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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Songes d’une nuit (de fin) d’été

S'il y a une seule raison d'accueillir la rentrée à bras ouverts, ce n'est évidemment ni pour le plaisir de retrouver sa mallette, ni pour la joie du retour au train-train quotidien, encore moins pour les journées couche-tôt, mais bel et bien pour les petites parenthèses de bonheur qu'offrent les nuits de septembre...

Photo CH

D'accord, d'accord. Il n'y a pas lieu de s'émoustiller à l'approche de la saison des feuilles mortes. Pas la peine de batailler en faveur de l'automne et de ses trois mois noirs, entre Toussaint lugubre et Épiphanie pingre. Qui échappe vraiment au blues pernicieux de la rentrée ? Celle qui crache de l'emballage plastique des livres scolaires et de la naphtaline des armoires les rancunes d'écolier comme les amertumes des routiniers... Mais aussi les spleens bleuâtres des bords de mer et déjà la soif de (re)partir. On préfère et de loin le temps des fruits mûrs et des blés durs, de la profusion et de la maturité, du ciel trop clair et des peaux trop ambrées. On aimerait être toute l'année les Romy Schneider des piscines chlorées, les Charlotte Rampling des Swimming Pools délavées. Des marsouins plongeurs sur les côtes du Pacifique, meilleurs copains de Flipper le dauphin. On s'improviserait en Depardieu, père héroïque, surfeur maladroit hoquetant sur les rouleaux d'une eau azurée. Et surtout on se rêverait clone de Jacques Mayol, perdu dans la mystique du Grand Bleu. Mais les cloches de l'automne font un bruit de branche morte crissant sous la botte et ses amours enfuies se retournent comme des parapluies nous rappelant que les jupes, elles, ne se trousseront plus. Et pendant que Bashung chante La Nuit Je mens , les soirs d'automne, au contraire, nous traînent à reculons, et au bon vouloir des fessées d'un réveil-matin, vers la tenace réalité.

Boule au ventre
On pourrait ainsi jeter la pierre à l'insolence de ces nuits de septembre qui sonnent le glas d'un retour à l'ordre. On pourrait certes se lamenter sur notre sort quand le soleil se retire de plus en plus tôt et que nous régressons à pas de loup vers nos angoisses d'enfants. Car les soirs de la rentrée sentent le polyester des cartables d'écolier, les uniformes amidonnés et souplinés, les crayons bien taillés et les cahiers étiquetés de mille étoiles. Ces soirs de rentrée se crispent encore au son des Douche-toi, vas te coucher !, des couvre-feux – quelle appellation inquiétante... – et des montres molles qu'on séquestre dans les armoires de nos vacances. On pourrait aussi appréhender septembre la nuit parce qu'il fait trop chaud pour reprendre les habitudes des soirs d'hiver, et pas assez frais pour déjà consentir à abandonner les bords de mer, les hashtags de soirées exotiques et les selfies sous les étoiles.
On pourrait donc cracher sur l'obscurité de cette saison d'entre-deux, cette saison d'adieux qui se mêle aux larmes salées des Ne pars pas, reste encore... et transpire la moiteur des mains qui se séparent lors des départs nocturnes à l'aéroport. On pourrait même haïr cette saison morte qui porte bien son nom et où les fêtes, pour le peu qu'il en soit resté cet été, se mettent en mode closing. On pourrait donc continuer longtemps comme ça, à déblatérer sur ces nuits d'automne qui assènent le coup fatal à la mise en berne, la mise en bière, la mise à terre de l'été et de ses plaisirs ensoleillés.

Transpirer bonheur
Mais ce serait trop facile, ce serait comme tirer sur une ambulance, surtout que les soirées de septembre ont de ces plaisirs résolument rassurants et tendrement nostalgiques. D'abord, en ce neuvième mois de l'année, nous profiterons des joies de cette mi-saison, lorsque s'estompent la tiédeur de l'été et sa folie furieuse. Nous irons improviser un bain de nuit en toute tranquillité parce c'est le soir et que les familles ont plié les parasols, les surfeurs rangé leur planches. Sur le sable de Jiyeh, il suffira de se dessaper à la diable, d'éparpiller t-shirt et pantalon comme si nous n'allions jamais nous rhabiller, de se prendre les pieds dans slips, culottes et caleçons, s'asperger la nuque en chat craintif, rentrer le ventre quand ça saisit aux tripes puis s'y jeter. Brasser vigoureusement dans ces eaux désormais plus fréquentables parce que moins assaillies par les vacanciers.
Batteries rechargées, nous irons nous secouer les puces et les idées pour une dernière édition de Decks On The Beach. Hilares, bringuebalés en tous sens et la bouche collante d'un sucre de barbe à papa acheté à la corniche. Nous transpirerons bonheur plus que sueur sur un dancefloor excité par une disco rétro-futuriste au cool illimité ou un funk souple comme du latex que, tiens, les filles pourront enfin arborer sur leurs peaux encore bronzées.
Ce mois, nous irons aussi retrouver avec enthousiasme la plénitude de nos rituels de nuit réconfortants. Reprendre nos parties de cartes, réinvestir nos bars favoris et reconquérir nos tables préférées. En somme, redécouvrir nos costumes de fêtards urbains. Nous prendrons également plaisir à plonger dans les indispensables de la rentrée, séries, films et bouquins, vautrés dans les cotonnades savoureuses de nos lits de ville. Nous nous réconcilierons avec les ronronnements nocturnes du persan obèse et réapprendrons à apprécier le bulldog qui couche au bord de notre matelas.
Les nuits d'été, nous avons frimé, nous avons paradé, agaçant l'un, attirant l'autre, les soirs de septembre, nous nous touchons enfin. Nous avons regardé, joué, nous avons désiré, chacun au bout de son envie, aujourd'hui nous nous assemblons.
Rien d'absolument transcendant, certes, dans les soirs de cette saison automnale. Juste une poignée de moments, doux, beaux ou réjouissants. Et parfois même, car la rentrée se conjugue indéniablement avec renouveau, les promesses d'une saison meilleure.
Et ce n'est pas rien : c'est même parfois tout.

 

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D'accord, d'accord. Il n'y a pas lieu de s'émoustiller à l'approche de la saison des feuilles mortes. Pas la peine de batailler en faveur de l'automne et de ses trois mois noirs, entre Toussaint lugubre et Épiphanie pingre. Qui échappe vraiment au blues pernicieux de la rentrée ? Celle qui crache de l'emballage plastique des livres scolaires et de la naphtaline des armoires les rancunes...

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