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Liban - Étude

L’État islamique, le Hezbollah et la carte palestinienne

À travers l'attentat qui a frappé le quartier de Bourj el-Brajneh le 12 novembre dernier, l'EI a cherché à attiser les tensions communautaires entre sunnites et chiites afin d'affaiblir le Hezbollah, introduisant ainsi une nouvelle donne. C'est ce que montre l'analyse du chercheur Nicolas Dot-Pouillard, affilié au Wafaw et à l'Ifpo, publiée par le site Middle East Eye.

L'attaque contre Bourj el-Brajneh, « l'une des plus meurtrières depuis la fin de la guerre civile libanaise », avec plus de 44 tués et 239 blessés, « ne peut être isolée d'un contexte global » : un jour plus tard, l'EI vise la France, entre Paris et Saint-Denis. Le 31 octobre 2015, c'est un avion russe qui explosait au-dessus de Charm el-Cheikh, en Égypte. « L'attentat de Bourj el-Brajneh a aussi sa spécificité. En visant une municipalité chiite jouxtant un camp de réfugiés palestiniens du même nom, l'EI a cherché à introduire une nouvelle donne au Liban : attiser les tensions communautaires entre sunnites et chiites afin d'affaiblir le Hezbollah. »
Le chercheur Nicolas Dot-Pouillard, affilié au programme Wafaw (When Authoritarianism Fails in the Arab World, European Reserach Council) et à l'Ifpo de Beyrouth, (Institut français du Proche-Orient), explique comment, dans une analyse intitulée « L'État islamique face au Hezbollah : une porte d'entrée palestinienne ? ».

 

(Pour mémoire : En état de choc, Bourj el-Brajneh tente de se relever)

 

Une ferme condamnation palestinienne
Nicolas Dot-Pouillard rappelle comment, « quelques heures après l'attentat », l'organisation État islamique revendique l'opération et publie les noms de trois de ses kamikazes présumés, deux Palestiniens et un Syrien. Reprise sur les réseaux sociaux et sur les principaux médias télévisés libanais, l'information « attise les accusations communautaires contre les Palestiniens au Liban ». Mais deux jours plus tard, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, « dément catégoriquement l'information », assurant « qu'aucun auteur de l'attentat n'était palestinien ». Il réaffirme par la même occasion « (son) soutien au soulèvement populaire palestinien débuté en octobre 2015 ».
« L'insistance mise par le dirigeant du Hezbollah sur la question palestinienne dans un discours exclusivement consacré aux attentats de Bourj el-Brajneh ne relève pas du hasard : il s'agit bien de répondre à une attaque de l'EI prenant la Palestine comme porte d'entrée », note le chercheur.
« Conscients de la gravité de la situation, les partis politiques palestiniens dans leur ensemble » et jusqu'aux plus hauts échelons « réagissent très rapidement au communiqué de l'EI. Ils tiennent, dès les premières heures, à condamner publiquement les attentats du 12 novembre » et affirmer qu'il n'y a pas de Palestiniens impliqués dans ce crime odieux. Et ce par le biais des médias libanais, par des conférences de presse ou des communiqués de condoléances au « peuple frère libanais, aux familles, et à l'ensemble des forces officielles, politiques et populaires ». Ils dénoncent le but de ces attentats qui n'est autre que « la discorde (fitna) entre les Palestiniens et les Libanais... ».
Si la condamnation palestinienne de l'EI n'est pas une nouveauté, c'est « la rapidité de cette condamnation qui l'est », constate l'analyste. Et de souligner que « les attentats de l'EI ne provoquent pas seulement une union nationale libanaise entre les deux grandes coalitions opposées du 8 et du 14 Mars : ils rapprochent, peut-être temporairement, des acteurs antagonistes à un échelon régional ».

 

Palestiniens et Libanais, les relations compliquées des « deux Bourj el-Brajneh »
« Faire le maximum de victimes civiles », mais aussi « viser le Hezbollah ». Le choix des lieux de l'attentat de l'EI dans le sud de Beyrouth relève principalement de ces deux considérations. L'EI reprochait au parti de Dieu notamment « son implication militaire en Syrie auprès du régime de Bachar el-Assad » et souhaitait « montrer que la banlieue sud n'est pas une forteresse », souligne M. Dot-Pouillard.
Seulement, le quartier choisi est « à la fois sunnite et chiite ». Il s'agissait certes de « frapper violemment, en premier lieu, la communauté chiite, selon la logique sectaire de l'EI ». Il fallait aussi le faire dans le quartier de Bourj el-Brajneh, « jouxtant un camp de réfugiés palestiniens du même nom, de confession sunnite, abritant plus de 20 000 habitants et dans lequel se sont progressivement installés, depuis 2012, nombre de réfugiés palestiniens fuyant les combats en Syrie ».


« Le choix de Bourj el-Brajneh est au fond logique, estime le chercheur. Cette municipalité est certes gérée par le Hezbollah, mais elle n'est pas le fief du Hezbollah », c'est également un quartier où le mouvement Amal reste particulièrement bien implanté. Un mouvement qui a régulièrement bombardé le camp palestinien de mai 1985 à février 1987, dans le cadre de la « guerre des camps » opposant la formation de Nabih Berry aux forces de l'OLP. « À l'époque, le Hezbollah assistait les partisans de Yasser Arafat », rappelle l'analyste. « En septembre 2013, c'est un jeune Palestinien, Mohammad Semraoui, qui est tué à un barrage du Hezbollah : les formations palestiniennes se réunissent au siège du parti pour négocier un cessez-le-feu immédiat. »
« C'est parce que Bourj el-Brajneh fait office de quartier mixte », où s'entremêlent familles libanaises chiites et palestiniennes, constitué de « frontières poreuses au plan sécuritaire », que « l'EI l'a peut-être considéré comme le maillon faible du Hezbollah », indique Nicolas Dot-Pouillard. « L'objectif du groupe EI n'était pas seulement de faire payer à la formation de Hassan Nasrallah son engagement en Syrie : c'était peut-être, selon des considérations géographiques et communautaires propres à la banlieue sud, d'attiser des tensions communautaires entre sunnites et chiites pour le moment relativement contenues. »

 

Le pari hasardeux de l'État islamique
« Cohérente » certes, la stratégie de l'EI de « favoriser les conditions » pour un « affrontement entre sunnites et chiites » au Liban en jouant sur la carte palestinienne « ne peut cependant tout à fait fonctionner », note l'analyste. D'une part, parce que la position des formations palestiniennes prise suite aux attentats du 12 novembre « n'est pas de pure façade : de l'OLP au Hamas, en passant par le Jihad islamique palestinien, l'antagonisme avec l'EI est réel ».
D'autre part, parce que « le Hezbollah entretient savamment ses liens avec les sunnites libanais et palestiniens notamment ». Il est en outre « le bénéficiaire de deux dynamiques qui tendent quelque peu à briser les frontières entre sunnites et chiites à des échelons nationaux et régionaux ». La première est sans doute celle d'une « logique antiterroriste, au Liban même, maintenant un dialogue national entre le courant du Futur et le Hezbollah, voire même une coopération sécuritaire inédite entre les Forces de sécurité intérieure, réputées pour être plus proches historiquement du 14 Mars, et des organismes sécuritaires tels que la Sûreté générale et les services de renseignements de l'armée, qui entretiennent depuis les années 90 des relations étroites avec le Hezbollah. Ce dernier a également su préserver des liens avec les Frères musulmans libanais, qui lui sont pourtant hostiles sur le dossier syrien ».
La seconde dynamique, inscrite « au cœur de l'identité du Hezbollah, est la question palestinienne, sur laquelle l'EI essaie de jouer ». « Or, le mouvement mené par Hassan Nasrallah a bien une longueur d'avance : ses relations avec les formations politiques palestiniennes datent des années 80. Le désaccord politique autour de la Syrie avec le Hamas n'a pas empêché la formation chiite de maintenir une coopération sécuritaire étroite avec le mouvement islamiste palestinien, affirme le chercheur. Souvent accusé de s'être mis à dos le monde sunnite, le Hezbollah a su tout de même préserver quelques cartes dans son jeu. Parmi celles-ci, la principale, la carte palestinienne. »

 

Choisir son camp ?
« La partie d'échecs entre le Hezbollah et l'organisation État islamique » a sans doute pris une « nouvelle dimension avec les attentats du 12 novembre 2015 ». Au centre de ce jeu, les Palestiniens au Liban peuvent être « tiraillés entre deux logiques », explique M. Dot-Pouillard.
« La première est celle d'une certaine fidélité au Hezbollah en une commune inimitié à l'encontre d'Israël ». La seconde est celle « d'une population palestinienne réfugiée au Liban, marginalisée et précarisée socialement, pouvant répondre au discours proprement religieux de l'EI qui joue sur une fibre communautaire attisée par les doubles tragédies irakienne et syrienne ».
Et l'analyste de conclure que « les réfugiés palestiniens sont appelés par l'EI à choisir leur camp », « entre une certaine affinité avec le Hezbollah, dans le cadre du conflit israélo-arabe, et une sensibilité confessionnelle sunnite exacerbée par les effets de la crise syrienne au Liban ».
Consulter l'étude détaillée à l'adresse suivante : www.middleeasteye.net

 

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