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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

L’humour, le mot d’esprit, le rire et l’inconscient -1-

Il y a une vingtaine d'années, à un dîner organisé par des amis pour un séjour que je faisais au Liban – à l'époque j'étais encore résident en France – l'un d'eux me consulta ouvertement et publiquement au sujet d'une crampe tenace à la main droite qui l'avait conduit à consulter plusieurs neurologues. Cette crampe le saisissait au moment d'écrire au point que sa main droite n'était plus fonctionnelle. Tandis qu'il me racontait cela, je pensais à « la crampe de l'écrivain » et à la signification inconsciente que lui donne Freud. En bougeant la main comme s'il secouait une bouteille, mon ami insistait pour me montrer comment sa main se bloquait. En observant son geste, je ne pouvais pas ne pas penser à la signification que donnait Freud de la crampe de l'écrivain : le geste d'écrire est sexualisé brusquement et reprend sa signification inconsciente, la masturbation : derrière le stylo, le pénis et derrière l'encre le sperme.
Dans les rencontres entre amis et connaissances, on titille souvent le savoir de l'analyste, d'autant que ce savoir touche au sexe et à la mort. Bien entendu, l'analyste ne donne jamais une quelconque explication analytique. Car comme pour le rêve, la signification d'un symptôme ne répond à aucun symbolisme universel qui aurait sa signification en soi, et ne peut donc être interprété que dans le cadre des associations verbales du sujet. Comme on l'a vu auparavant, il y a « réduction du symbole au signifiant », disait Lacan.
Embarrassé par l'insistance de cet ami qui voulait une réponse, je me hasardai seulement à poser un diagnostic de type médical : « Il doit bien s'agir d'une crampe de l'écrivain. » « Je sais ! je sais ! » répondit-il, le neurologue me l'a déjà dit. « Mais enfin qu'est-ce que c'est que cette fichue crampe de l'écrivain », insista-t-il en accentuant le geste de la main ?
À ma grande surprise, avec le sourire et en répétant caricaturalement son geste, un autre ami lui répondit avec le sourire : « Pas besoin d'avoir fait des années d'études de médecine, de psychiatrie et de psychanalyse comme Chawki pour savoir que tu t'es masturbé quand tu étais petit. » Le rire général qui accueillit cette intervention avait une valeur cathartique, il soulageait d'une tension. L'ami qui fit cette « interprétation sauvage » n'avait aucune connaissance de la littérature analytique. Mais il possédait une grande dose de bon sens et surtout beaucoup d'humour. Habitués à ses traits d'esprit depuis fort longtemps, tout le monde riait de bon cœur, y compris l'intéressé lui-même. Sur le plan inconscient, tout le monde avait saisi la signification sexuelle du geste, mais ne voulait rien en savoir, définition même du refoulement. L'intervention de cet ami opéra une levée de refoulement chez tous les présents, le rire en témoigne.
Comme dans toute situation où quelqu'un réalise un mot d'esprit – ici, l'allusion qui s'appuie sur la proximité gestuelle entre la main bloquée et le geste de la masturbation –, le rire d'un tiers témoigne que quelque chose, qui était resté jusque-là inconscient du fait du refoulement, vient d'être révélé à l'auditeur.
En 1905, Freud avait déjà remarqué, et c'est d'une pratique courante pour tous les psychanalystes, que lorsque pendant une séance le patient rit suite à une intervention de l'analyste, le rire nous indique qu'on est parvenu à lui « révéler avec exactitude l'inconscient jusque-là voilé ». Mais dans la situation analytique, il n'y a pas de tierce personne. Il n'y a que l'analyste et l'analysant. Par contre, l'esprit nécessite cette présence du tiers qui témoigne par son rire qu'il y a eu levée du refoulement. En ce sens-là, la comparaison avec le rêve permet à Freud de dire que ce dernier est un « produit psychique parfaitement asocial et qu'il n'a rien à communiquer à autrui », parce que d'abord il est incompréhensible pour le rêveur lui-même. Nous sommes donc en mesure de dire que si l'analysant rit à l'intervention de l'analyste, c'est parce que l'intervention a en effet touché un lieu tiers, l'inconscient du sujet, le lieu de l'Autre. Et c'est parce que cet Autre a parlé à travers le sujet que l'analyste a pu l'entendre et lui restituer sa parole. C'est l'interprétation.
Le mot d'esprit est ici tout à fait comparable à l'interprétation, soit qu'il permet de lever un refoulement. Soit d'ordre sexuel, comme on vient de le voir avec la Crampe de l'écrivain, soit relevant de la mort comme on le verra la prochaine fois.

Chawki AZOURI

Il y a une vingtaine d'années, à un dîner organisé par des amis pour un séjour que je faisais au Liban – à l'époque j'étais encore résident en France – l'un d'eux me consulta ouvertement et publiquement au sujet d'une crampe tenace à la main droite qui l'avait conduit à consulter plusieurs neurologues. Cette crampe le saisissait au moment d'écrire au point que sa main...

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