« À Copenhague (COP15 en 2009), à ce point du sommet, on était loin des perspectives d'entente que nous entrevoyons aujourd'hui. » Ce son de cloche, accompagné inévitablement d'une comparaison avec la COP de référence, celle de Copenhague (qui s'était soldée par un échec malgré toutes les attentes), est assez récurrent dans les couloirs de la COP21 au Bourget, au nord de Paris. Une conférence qui devra déboucher sur un accord mondial visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre, pour limiter le changement climatique qui a déjà des conséquences graves dans diverses régions du monde.
Il ne s'agit pas pour autant d'un optimisme sans frein : les divergences persistent sur le partage des responsabilités, la question des financements, le degré des ambitions... Beaucoup de points restent en suspens.
Dans les faits, un premier texte, né des négociations au niveau des ministres, devrait être présenté aujourd'hui par la présidence française aux différents groupes de pays (selon certaines sources, il aurait commencé à être diffusé hier). Les négociations s'intensifient à tous les niveaux. Une autre version révisée devra être présentée jeudi, en prévision d'une conclusion de la COP vendredi, dont personne ne peut jusqu'ici prévoir la teneur.
Les nombreux points de divergences sont les mêmes qui prévalent depuis des années, à l'exception d'une nouveauté : celle de l'introduction d'un objectif de limiter le réchauffement climatique à une hausse de 1,5 degré par rapport à l'ère préindustrielle. Cela faisait des années que l'on parlait d'une limite de deux degrés (qui reste la limite de référence), appuyée par les rapports des scientifiques, qui soulignent cependant qu'une telle hausse reste risquée.
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L'objectif de 1,5 degré est poussé par les pays les plus vulnérables, dont certains se trouvent en danger de disparition si le réchauffement dépasse ce stade, notamment par une montée du niveau de l'eau. Il est avancé aussi comme une nécessité par de nombreuses ONG. Son introduction dans les négociations est-elle une réelle volonté d'augmenter le niveau d'ambition ou plutôt une sorte de monnaie d'échange (pour pousser les pays à plus d'engagement) ?
Cette perspective effraie aussi un grand nombre de pays qui se demandent qui va assumer les engagements supplémentaires pour atteindre cet objectif. Une crainte renforcée par le flou qui continue d'entourer les mécanismes de financement et de transfert de technologies. D'autres se demandent si l'objectif est réalisable, mais des groupes comme « le Climate Action Network » (CAN) estiment que le plus important sera une décarbonisation (arrêt d'utilisation des énergies fossiles) progressive, et l'instauration d'un mécanisme de révision à la hausse des ambitions des pays tous les cinq ans.
Quoi qu'il en soit, certains, comme Julien Jreissati, chargé de campagne à Greenpeace Méditerranée, pensent que cet objectif de 1,5 degré de hausse maximale de la température sera présent dans le texte définitif, mais de manière plutôt floue, avec des formules telles que « garder la hausse des températures de 1,5 à 2 degrés », ou « maintenir l'objectif à long terme à 2 degrés, tout en reconnaissant que 1,5 est déjà dangereux ».
Dans le groupe arabe
Waël Hmaïdane, directeur exécutif du collectif mondial d'ONG CAN, explique à L'Orient-Le Jour qu'il y a un quasi-consensus autour de ce nouvel objectif d'une hausse de moins de 1,5 degré, avec une contestation qui vient surtout d'Arabie saoudite, mais aussi de l'Inde. Ce dernier pays s'oppose aussi à des révisions contraignantes de ses engagements tous les cinq ans (un autre point qui pourrait faire partie des acquis de ce nouvel accord, plus de 190 pays ayant présenté des engagements nationaux pour la réduction de leur émissions, en vue de la COP21 à Paris). Les points de divergence, là aussi exprimés par l'Arabie saoudite, portent toujours sur l'objectif à long terme de décarbonisation de l'économie (soit l'arrêt de l'utilisation des énergies fossiles à terme, que les ONG souhaitent voir figurer dans le texte avec, comme année de référence, 2050).
À ce propos, Safaa el-Jayoussi, une autre membre de CAN, s'insurge contre ce qu'elle considère comme des « contradictions » dans les positions des pays arabes. « Le blocage n'aurait pu provenir de l'Arabie saoudite seule, dit-elle à L'Orient-Le Jour. Les pays arabes qui se taisent en sont responsables aussi. Pourquoi le Maroc, qui doit accueillir le futur sommet en 2016, ne s'oppose-t-il pas à cette contestation saoudienne alors qu'il a une position beaucoup plus progressiste en temps normal, et qu'il se dirige vers 46 % d'énergies renouvelables ? Pourquoi l'Égypte se tait-elle alors que son président, Abdel Fattah el-Sissi, a évoqué l'objectif de 1,5 degré dans son discours à l'inauguration du sommet ? Il en va de même pour la Jordanie qui tient, par ailleurs, des propos plus progressistes en temps normal. »
À savoir que d'après des sources des négociations, il y aurait beaucoup plus de dissensions dans les rangs des pays arabes que ne peuvent le constater des parties extérieures. Il y aurait aussi, en fin de compte, plus de flexibilité à venir que ce que ne le laissent entrevoir les prises de positions actuelles.
Dans ce contexte, Waël Hmaïdane reste raisonnablement optimiste en ce qui concerne la conclusion d'un accord significatif d'ici à la fin de la semaine. « Pour toutes les questions épineuses – financement, objectif à long terme... – le texte prévoit des options tout à fait satisfaisantes, dit-il. Si assez d'options ambitieuses sont adoptées d'ici à la conclusion de l'accord, celui-ci sera d'autant plus fort. Mais les risques d'échec sont également présents. »
(Tribune : « Faire du commerce un allié dans la campagne contre les changements climatiques »)
Le financement, un obstacle toujours d'actualité
Parmi les autres sources de dissension, celles du financement et des engagements des pays à trouver le budget nécessaire pour permettre aux différents pays en développement de tenir leurs engagements après 2020. Le groupe des pays développés, à leur tête l'Union européenne et les États-Unis, réclament que ce financement ne soit pas seulement assuré par eux. Comme l'a fait remarquer le commissaire européen Miguel Arias Cañete, lors d'une conférence de presse lundi, le monde a bien changé, les pays développés sont toujours aussi disposés à avancer des fonds, mais les pays émergents, à l'essor économique remarquable, doivent en faire autant.
Selon certaines sources, la Chine (dont la position par rapport au changement climatique a beaucoup gagné en flexibilité) souligne qu'elle serait prête à contribuer à une aide Sud-Sud, mais pas à être mise sur un pied d'égalité avec des pays dont la responsabilité dans le changement climatique est historique.
D'autres expriment leur insatisfaction comme le ministre indien de l'Environnement, Prakash Javadekar, qui s'est dit « déçu » hier des engagements des pays développés et a exigé, selon l'AFP, avec ses homologues chinois, brésilien et sud-africain, « une hausse substantielle » de l'aide financière promise.
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