La chambre de première instance du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), chargée de juger les assassins de Rafic Hariri, a entendu hier un témoin masqué, le propriétaire d'un magasin de vente de téléphones mobiles et de cartes Sim prépayées, à Tripoli.
L'importance de ce témoin réside dans le fait qu'il aurait vendu 8 puces de téléphone ayant constitué le tristement célèbre « réseau rouge » qui a été opérationnel plus d'un mois avant l'attentat, pour ensuite s'éteindre à jamais après l'explosion du 14 février 2005. L'un des cinq accusés, Salim Ayache, aurait utilisé l'un de ces huit numéros téléphoniques. Les données des télécommunications constituent l'une des preuves fondamentales avancées par l'accusation dans ce dossier.
Masqué, le témoin, dont la voix a été altérée, intervenait par vidéoconférence à partir de Beyrouth. Devant les juges, il explique comment s'effectuait l'opération de vente des puces téléphoniques, souvent de manière archaïque, sans organisation ni rigueur administrative. Répondant aux questions de l'accusation, il indique qu'il s'approvisionnait en cartes Sim auprès de plusieurs agents, notamment les sociétés Power Group, Cell Tec et Alliance, qui lui vendaient en gros les cartes dont il avait besoin pour son magasin. Ces sociétés, explique-t-il, exigeaient de lui qu'il fournisse les noms et les détails de l'identité des acheteurs, souvent a posteriori, des documents qui étaient réclamés par les sociétés de téléphonie mobile, la société Alfa en l'occurrence.
Or, souligne-t-il, aucun vendeur à l'époque n'insistait auprès des clients pour réclamer leur identité. Souvent par mesure de respect à leur vie privée – « par exemple, un mari qui voulait acheter une puce à sa maîtresse », ou encore parce que le client n'avait tout simplement pas de carte d'identité à proprement parler, mais un simple certificat d'état-civil, lequel n'était pas reconnu par les sociétés de téléphonie mobile.
Par conséquent, poursuit le marchand, dès que les agents faisaient pression sur lui pour envoyer les formulaires d'achat avec les détails des acheteurs, il « recyclait » les informations figurant sur les anciennes cartes d'identité qui appartenaient à des personnes tierces, généralement des acheteurs précédents dont il avait gardé les informations personnelles.
« On envoyait le lot des formulaires avec les (faux) détails des nouveaux acheteurs en vrac, dès que la société de téléphonie mobile faisait pression sur les agents, puis ces derniers sur nous », explique le témoin. « Vous avez donc utilisé l'identité de personnes à leur insu (pour la vente de nouvelles puces) ? » lui demande la juge Janet Nosworthy. « C'est vrai », lui répond le témoin.
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« Tous les vendeurs faisaient comme moi... »
C'est d'ailleurs sur la base de ces faits que le vendeur – après avoir été interrogé par le juge d'instruction à l'époque Élias Eid – a été condamné à près de trois ans de prison pour usage de faux et recel d'information. Le témoin, qui a vendu 8 lignes en décembre 2004 ayant fait partie, selon l'accusation, du « réseau rouge », soit le groupe ayant exécuté l'assassinat, assure à plusieurs reprises « n'avoir pas su à qui il vendait ces cartes ». « Si je le savais, je l'aurais dit au juge Eid et j'aurais ainsi évité trois années d'incarcération qui ont détruit ma vie », assure-t-il devant la cour et plus précisément à un avocat de la défense, Guénaël Mettraux, qui semblait mettre en doute cette information.
Le témoin insiste pour dire que c'est à la société Alfa qu'incombait la responsabilité d'un contrôle plus strict des identités des acheteurs et non aux agents ou aux vendeurs. « Il fallait que les sociétés de téléphonie mobile soient plus exigeantes, plus rigoureuses, comme elles le sont devenues aujourd'hui. D'ailleurs, tous les vendeurs faisaient comme moi et s'abstenaient souvent de réclamer systématiquement les cartes d'identité des acheteurs », souligne-t-il, cherchant à justifier le comportement frauduleux dont il était responsable.
Les huit lignes en question auraient servi dans le cadre de l'exécution de l'assassinat de l'ancien Premier ministre.
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D'où l'importance du témoignage de ce vendeur que la défense de Salim Ayache attend impatiemment de contre-interroger. La stratégie de la défense consiste à prouver, depuis un moment, que les exécutants de l'assassinat de Rafic Hariri sont issus des milieux islamistes. C'est sous cet angle qu'il faut d'ailleurs comprendre le contre-interrogatoire effectué il y a une dizaine de jours d'un membre des Ahbache (un groupe islamiste connu pour ses liens étroits avec le régime de Damas) par les conseils de la défense qui ont poursuivi sur cette piste.
La semaine dernière, quatre différents témoins ont comparu devant les juges, notamment Saadeddine el-Ajouz, le propriétaire de Power Group, une société qui vendait en gros des cartes Sim en 2004-2005. Un autre témoin, Jihad el-Tannir, représentant la société Cell Tec, a également expliqué à la cour la procédure de vente des cartes prépayées. Deux autres témoins masqués ont indiqué que les cartes Sim utilisées, selon l'accusation, dans le cadre du complot du 14 février 2005, avaient été frauduleusement achetées en leur nom.
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Il doit aussi recueillir les témoignages de tous les "vendeurs" de Käëék parsemés le long du trajet, en sus de ceux des informateurs et balances-"politiques" qui étaient présents un peu avant avec lui au Parlement....
15 h 41, le 09 septembre 2015