Plongés dans les méandres de la politique politicienne et des manœuvres partisanes de tous genres qui focalisent sans cesse l'attention des médias, les Libanais en viennent à ne plus percevoir à sa juste valeur la véritable portée de la mutation enclenchée – mais non achevée – dans le pays à la faveur de la révolution du Cèdre au printemps 2005. La récente table ronde ayant pour thème « Michel Chiha, l'homme politique », organisée il y a quelques jours par les « Rencontre culturelles », aura permis de dégager, entre autres, deux idées maîtresses s'inscrivant dans le cadre de ce processus fondateur qui a éclaté au grand jour à la suite du funeste attentat du 14 février, il y a un peu plus de dix ans.
Samir Frangié soulignait notamment à cet égard que « Michel Chiha est fortement présent dans l'accord de Taëf ». Michel Chiha a en effet défini en quelque sorte les fondements du vivre-ensemble, et l'accord de Taëf a lié « la légitimité de l'État à sa capacité à préserver ce vivre-ensemble entre les Libanais », relève Samir Frangié qui précise que la légitimité de l'État n'est donc plus liée désormais à « une volonté nationale qui s'est exprimée à un moment déterminé, mais à une situation en développement permanent » (...), qui se concrétise par « une pratique de vie marquée par le voisinage immédiat des cultes et des liturgies » (...).
Cette « situation en développement permanent » a pris une nouvelle tournure, fondamentale, à la suite des réactions à l'assassinat de Rafic Hariri. La dynamique qui avait marqué alors « l'intifada de l'indépendance » avait constitué le premier élan populaire de l'histoire contemporaine du Liban dans le sens d'une convergence pluricommunautaire vers l'identité libaniste, telle que définie dans les écrits de Michel Chiha, ayant pour fondements le vivre-ensemble et l'attachement à la liberté ainsi qu'à la neutralité et une réelle indépendance du Liban.
Le début de l'adhésion de l'islam sunnite aux idées de Michel Chiha a été mis en évidence, lors de la table ronde, par Abdel Hamid el-Ahdab qui a relevé dans ce cadre « la prise de conscience » (libaniste) qui s'est opérée au sein de cet islam, comme conséquence de l'assassinat de Rafic Hariri.
C'est cette double idée de « prise de conscience » de la part des sunnites, d'une part, et de légitimité de l'État liée à la préservation du vivre-ensemble, perçu comme un « développement permanent », d'autre part, qui alimente le processus fondateur dont le pays est le théâtre depuis 2005, sur la voie d'une consolidation pluricommunautaire du projet libaniste.
Si cette dynamique bat de l'aile depuis plusieurs années, c'est parce qu'elle est confrontée à un autre projet d'une tout autre nature, à caractère transnational : celui du Hezbollah. Le parti chiite pro-iranien est en effet, du fait de sa doctrine politique définie dans les années 80, aux antipodes de la mutation cristallisée par la révolution du Cèdre. Son idéologie stipule explicitement une allégeance inconditionnelle au guide suprême de la révolution islamique iranienne (le waliy el-faqih) pour les grandes décisions d'ordre stratégique, ce qui implique que ses motivations et ses calculs politiques sont incompatibles avec l'option libaniste, basée essentiellement sur l'indépendance et la souveraineté. Cela explique que depuis 2005, le Hezbollah applique une stratégie visant à empêcher de manière continue et par tous les moyens (violents) l'émergence d'un État fort et efficace. Son torpillage actuel de l'action du gouvernement, notamment en faisant obstruction délibérément à tout règlement de la crise des déchets (par acteurs civils interposés), n'est que le dernier épisode de cette politique permanente de sabotage systématique de la dynamique qui a éclaté au grand jour au printemps 2005.
La nouvelle crise qui ébranle aujourd'hui le pays est le reflet de la confrontation entre ces deux logiques politiques : l'une, souverainiste, qui prône l'édification d'un État rassembleur et performant, garant du vivre-ensemble, qui devrait se tenir à l'écart des axes régionaux pour se consacrer à la reconstruction – politique, économique et sociale – de la Maison libanaise ; et la seconde, mue par une idéologie à portée transnationale, qui depuis 2015 n'épargne aucun moyen pour torpiller la première ligne de conduite et tenter d'imposer l'ancrage du pays au nouvel « empire » régional des mollahs de Téhéran. Le plus désolant dans ce bras de fer existentiel est qu'une faction chrétienne censée être souverainiste – ou du moins qui l'était – accorde une précieuse couverture à un projet transnational par essence antisouverainiste.
commentaires (9)
X DEMANDE À Y S'IL SAIT QUELLE EST LA SIMILITUDE OU LA DIFFÉRENCE ENTRE JÉSUS ET LE LIBAN. - Y RÉPOND QU'ILS ONT ÉTÉ TOUS DEUX TRAHIS PAR DES JUDAS ET CRUCIFIÉS ! - X CLARIFIE : JÉSUS A ÉTÉ TRAHI UNE FOIS PAR JUDAS ET CRUCIFIÉ. LE LIBAN EST TRAHI TOUS LES JOURS PAR D'INNOMBRABLES JUDAS ET CRUCIFIÉ MILLE FOIS PAR JOUR...
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 54, le 10 novembre 2015