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À La Une - L'Orient Littéraire

De quoi Poutine est-il le nom ?

Photo AFP.

Dans son célèbre ouvrage Tolstoï ou Dostoïevski, paru en 1960, l'éminent critique littéraire de Cambridge George Steiner soulignait que pour connaître le secret du cœur d'un homme ou d'une femme, il suffisait de lui demander lequel des deux auteurs avait sa préférence, tant il est vrai que chacun des deux géants de la littérature russe incarnait une vision du monde et offrait une interprétation de la politique, de l'histoire et de la condition humaine radicalement différente de celle de l'autre.

Spécialiste de Tolstoï à l'université de Virginie, Andrew Kaufman a soutenu plus récemment dans The Daily Beast que Vladimir Poutine, qui apprécie les deux écrivains, a malheureusement privilégié la tradition de Dostoïevski, celle de la croyance en un exceptionnalisme russe, porteur d'une mission de régénération et d'unification du monde slave, plutôt que la tradition humaniste et universaliste de Tolstoï, embrassant la diversité du monde par-delà les différences de culture, de nationalité ou de religion.

Si seulement Poutine avait adopté la vision de Tolstoï, nous dit Kaufman, il aurait sauvé son âme et la situation géopolitique de la planète serait bien différente. Chez Tolstoï, aucun nationalisme cocardier, aucun roulement de tambour, aucun triomphalisme messianique, mais un patriotisme respectueux de l'égalité et de la dignité des peuples.

Pour lui, et c'est d'ailleurs là la grande leçon de Guerre et Paix, la force vient de l'humilité et non pas de l'hubris, de la grande fraternité de l'esprit plutôt que d'une volonté de s'imposer brutalement aux autres, de la résistance digne face à l'adversité plutôt que du renoncement aux valeurs morales. Tolstoï avait compris qu'en jouant les matamores, en faisant étalage de ses muscles et de sa virilité machiste, on allait au-devant de bien des déconvenues et qu'on plantait en fait les germes de sa propre destruction.

Comme l'a montré l'historien Paul Kennedy, dans toute l'histoire des empires, on retrouve une constante : l'hubris entraîne la surextension (imperial overstretch), qui elle-même provoque le déclin. Si l'Amérique est aujourd'hui contrainte de se retrancher temporairement et de se recentrer sur ses problèmes intérieurs, c'est également parce qu'une croyance béate en l'exceptionnalisme américain et un nationalisme chauvin (jingoism) l'avaient conduit, sous l'administration Bush-Cheney, à surestimer ses forces et à s'embourber dans des guerres aussi inutiles que destructrices pour son image, ses finances publiques et sa stature internationale. La blessure du 11 Septembre avait conduit l'Amérique à plonger tête baissée dans le piège tendu par Ben Laden. Le maximalisme et la bien mal pensée « guerre globale contre le terrorisme » ont eu pour effet d'approfondir les lignes de faille et de démultiplier les situations de chaos sur lesquels le terrorisme prospère.

C'est aussi une blessure narcissique profonde, celle de l'humiliation des années Eltsine, qui fait naître aujourd'hui un revanchisme russe dont nous voyons les conséquences en Ukraine et en Syrie. Dans un Moyen-Orient qui a souffert des interventions occidentales irréfléchies, beaucoup voient le retour de la Russie comme un nécessaire rééquilibrage, qu'ils accueillent favorablement. Mais n'est-on pas en train de répliquer un même schéma pernicieux qui depuis le XIXe siècle fait de cette région un éternel champ d'affrontement des puissances ?

De quoi Poutine est-il le nom ? Du retour en force, sur la scène internationale, d'un nationalisme intransigeant, d'un autoritarisme débridé, d'une volonté, au nom du refus de l'humiliation, de faire étalage d'une puissance surjouée, peut-être pour masquer la crainte d'une impuissance réelle, liée à un affaiblissement structurel, démographique et économique de la Russie. À court terme, les politiques musclées de Poutine, son pragmatisme froid, son réinvestissement de l'espace eurasiatique, son bras de fer psychologique avec l'Occident peuvent engranger des résultats spectaculaires, mais il y a fort à parier qu'elles ne finissent à moyen terme par susciter un retour de bâton dont la Russie ne manquerait pas de payer le prix.

Entre-temps, le poutinisme triomphe, non seulement en Russie, mais sur la scène internationale, où percent un peu partout des hommes dont le tempérament répond aussi à plusieurs des critères que Theodor Adorno avait notés dans ses Études sur la personnalité autoritaire. Confrontés à des crises géopolitiques, économiques, identitaires, les populations recherchent désespérément des hommes forts et des postures viriles, certains sociologues parlent même de « demande despotique ». Shinzo Abe au Japon, Narendra Modi en Inde, Erdogan en Turquie, et à leur manière Donald Trump aux États-Unis ou Sarkozy et Valls en France, s'efforcent de répondre à cette soif d'autorité, avec maints effets de manche et coups de menton, qui à défaut de faire avancer le schmilblick, viennent donner aux populations apeurées l'illusion que dans un océan qui tangue, il y a un capitaine à la barre, fut-il un fier à bras égocentrique sans la moindre vision d'avenir.

 

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Dans son célèbre ouvrage Tolstoï ou Dostoïevski, paru en 1960, l'éminent critique littéraire de Cambridge George Steiner soulignait que pour connaître le secret du cœur d'un homme ou d'une femme, il suffisait de lui demander lequel des deux auteurs avait sa préférence, tant il est vrai que chacun des deux géants de la littérature russe incarnait une vision du monde et offrait une...

commentaires (11)

CORRECTION ! MERCI : Des "ex-moujiks" et/ou sovkhozniks transformés en nouveaux "koulaks" et/ou kolkhozniks, quoi !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

04 h 02, le 29 décembre 2015

Tous les commentaires

Commentaires (11)

  • CORRECTION ! MERCI : Des "ex-moujiks" et/ou sovkhozniks transformés en nouveaux "koulaks" et/ou kolkhozniks, quoi !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 02, le 29 décembre 2015

  • CORRECTION : PRIÈRE LIRE TARD ET NON TART ! JE DEVRAIS PUNIR CE FOUTU DE CLAVIER... ET CE N'EST PAS LA SEULE ERREUR IL Y EN A DANS PRESQUE LA PLUPART DE MES COMMENTAIRES. MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 03, le 28 décembre 2015

  • Bonjour Mr Bitar, je ne suis pas d'accord avec votre analyse qui me semble, elle aussi, trop autoritaire, trop extreme...Le jugement que vous portez sur Poutine me semble biaisé.Vous passez sous silence le fait qu'il n'a fait que reagir, en Ukraine, a l'encerclement que l'Otan lui impose, rompant unilateralement l'entente conclue entre la Russie et l'Otan a la fin de la guerre froide. De plus, tout le monde sait que le coup d'etat en Ukraine contre le president élu democratiquement,a ete mene par la CIA et le Mossad..Dans ses differents discours, il n'a pas arrete de tendre la main aux USA et a l'Europe, qui lui ont tourne le dos...Les 1ers ministres et presidents de plusieurs pays, dont le Canada, lui ont manque de respect a plusieurs reprises..La Russie avait fortement exprime son desaccord au sujet de la guerre destructive de l'Irak, puis de la Lybie..Le Syrien, meme criminel, est un allie force pour Poutine, car Tartous est le seul port pour les russes en Mediterranee. Assad est l'un des plus grands criminels de l'histoire contemporaine, mais la Russie a besoin de lui, pour l'instant. Moi je trouve que l'intervention russe contre-balance un peu le chaos que les pays de l'Otan ont cree de toute piece au Moyen-Orient. J'aurais apprecié une analyse plus objective de votre part; mais le journaliste essaie toujours de faire sensation, alors...

    Khoury Pierre

    05 h 46, le 28 décembre 2015

  • JE NE SAIS PAS POUTINE DE QUOI IL EST LE NOM... MAIS JE SAIS QU,IL EST LE MARI DE FOUTINE LA SYRIENNE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 38, le 27 décembre 2015

  • Cet article ne fait rien d'autres que des voeux pieux. Véritable lieu commun pour nous dire qu'après l'échec usien la nature d'un homme comme Poutine à eu peur du vide des occicons désemparés face aux bacteries virulentes du wahabisme, il lui fallait ré agir comme un homme politique responsable se devait de le faire. Nous sortir Tolstoi ou Dostoievski c'était pour nous endormir.

    FRIK-A-FRAK

    17 h 03, le 27 décembre 2015

  • UN ARTICLE QUI VA D'ERREUR EN ERREUR... DU BLA... BLA... BLA... ET QUEL AUTEUR LISAIT GWB ? ET TOUS LES ABRUTIS RESPONSABLES DE CE QUI SE PASSE DANS LA RÉGION DU M.O. DE CE MONDE D'AUJOURD'HUI ET DE LA DÉCADENCE DE L'HUMANITÉ ENTIÈRE ? POUTINE EST VENU TART SUR LA SCÈNE... D'AUTRES POLICHINNELLES L'Y ONT BIGREMENT PRÉCÉDÉ !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 27, le 27 décembre 2015

  • La tradition historique a fait naître dans l'esprit de tous les russophones, et bien entendu chez les Petits russes de cette Moscovie "l’Idée", la bête croyance miraculeuse qu'un surhomme portant le nom de Tsar, d’Yvan le Terrible, de Lénine, de Staline ou même de ce Gnome poutine leur rendrait toute leur splendeur d’antan ; splendeur du temps des premiers boyards, les "ancêtres" de ces actuels "koulaks". Et il se trouva même un "surhomme", ou même plusieurs dans leur tragique histoire qui prétendirent être ce "surhomme-là" ! Après plusieurs séries de péripéties, sanguinolentes n’est-ce pas, la "légende" se réalisa ! Ils obtinrent ainsi ce Nain poutine qui les guide comme un troupeau -"ättîîîï", avec en sus son représentant partout sur place, auparavant personnifié par le "fabuleux" KGB et actuellement avec son succédané le "fameux" FSB et sa schlague évidemment surarmée ! Leur "Idée", fixe, se réalisa parce que pile poil elle correspondait à la même idée fixe de la catégorie la plus nombreuse des russophones de cette New Petite-Russie : les nouveaux Petits propriétaires uniquement d’un petit lopin de terre à la campagne ou d’un petit bien à la ville ! Qui ne sont, en réalité, que la nouvelle petite bourgeoisie de la campagne et de la ville suite à leur tout nouvel enrichissement récent. Ils ne sont donc, en effet, que la nouvelle Classe Moyenne de cette Petite-Russie post-soviétique ; tout simplement. Des "ex-moujiks" transformés en nouveaux "koulaks", quoi !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 17, le 27 décembre 2015

  • Un million de merci pour cette éducation, je le savais on l'a appris en en cours de science po et communication en effet il y a des courant de pensée différent et celle que Poutine a choisi comme vous l'avez bien dit, il a choisis le courant de pensée de la destruction au lieu de choisir le courant de pensée de construction ... Mille merci de fsire revenir ce sujet afin que les lecteurs puissent connaître la réalité et le pq de l'engagement russe !! D'ailleurs il est aussi mordu de la théorie du chaos ...

    Bery tus

    13 h 07, le 27 décembre 2015

  • De quoi ? D'une "bassine" KGBiste.... à torture, mais Naine !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 06, le 27 décembre 2015

  • On va chercher très loin à justifier une culture Kgbiste Le père et la mère de Poutine étaient de fidèles serviteurs de Staline Restons les pieds sur terre Les erreurs commises (nombreuses) par les occidentaux ont toujours favorisées certains acteurs politiques arabes dans le MO depuis Laurence d'Arabie Poutine veut simplement inscrire sont nom dans l'histoire

    FAKHOURI

    12 h 01, le 27 décembre 2015

  • Grace à ce genre d'article pour gogos...j'aime en plus la littérature russe en générale et Vladimir Poutine en particulier...

    M.V.

    11 h 42, le 27 décembre 2015

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