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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Apocalypse tonight, ou presque

Ce qu'on entend et ce qu'on voit depuis quelque temps vient d'ailleurs. Comme une enfilade d'images arrachées aux limbes de « Mad Max » ou « 2001 : A Space Odyssey ». Récit d'une nuit à Beyrouth, lorsque l'obscurité devient apocalyptique...

Photo G.K.

Il flotte désormais une effroyable certitude, bien plus qu'une impression : la Terre, notre terre, se déchire selon un scénario qui ne souffrirait pas la comparaison avec tous les Aliens réunis. Brutale, sèche, violente et sans issue, la situation actuelle du pays rejoint indéniablement le défaitisme effrayant que crayonne le texte de l'Apocalypse, rédigé au Ier siècle sous le règne de Néron et pourtant d'une troublante modernité. Seulement, la prophétie le dit bien : avant ce déferlement de haine et de destruction, bien nécessaire pour faire le tri entre les élus et les mécréants, les anges et leurs trompettes nous accordent une demi-heure. Nous y voilà donc, nous laissant traîner à plat pont, comme un condamné avant de passer l'arme à gauche, s'apprêtant au coup fatal, mais espérant un ultime miracle. Et si la lumière laiteuse de la journée réussit encore (à peine) à masquer toutes ces plaies béantes qui nous saignent, la nuit, au contraire, ne leurre plus.

 

Désormais...
C'était l'heure inspirée où nous avions l'habitude de chercher la compagnie des réverbères parce qu'ils se confondaient avec la lune. Le moment exquis où les éclats de rire ou de verre rassuraient le silence à peine inquiétant. Et celui où la laideur du béton anarchique devenait plus supportable, l'air plus respirable, la ville plus belle. Sur les rues de Beyrouth, la nuit tombée, il régnait une forme de liberté, presque d'impunité : à maîtriser les contresens, s'approprier les pavés en gentils squatteurs, s'amuser, goguenards, à partager les foyers des voisins à travers leurs moustiquaires, cueillir des jasmins des arbres d'autrui et confondre les fougères des halls d'immeuble avec des buissons à flirt. Dans l'obscurité, les ruelles de la capitale avaient quelque chose de presque salvateur : que la journée ait été bonne ou mauvaise, la nuit nettoyait tout. Mais ce n'est plus pareil depuis quelque temps. Désormais, la nuit dérange et son atmosphère étrange et incongrue pointe du doigt notre propre fatalité.

 

La queue du chat
La scène s'est produite sous la maison, dans la rue pourtant si bien domptée, jusqu'à l'appeler « notre rue », mais qu'on ne reconnaît plus comme ça, passée sous un filtre couleur marécage et prise dans les filets d'une tempête venue d'on ne sait où. C'est comme si un désert aux gros bras démembreurs avait tiré le tapis sous les pieds d'une ville qui respirait déjà avec difficulté. Nous sommes donc devenus, l'espace d'une nuit devenue blanche, ces explorateurs intrus se retrouvant aux prises avec un vent sableux de l'enfer vert, se traînant comme des vieilles consoles dans ce tableau de jugement dernier. Le quartier en entier a retenu sa respiration, suspendu, au fur et à mesure que les voitures, amovibles, se recouvraient d'un sable déguisé en neige. Pas un bruit, pas la moindre lumière, car la nappe de brume floutait le seul lampion fonctionnel. Juste quelques sons trouant indiscrètement la moiteur molle de l'air : des volets qui claquent, les miaulements d'un chat dont on a probablement écrasé la queue, des chaînes qui grincent, un tuyau qui crachouille et, angoissante, la toux tenace et saccadée d'un vieil homme rentrant à pied de la pharmacie du coin. « Prenez soin de vous, couvrez-vous le visage. » Et sa réponse : « Ce n'est certainement pas aussi grave que la fumée de ma cigarette ! »

 

Colonie Nevada
Pressurisés, déboussolés, collants, nous avons ensuite sprinté vers le hall de l'immeuble qui n'a pas échappé non plus à la sournoiserie des grains de sable. Et comme les malheurs n'arrivent qu'en série, nous sommes tombés sur la voisine du dessus, angoissée, déblatérant des phrases à peines décodables sous un masque sans doute récupéré de la triste époque de Hiroshima. Des sentences prophétiques désabusées, ponctuées de « catastrophes », « nappe phréatique », « toxique », « fin du monde », comme tirées d'une bible dont elle serait le seul prophète. Heureusement que notre respiration saccadée l'effraye, ce qui nous a permis de rejoindre l'appartement quitté ce matin. Et là, surprise, comme s'il nous en manquait. À cause d'une fenêtre qu'on a, par mégarde, oublié de fermer, c'est le Nevada qui nous a colonisés. Nous explorons alors les pièces comme celles des maisons abandonnées et hantées par les cadavres de leurs anciens propriétaires et surtout par cette tempête qui a tout recouvert d'une poussière de sable. Comme si le temps avait passé plus vite et posé sa marque sur le monde pendant qu'on se protégeait les yeux et le nez.
Cette tempête qui rit à nos faces masquées en nous expliquant que, voilà, nous avons beau essayer, nous avons beau batailler sur les places, nous serons malheureusement voués au passé, à l'immobilisme, à la poussière. Mais là, tout de suite, nous avons besoin de dormir. D'un sommeil de plomb, lorsque enfin nos clims viennent souffler un air presque pur, et que nos rêves nous racontent des mensonges un peu plus beaux que la vérité.

 

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Il flotte désormais une effroyable certitude, bien plus qu'une impression : la Terre, notre terre, se déchire selon un scénario qui ne souffrirait pas la comparaison avec tous les Aliens réunis. Brutale, sèche, violente et sans issue, la situation actuelle du pays rejoint indéniablement le défaitisme effrayant que crayonne le texte de l'Apocalypse, rédigé au Ier siècle sous le règne...

commentaires (1)

En effet, c'est une description apocalyptique effrayante, ça donne le cafard! Peut-être un peu excessive? Mais qui fait réféchir. La fin du Monde? Oui mais qui sait à quand? Je garde l'espoir de vous relire bientôt M. Khoury, sans autant de trouille!!!! De toute façon vous avez la capacité et l'imagination d'un grand écrivain de romans à "suspens" Bravo!!!

Zaarour Beatriz

12 h 56, le 12 septembre 2015

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Commentaires (1)

  • En effet, c'est une description apocalyptique effrayante, ça donne le cafard! Peut-être un peu excessive? Mais qui fait réféchir. La fin du Monde? Oui mais qui sait à quand? Je garde l'espoir de vous relire bientôt M. Khoury, sans autant de trouille!!!! De toute façon vous avez la capacité et l'imagination d'un grand écrivain de romans à "suspens" Bravo!!!

    Zaarour Beatriz

    12 h 56, le 12 septembre 2015

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