Il y a toujours, évidemment, des bonnes gens.
Ces bonnes gens qui s'échinent à chercher, puis à trouver, du positif partout. Quitte à le botoxer à outrance. Ces bonnes gens qui répètent à l'envi qu'au cœur de cette région désormais dégénérée, le Liban est relativement épargné, qu'il est plus sûr que beaucoup de pays européens, qu'un attentat ou deux, c'est immonde, c'est horrible, mais qu'il aurait pu y en avoir dix fois plus. Ces bonnes gens qui regrettent le vide sidéral au palais présidentiel et l'ankylose neurasthénique place de l'Étoile, mais qui concluent que, finalement, le gouvernement ne s'en sort pas si mal, que Tammam Salam est the right guy at the right place at the right timing, que cela aurait pu être pire. Ces bonnes gens qui sont convaincues, et s'emploient à le démontrer mathématiquement, que la crise des ordures a fédéré les Libanais comme jamais depuis longtemps, qu'à toute chose, malheur peut être sympathique. Ces bonnes gens qui répètent et instagramment à tour de bras des photos de restaurants, de bars, de pubs et de boîtes de nuit bondés, insistant sur l'immortalité génétique de Beyrouth. Ces bonnes gens sont des références en éthologie, catégorie autruches.
Ces bonnes gens, c'est vous, c'est nous, c'est cette incarnation, parfois somptueuse, d'un être-au-monde furieusement libanais, d'un état d'esprit qu'on aurait finalement adoré ne pas être obligé d'avoir : cette espèce de pugnacité bigger than life, et la résilience. Cette fameuse résilience des Libanais rabâchée à toutes les sauces, à tous les étages, dans toutes les langues. Ces bonnes gens ont, peut-être, raison.
Oui, mais non. Parce qu'il est insensé, à l'heure des bilans de fin d'année, de se rendre à l'évidence : en douze mois (ou vingt-quatre, ou trente-six, etc.), rien, atrocement rien, n'a changé. Douze mois d'un effarant surplace. Un nauséeux surplace, même pas un choc, une monstruosité, une catastrophe, un tsunami quelconque, un Hiroshima qui nous aurait permis, au moins, la stupeur et le tremblement qui ont ceci de bon, de prendre conscience, d'apprendre quelque chose, de reconstruire, de remodeler nos mentalités, d'avancer, enfin, non, juste un surplace métastatique. Douze mois ad libitum à peine égayés par une initiative saoudienne résolument farfelue et drôle : Sleiman Frangié en président de la République – initiative exécutée par un Saad Hariri tellement désœuvré qu'il a fini par y croire, réceptionnée par Michel Aoun et Samir Geagea comme dans une dantesque crise de somnambulisme, et torpillée, naturellement, par un Hezbollah dans un grand éclat de rire, naturellement jaune, après qu'il eut fuité lui-même la bombinette. C'était amusant, tout le monde a beaucoup gigoté, mais au final, tout le monde s'est gentiment calmé : il n'y aura pas de successeur à Michel Sleiman avant bien longtemps. Parce que tel est le bon plaisir des ayatollahs iraniens. Douze mois écoulés qui ont permis à ce bon Hezb, même impliqué jusqu'aux yeux, et avec lui ce pauvre Liban qui n'a rien demandé, dans la guerre du sanguinaire gang Assad, de prouver année après année son époustouflante maestria dans l'art du blocage, de la stérilisation de tout un pays, et de la prise d'otages à l'échelle d'un peuple. Douze mois résolument pareils à ceux qui les ont précédés, toujours dans le noir, toujours sans eau, toujours sans un Internet digne de ce nom, toujours aussi pauvres, toujours aussi généreux avec les réfugiés plus miséreux que nous. Tout pareil.
Oui, mais non. Les dieux nous aiment et ne nous ont pas oubliés. En 2015, nous avons eu les ordures. Les bonnes gens ont finalement toujours raison : on évolue comme on peut, pas comme on veut.
Ces bonnes gens qui s'échinent à chercher, puis à trouver, du positif partout. Quitte à le botoxer à outrance. Ces bonnes gens qui répètent à l'envi qu'au cœur de cette région désormais dégénérée, le Liban est relativement épargné, qu'il est plus sûr que beaucoup de pays européens, qu'un attentat ou deux, c'est immonde, c'est...
commentaires (9)
Vous avez raison il nous faut Secouer notre torpeur, cet espece de faux bien- etre qui nous fait croire que nous sommes au paradis . toute fois Je n irai pas jusqu a un hirosshima !!!Abdel hamid el ahdab lui aussi avait souhaite dans sa lettre de samedi dernier un choc afin de secouer le monde islamique pour le reveiller .Que ne ferions -nous pour nous debarasser de l immobilisme ambiant !!!
Dolly Talhame
15 h 33, le 29 décembre 2015