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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Ce soir, vous plongerez dans le kitsch

Tenter, avec les moyens du bord, de faire revivre les soirées d'un Liban kitsch, mais avec suffisamment d'aplomb et d'humour pour ne pas se laisser enliser dans la nostalgie...

Photos GK

Le 29 août dernier, vous avez été les témoins de ce que l'on appelle une « super lune ». Cet astre de nuit, qui, vous a-t-on dit, porte en lui la mémoire karmique de l'univers, agissant en éveilleur de nostalgies. Ceci doit expliquer votre humeur toute en réminiscences et souvenances. Alors, voilà, vous avez décidé que ce soir, dans votre machine à remonter le temps, vous sortirez dans un Liban en version kitsch. Vous enfilerez le costume Mugler jaune moutarde récupéré de chez votre grand-père, quitte à passer pour un hipster de plus, vous laquerez votre cheveu au spray Elnett et hésiterez entre trois ou quatre restaurants, sans trop vous casser la tête. Vous irez dîner au Beirut Cellar, son immortelle enseigne vous consolera, tout comme l'ambiance douillette de son antre qui inquiète, à tort, les plus claustrophobes. Vous tairez votre intolérance aux noix l'espace d'une salade iceberg et roquefort, vous oublierez les poules hormonales et mordrez dans des wings de poulets bien flambantes. Ensuite, en dépit des regards dubitatifs, vous vous affalerez sur la banquette, déboutonnerez votre pantalon à force d'avoir bâfré et vous vous laisserez bercer par Dalida roucoulant en japonais. Pour un similaire moment désuet intramuros, vous pourrez éventuellement vous attabler au Chase ou chez Boubouffe qui a certes émigré, mais a quand même transporté avec lui tout son mobilier d'époque et au passage son logo aux zébrures sixties. Vous placerez votre sandwich de chawarma (dégoulinant de gras) bien au centre de votre assiette, au-dessus de laquelle trône une bouteille de Pepsi-Cola avec sa paille psychédélique. Puis vous rentrerez la pupille dans l'objectif de votre vieille Leica et enfermerez tout ce décor dans une photo, et tant pis pour Instagram, ses filtres trompeurs et ses images d'une époque faussement révolue.

Oiseaux déraisonnablement frits
Par crainte que les fines particules dégagés des échappements vous amiantent les bronches et filent de l'asthme à votre carburateur, vous fuirez la ville vers des contrées qui baignent encore dans une onctuosité mélancolique et délicieusement kitsch. Vous dépoussiérerez une vieille BMW série 3 digne de Lady Di et la conduirez jusque dans le brouillard laqué de chez Halim à Aley, qui estompe heureusement les silhouettes de ces infâmes buildings déchiquetant le ciel. Vous y dégusterez, en tête à tête avec un verre d'arak, une douzaine d'oiseaux déraisonnablement frits. Prétendant ignorer l'existence des nouvelles autostrades, vous emprunterez la vieille route de Mkallès en direction de L'Os, rien que pour son pain à l'ail tout droit sorti d'un roman de Proust à la sauce libanaise. Vous enchaînerez avec des huîtres et leur sauce oignon-vinaigre de vin, sans la crainte mondaine d'une haleine de chacal. Dans ce réfectoire fantomatique, il n'y aura probablement que vous et les serveurs accoutrés dans leurs tenues inchangées depuis des lustres, et l'ennui y gagnera terriblement, mais cela vous plaira beaucoup, cette idée de flécher le passé et de reconquérir des bribes d'odeurs, d'images et de saveurs d'une époque désormais glacée sous celluloïd.

Escargots sur nappes vichy
Sur les hauteurs de Broummana, vous continuerez à traquer les souvenirs, à décarcasser le passé. Entre Gargote et Gargotier, votre cœur balancera, et vous finirez par pencher vers madame pour sa terrasse des derniers jours d'été. Vous reconnaîtrez son maître d'hôtel, ses nappes vichy, ses fleurs artificielles, son bar garni de liqueurs trop sucrées, son atmosphère fantasque qui pourrait peut-être ravir les vieux mélancoliques des années de guerre, les mitraillettes en moins. Sous les colonnes en plâtre et les lampes en verroterie qui vernissent la salle d'une ambiance kitsch, rococo, presque ringarde, vous relirez assidûment la carte au cuir un rien collant. Pour constater que rien n'a changé, des carottes et petits pois en boîte aux lits de laitues en passant par les plats aux noms disparus de Larousse. Un tournedos aux champignons, une sauce Café de Paris, une salade panachée, une escalope oreille d'éléphant. Vous commanderez tout, sans exception, en commençant naturellement par les légendaires escargots à la bourguignonne, saison oblige. Vous vous réjouirez même à l'écoute de la musique top 50 gélifiée et à la romance toc pour pistes de danse. Pas du Daho ou du Gainsbourg, trop branchés. Plutôt du Corynne Charby, du Pierre Bachelet, voire du Jean-Pierre Madère. Plus ça sera sirupeux et plus vous adorerez.
Ces quelques notes de piano fragiles, éraillées, démodées et mélancoliques du bonheur d'un passé si fugace qu'on aimerait pouvoir l'attraper dans un filet comme un papillon. « Ne t'en vas pas je t'aime », fredonnait Julio. Comme il avait raison...

 

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Le 29 août dernier, vous avez été les témoins de ce que l'on appelle une « super lune ». Cet astre de nuit, qui, vous a-t-on dit, porte en lui la mémoire karmique de l'univers, agissant en éveilleur de nostalgies. Ceci doit expliquer votre humeur toute en réminiscences et souvenances. Alors, voilà, vous avez décidé que ce soir, dans votre machine à remonter le temps, vous sortirez...

commentaires (3)

Il y a des souvenirs que le temps n'efface pas, comme il y a des endroits qui nous ramènent à ces souvenirs comme une bouffée nostalgique...

Nadine Naccache

12 h 13, le 19 septembre 2015

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Commentaires (3)

  • Il y a des souvenirs que le temps n'efface pas, comme il y a des endroits qui nous ramènent à ces souvenirs comme une bouffée nostalgique...

    Nadine Naccache

    12 h 13, le 19 septembre 2015

  • :-)

    Christine KHALIL

    07 h 28, le 19 septembre 2015

  • Rézzallâh ! Yâ harâm yâ Lébnéééne !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    06 h 44, le 19 septembre 2015

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