Israéliens et Palestiniens auraient-ils vécu en paix ? Où en est Israël aujourd'hui ? Le souvenir de l'assassinat du Premier ministre Yitzhak Rabin il y a 20 ans pousse les Israéliens à interroger le présent et l'avenir, entre rêverie prophétique et durs rappels à la réalité.
Des dizaines de milliers d'Israéliens – jusqu'à 100 000 disent certains médias – se sont massés samedi soir sur la place où Rabin a été assassiné le 4 novembre 1995 et qui porte désormais son nom. Israël n'avait plus connu de tel rassemblement de gauche depuis longtemps. Rabin, l'ancien héros de la guerre des Six-Jours ayant fait le choix de la paix au point de recevoir le prix Nobel (avec son rival Shimon Peres et le leader palestinien Yasser Arafat) en 1994, en était le héraut à leurs yeux. Dans la foule sombre, la plupart admettaient que la paix n'avait jamais paru aussi lointaine qu'aujourd'hui. Meirav, 44 ans, fidèle à ce rendez-vous annuel, n'avait « jamais vu autant de monde depuis des années, et c'est rassurant car je n'ai jamais senti Rabin aussi loin de nous que cette année ». « De l'espoir, je n'en ai plus depuis ce 4 novembre 1995. C'est aussi notre naïveté qu'ils ont tuée ce soir-là », dit-elle, abondant avec tous ceux qui disent que les accords d'Oslo sont morts avec Rabin. « Rassemblement du désespoir », titrait hier le quotidien Maariv. « Rassemblement pour nulle part », renchérissait Yediot Aharonot.
Un nouvel enchaînement de violences oppose Israéliens et Palestiniens, dont les dirigeants ne se parlent plus depuis des mois. Après une série de méfaits de l'extrême droite, tout le monde avait à l'esprit, place Rabin, qu'un autre attentat comme celui de 1995 était possible. Au moment où Bill Clinton, l'ami de Rabin, exhortait la foule à « achever le dernier chapitre de l'histoire » écrite par Rabin, le ministre israélien des Sciences Ofir Akunis, membre de l'un des gouvernements les plus à droite de l'histoire, affirmait que « l'idée de deux États (israélien et palestinien) est morte », selon le quotidien Maariv.
La gauche vaincue
Dans un tel contexte, beaucoup se posent la question : « Que se serait-il passé si Rabin n'avait pas été assassiné ? » Si Rabin avait eu un mandat de plus, « nous serions parvenus à un accord permanent avec les Palestiniens et même peut-être à la paix avec la Syrie », assure Ouri Savir, négociateur en chef entre 1993 et 1996 des accords d'Oslo, qui devaient jeter les fondations d'un État palestinien. Après l'assassinat de Rabin par l'extrémiste Yigal Amir, la gauche a perdu les élections et Benjamin Netanyahu a pris la tête du pays pour la première fois. « Il s'est employé à démanteler minutieusement tout ce qui était prévu », affirme Ouri Savir. « Vous pensez qu'on a une baguette magique ? Non. Devra-t-on toujours vivre par le glaive ? La réponse est oui », aurait déclaré M. Netanyahu la semaine passée à des députés, selon le quotidien Haaretz.
« Un dirigeant respectable »
Une partie de la gauche doute elle-même de la capacité ou de la volonté de Rabin d'aller jusqu'au bout du chemin. « Si Rabin était en vie, il serait aujourd'hui un retraité nonagénaire hyperactif comme Peres, et Netanyahu serait quand même Premier ministre et continuerait d'expliquer pourquoi tout est de la faute des Palestiniens », estime, amer, Anshel Pfeffer, éditorialiste du Haaretz, en faisant référence à l'évolution sociologique et électorale israélienne. La fille de Rabin, l'ancienne députée Dalia Rabin, refuse que l'on fasse porter tout le poids du destin sur les épaules de son père. « Il existait le sentiment qu'une sorte de relation de confiance s'était construite entre Arafat et Rabin. Mais elle était dans l'ensemble très fragile », dit-elle.
Un sondage publié par le journal progouvernemental Israel Hayom indique que, pour 76 % des Israéliens, Rabin était « un dirigeant respectable », qui manque à 55 % d'entre eux. Mais un tiers seulement juge les accords d'Oslo justifiés. Pour les Palestiniens aussi, Rabin est une figure ambiguë. Ils n'ont pas oublié qu'alors ministre de la Défense, il appelait à « briser les os » des émeutiers lors de la première intifada. Le président palestinien Mahmoud Abbas l'a cependant cité dans son discours à l'Onu fin septembre, s'appropriant ses mots pour mettre en garde contre le « cancer » de la colonisation. Aujourd'hui, comme la direction palestinienne, Rabin incarne pour le Palestinien de la rue l'échec d'Oslo.
Daphne ROUSSEAU/AFP
commentaires (4)
Et s'il n'y avait pas eu l'Empire Ottoman et l'Empire Britannique....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 31, le 02 novembre 2015