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Culture - Portrait

« J’ai senti mes racines syriennes lorsqu’elles ont commencé à brûler »

Youssef Shoufan, humain avant tout : initiateur du projet « Syrian Eyes of the World », le jeune artiste photographe syro-canadien veut croire que ses clichés en noir et blanc peuvent être vecteurs de tolérance.

Youssef Shoufan. Photo Antoine Entabi

Tout a commencé à Beyrouth en décembre 2013, lorsque Youssef Shoufan fait la rencontre d'Antoine Entabi, dit Tony, et retrouve ses cousins damascènes. Se faisant face, l'un et l'autre se photographient. Sans se rendre compte, le projet Syrian Eyes of the World est né. Le but est simple, mais gigantesque : réunir une équipe de photographes bénévoles afin de réaliser des portraits de Syriens à travers le monde. Faire prendre conscience au monde entier qu'il y avait une vie avant la guerre civile, et qu'elle continue en Syrie ou ailleurs. De la Turquie aux États-Unis, du Canada aux Émirats, la violence de la guerre et les atrocités de Daech et du régime de Bachar el-Assad ont poussé à l'exil plus de quatre millions de Syriens. À mi-chemin entre le travail journalistique – puisqu'il documente les retombées du conflit – et la photographie esthétique, Syrian Eyes of the World vise à mettre en exergue la diversité d'un peuple grâce à des photos et des témoignages.

En rentrant à Montréal, le photographe indépendant crée alors un site web afin d'avoir une plateforme pour promouvoir leur projet. Il garde contact avec Tony et s'entoure de plusieurs autres photographes bénévoles. Depuis 2013, Youssef revient chaque année passer quelques jours au Liban afin de faire le point sur l'avancement du projet. Il en profite aussi pour prendre des photos des réfugiés de Chatila ou de Beyrouth. Aujourd'hui, 12 personnes constituent l'équipe formée par le jeune homme âgé de 28 ans. Des portraits de Syriens ont été pris à Alep, à Damas, mais aussi à Dubaï, à Erevan, à Gaziantep, bientôt à Paris et à Berlin.

Comme une évidence

Prendre les clichés en noir et blanc sonnait comme une évidence pour lui. « Cela permet à l'œil de se focaliser sur d'autres détails que la couleur, de mettre en avant la personne et les émotions. » Chaque cliché est accompagné d'une légende. Souvent, il s'agit d'une phrase ou d'un échange qui a lieu après la photographie afin de ne pas fausser la magie du moment.

Youssef Shoufan est parti de Damas à l'âge de 7 ans pour suivre ses parents à Montréal. La révolution puis la guerre l'ont contraint à se « reconnecter » avec la Syrie. « J'ai senti mes racines syriennes lorsqu'elles ont commencé à brûler. » Il n'est pas patriote, déteste les étiquettes, mais les circonstances dramatiques l'ont obligé à affirmer son identité syrienne. « Après les attaques de Paris, beaucoup de personnes ont fait des comparaisons stupides entre les terroristes et les réfugiés, qui fuient ces mêmes terroristes. Au Canada, certains se sont mis à avoir peur, parce qu'ils ne connaissent pas de Syriens. Le nouveau gouvernement avait promis d'accueillir plusieurs milliers de réfugiés avant la fin de l'année et pouvait faire marche arrière en fonction de l'opinion », raconte le Syro-Canadien. « En prenant la parole dans les médias, en disant que les Canadiens n'ont rien à craindre, et surtout en montrant la réalité de ce que sont les Syriens avec l'aide de ce projet, le regard des Canadiens change heureusement. »

Briser les clichés

Sa seule ligne rouge est d'éviter les discussions politiques et religieuses. « Ce n'est pas qu'elles ne sont pas importantes, évidemment qu'elles sont fondamentales, mais nous en avons tellement entendu... » explique Youssef Shoufan. Pour lui, l'ADN du projet est de montrer l'humanité des Syriens, de changer de regard et de prendre le temps de regarder ces personnes, sans se focaliser sur les images « paralysantes » du conflit. Le photographe souhaite parler d'hommes et de femmes qui continuent à vivre malgré tout. « On tente de montrer les personnes dont on ne parle pas. Tous ceux qui continuent à vivre, à créer et à rêver. De nombreux Syriens que je connais disent ne pas se reconnaître lorsqu'ils voient des images d'autres Syriens dans les médias », raconte Youssef Shoufan. « Ce projet permet de casser l'image stéréotypée des Syriens, une image qu'ils ont même parfois intériorisée », ajoute-t-il. Quoi de mieux que de prendre des clichés photographiques afin de briser des clichés intolérants ?


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