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Liban - Tribune

Des «Spontaneuous Horizontalists» face à un système politique consensuel

Les Libanais suivent, abasourdis, le mouvement civil dans toutes ses ondulations. D'abord, les chefs sont en nombre indéterminé. Ensuite, lorsque certains disparaissent, d'autres émergent à leur place. Le public les suit en échouant toutefois à les situer dans un lieu ou même dans un temps. Lorsque l'observateur veut opérer une lecture binaire du phénomène, c'est à un mouvement complexe et composite qu'il se heurte. Les décryptages vont dans des sens opposés, sauf dans le respect des traditions des pays de la région : les services de sécurité américains, russes, iraniens, saoudiens, israéliens ou... syriens manient et même manipulent ces activistes. Plusieurs de celles et ceux qui avaient abondé dans ce sens lorsqu'ils s'étaient livrés autrefois à leur analyse des phénomènes déclencheurs du « printemps arabe » occupent le centre-ville de Beyrouth, en nous promettant le printemps au lieu de la canicule et « des lendemains qui chantent », mais niant toutefois toute volonté de reproduire ce « printemps arabe » honni ou redouté.
Le spectacle est digne d'inspirer ces cinéastes libanais qui avaient jadis refusé de sublimer les émotions de la guerre en images et suggestions.
Cependant, l'heure serait à la prose, après des semaines de lyrisme parfois épique, mais tout le temps évocateur.
Paul Mason, un écrivain britannique, évoque les « Spontaneous Horizontalists », dans l'un de ses ouvrages, Why It Is Kicking-Off Everywhere, the New Global Revolutions. Ce livre est écrit à la suite des renversements inouïs survenus dans plusieurs pays arabes où les « Anonymous », blogueurs et autres manieurs du numérique insidieux, opaque, fluide et souterrain ont réussi à focaliser, mobiliser, ameuter et enfin... à démolir des ordres établis.
Ils sont « Horizontalists » en ce sens qu'ils manquent entièrement d'une pyramide, de même qu'ils cultivent le concept du « symbole » au lieu de « l'idole ». Ils sont un tout constitué d'individualités, ne formant en aucun cas un montant global – un peu à la manière du fondement révolutionnaire du numérique 01, 01, 01... Certains journalistes croient ramener la mise en évidence de chefs divers à la méthode désuète des partis révolutionnaires agissant dans la clandestinité.
Ils sont « Spontaneous » en cela que le système est absent, le Korpus si cher à l'Allemagne de l'ère industrielle est abandonné. Certains des observateurs sont inquiets de la carence des services de sécurité libanais. Or, les « Spontaneous », en rien des « mechanical bureaucratic », sont dans la créativité immédiate, menés par un élan inspirateur à chaque moment.
Les « Spontaneous Horizontalists » libanais sont en pleine éclosion, éclatement et abondance, bruyamment convaincus de réussir là où leurs confrères l'ont fait ailleurs. Sauf qu'ils sont en face d'un régime politique consensuel.
Jürgen Habermas, Hannah Arendt et d'autres sont arrivés à cette définition de la sphère publique dans le concept moderniste – « une place libre de toute coercition » – alors que sa définition dans le concept postmoderniste est : « Là où l'on peut s'opposer au pouvoir disciplinaire du consensus ». L'ère postmoderniste a tout l'air de pratiquer le culte du consensus, le jugeant apte à laisser s'exprimer les diversités et même plus à respecter leurs besoins pour finalement en faire une plate-forme pour l'exercice du pouvoir. Nécessairement, le consensus s'imposera à ses composantes ainsi qu'aux diversités hors de ses rouages. C'est dans la sphère publique que les marginaux du consensus montreront leur opposition frontale avec son pouvoir disciplinaire. C'est avec la délectation possible qu'ils vont élaborer les thèmes délégitimant ce consensus qu'ils voudraient envoyer au milieu des... ordures. C'est une fois arrivé à cette mesure que le convoi hybride, jovial, insouciant et saccageur des « Spontaneous Horizontalists » libanais commence à cahoter.
Effectivement, la vision des composantes plurielles (en l'occurrence communautaires) du consensus libanais comme un ensemble similaire, homogène et solidaire fait que le mouvement carbure désormais à vide. La raison est dans la négation d'une donne fondamentale persistante, même et surtout dans un régime politique consensuel qui est l'émergence d'une des composantes du consensus en une locomotive, et un centre de gravité pour les autres ainsi que pour le pouvoir.
Ainsi, les dernières années de la guerre au Liban ont vu s'enclencher des mouvements de rue en protestation contre la poursuite de la guerre. Cependant, c'est seulement lorsqu'on a taxé les régions est du pays (donc les chrétiens) comme à l'origine de l'entretien de la guerre que les accords de Taëf ont pu être conclus.
La déduction est simple et s'impose d'elle-même. Pour marquer un but dans les défenses du régime politique libanais consensuel, faudrait-il nommer la composante communautaire membre du consensus franchement responsable de la misère actuelle. Laquelle ?
Est-ce la vocation du mouvement civil ou celle des acteurs politiques de mener cette campagne ?
Dans un autre ouvrage, Meltdown, the End of the Age of Greed, Paul Mason évoque la fin de l'âge de l'avidité qui s'est installé aux États-Unis au milieu des années 80 pour s'étendre au reste du monde au début des années 90. La grande récession sévissant aux États-Unis en 2008 a mis une fin brutale à la tendance dépensière et foisonnante des classes moyennes américaines désormais à l'âge de l'épargne. Après de longues années, l'âge de l'avidité est parvenu dans nos pays ; sa fin y pointe déjà.
« A Hard Rain's A-Gonna Fall ».

Ibrahim GEMAYEL

Les Libanais suivent, abasourdis, le mouvement civil dans toutes ses ondulations. D'abord, les chefs sont en nombre indéterminé. Ensuite, lorsque certains disparaissent, d'autres émergent à leur place. Le public les suit en échouant toutefois à les situer dans un lieu ou même dans un temps. Lorsque l'observateur veut opérer une lecture binaire du phénomène, c'est à un...

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