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Moyen Orient et Monde - Entretien

Comment les lieux saints ont été fabriqués à Jérusalem

À l'occasion de la traduction en arabe du livre « Jérusalem 1900, la ville sainte à l'âge des possibles », « L'OLJ » s'est entretenu avec l'auteur, l'historien Vincent Lemire, dans le cadre de la 22e édition du Salon du livre de Beyrouth.

Une vue du Dôme du Rocher sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est. Thomas Coex/AFP

Le livre Jérusalem 1900, la ville sainte à l'âge des possibles se veut une déconstruction des imaginaires liés aux conflictualités religieuses, et des rapports qui régissent les communautés à une époque où la ville connaissait un processus de modernisation et de transformation. L'historien revient sur la fabrication et l'appropriation tardive des lieux saints, le rôle des facteurs exogènes dans la prégnance de l'imaginaire religieux, et retrace l'histoire plus profane et citadine de Jérusalem. Alors qu'aujourd'hui les lignes de fractures sont présentées comme religieuses, un siècle plus tôt, le facteur religieux n'avait pas de pertinence pour comprendre les dynamiques à l'œuvre et la réalité complexe d'une ville en pleine mutation. À travers cet entretien, l'auteur restitue le cadre de cette histoire oubliée de Jérusalem.

Vous avez fait un travail en rupture avec l'historiographie traditionnelle et les représentations de Jérusalem, ville figée et éternelle. Quelle a été votre démarche ?
C'est une démarche d'historien qui vise d'abord à déconstruire les catégories confessionnelles et religieuses généralement utilisées pour penser l'histoire de Jérusalem, et les catégories géopolitiques actuelles, le conflit israélo-arabe. Il s'agit ensuite de construire une nouvelle grille de lecture à partir des outils les plus banals, les classes sociales, les groupes de langue, les origines géographiques.

Quelle place occupait Jérusalem au sein de l'Empire ottoman ?
Dans l'historiographie traditionnelle, on parle de Jérusalem comme d'une petite ville délaissée par l'Empire ottoman. C'est une autre idée reçue que je conteste. On se rend compte que le sultan-calife d'Istanbul, gardien des lieux saints, et non pas uniquement de La Mecque et de Médine, tient une attention très particulière à la ville sainte de Jérusalem et ses enjeux multiples. On le voit par des investissements, des efforts de modernisation, par le fait que par exemple, à partir de 1872, la province de Jérusalem passe directement sous contrôle d'Istanbul et n'est plus dépendante de la wilaya de Damas-Beyrouth.

Pourquoi cette histoire profane d'une ville, qui connaît un « certain équilibre », une « certaine sécularisation » et une modernisation, est passée sous silence ?
C'est en raison de l'actualité mais surtout du fait que l'on est incapable de comprendre que la conscience nationale palestinienne au début du XXe siècle n'est pas née en réaction au projet sioniste, comme toutes les consciences nationales arabes, mais qu'elle est née d'abord en réaction à l'impérialisme ottoman, parce que l'ennemi concret, effectif, les forces de répression, c'était l'Empire. Le sionisme était encore un projet balbutiant, à peine audible par les intellectuels et par les nationalistes palestiniens, y compris à Jérusalem. Donc, si l'on prend la grille de lecture du conflit israélo-arabe pour comprendre le nationalisme palestinien des notables de Jérusalem de 1900, on ne comprend rien à leur positionnement vis-à-vis de l'Empire et vis-à-vis du projet sioniste.


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Vous rappelez que le découpage de la vieille ville à l'époque en quartiers juif, chrétien, musulman et arménien ne correspond pas historiquement à la réalité démographique complexe, au mélange d'influence et à l'interpénétration confessionnelle. Vous pouvez développer cette idée ?
Cela est parti de deux constats. Le premier est que si l'on regarde les cartes anciennes de Jérusalem avant les années 1850, cette quadripartition n'existe pas. Ensuite, si l'on se réfère aux recensements ottomans qui sont très bien conservés pour les années 1883 et 1905, et que l'on s'intéresse à qui habite où, nous n'avons pas de quartiers clairement identifiables. Nous constatons qu'il y a beaucoup de musulmans dans ce que l'on appelle aujourd'hui les quartiers juifs et inversement, la mixité l'emporte très largement sur l'homogénéité. Si l'on a cette vision d'une ville découpée en quatre quartiers, c'est parce que les visiteurs occidentaux au milieu du XIXe siècle sont arrivés dans une ville qu'ils ne comprenaient pas, et, pour simplifier les choses, ils l'ont redécoupée.


Vous insistez sur le poids des facteurs exogènes dans les bouleversements que connaît la ville. Selon vous, la mixité et les interactions disparaissent progressivement sous le mandat britannique. Comment se sont faits le découpage géographique et l'assignation confessionnelle à ce moment-là ?
On peut constater que le modèle « Jérusalem 1900 » d'une ville cosmopolite avec une certaine mixité des quartiers, une certaine coexistence des différents habitants est un modèle qui se fragilise et explose dans les années 1920-1930. Beaucoup d'historiens considèrent que les causes sont endogènes, les conflictualités religieuses seraient intrinsèques à la société de Jérusalem et la proximité des lieux saints rendrait le conflit inéluctable. Ce n'est pas ma vision, ce sont des causalités extérieures qui vont faire disparaître la réalité urbaine de Jérusalem. Il y a la montée en puissance du projet sioniste et du mouvement nationaliste palestinien à partir du début du XXe siècle qui prend en tenaille la ville qui va pratiquement se scinder en deux en 1948.

Vous avez intitulé ce livre « La ville sainte à l'âge des possibles », pourquoi ?
C'est l'adolescence de Jérusalem, ce moment où pratiquement tout est possible, rien n'est encore certain, tout est fragile mais il y a encore une grande énergie. Cela part également d'un engagement méthodologique très fort, celui de toujours considérer que les acteurs d'un moment historique sont ignorants du moment historique suivant et agissent en fonction de cette ignorance. Si l'on ne prend pas en compte l'incertitude, on ne comprend pas l'époque dont on parle.

 

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Le livre Jérusalem 1900, la ville sainte à l'âge des possibles se veut une déconstruction des imaginaires liés aux conflictualités religieuses, et des rapports qui régissent les communautés à une époque où la ville connaissait un processus de modernisation et de transformation. L'historien revient sur la fabrication et l'appropriation tardive des lieux saints, le rôle des facteurs...

commentaires (1)

J'adore... les historiens politologues de leurs temps... qui oubli 7000 ans d'histoire....! Alors , Jérusalem avant la conquête islamique c'est intéressant aussi de savoir ...vu que se sont nos origines....

M.V.

08 h 10, le 02 novembre 2015

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Commentaires (1)

  • J'adore... les historiens politologues de leurs temps... qui oubli 7000 ans d'histoire....! Alors , Jérusalem avant la conquête islamique c'est intéressant aussi de savoir ...vu que se sont nos origines....

    M.V.

    08 h 10, le 02 novembre 2015

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