, sans le savoir, en soi, il n'a besoin que d'un réflexe maïeutique pour se développer dans l'espace et dans le temps. Les idées prendront ainsi leur envol et, tel Ouranos qui avalait ses enfants pour les empêcher de lui survivre, les mots que l'on retient en nous s'échappent et forment des phrases. Ces phrases refléteront une pensée qui se matérialisera dans une action.
Toutes ces pensées abandonnées, tous ces efforts que l'on ne fait pas, tous ces mouvements que l'on retient, la peinture de Nadim Karam les dévoile et incite à une autre réflexion : honorer l'altérité et composer avec elle pour changer le monde par la voie de l'art. Elle traduit ce que chaque humain a en lui d'ésotérique. Voilà l'aventure que propose Nadim Karam au détour d'une exposition à la galerie Ayyam.
* Jusqu'au 2 avril, galerie Ayyam, Beirut Tower, rue Zeitouny, centre-ville. Tél. : 01/374450.
Pour mémoire
Safwan Dahoul et Nadim Karam, témoins et scribes de villes d'Orient...
