Ce pronom pervers, « nous ». Première personne du pluriel, il laisse entendre que plusieurs parlent au nom d'un seul ou qu'un seul est une multitude. Il suppose l'existence d'une unité mentale, une communion, une agglomération de volontés aliénées, une foule déraisonnable, irresponsable, contaminée. « Nous » ne rassemble pas, hélas, « nous » divise car face à « nous », contre « nous », il y a « les autres », que « nous » rejette. Alors, quand on entend certains leaders ou suiveurs politiques s'exprimer ainsi dans les journaux télévisés, en commençant leurs laïus par ce « nous », d'emblée, le téléspectateur est exclu, s'aligne de lui-même dans le groupe obscur de tout ceux que ce « nous » ne comprend pas, ne contient pas.
Face au « nous » qui extrait de leur fauteuil tous les affalés, tous les biberonneurs de désinformation, les étriqués, les haineux langés dès la naissance dans le linceul des rancunes anciennes, ceux qu'on excite avec le chiffon rouge de la différence, la peur stérile qu'elle entraîne, les aigris qui ont tout raté à force d'être étroits dans leur tête et dans leurs rêves, à force de serrer les poings de rage au lieu d'ouvrir les mains et le cœur au bien qui vient et qui se multiplie à mesure qu'il se partage, ceux qui s'obstinent dans leur ignorance et leurs certitudes sans vérifier ce qu'on leur dicte, ceux qui vont se blottir dans le giron de quiconque leur promet des vessies que, par nature, par consentement et par infinie bienveillance, ils prennent pour des lanternes, face à ce « nous » donc, les « autres » se sentent insultés dans leur intelligence et dans leur dignité.
Car il est bien pathétique, le spectacle de vos semblables amassés en troupeau et guidés sans objectif précis, parqués ici ou là pour faire nombre, passer devant les caméras, quelle fierté, en faisant de grands signes, maman, si tu me vois, et recevoir lecture de ces slogans creux, soupe populaire de l'esprit, que l'on sert précisément au foules pour gratter au fond de leur conscience un héroïsme de pacotille. Se demandent-ils seulement, ces subjugués, s'ils servent une cause ou un simple individu, l'intérêt de leur groupe ou celui de leur guide ? Ne pas penser, quel confort en effet. L'action, marcher, rouler dans les convois, bloquer les voies, vociférer, brandir des calicots et se battre contre les services d'ordre, voire l'armée elle-même, sans gros risque, est tellement plus simple que raisonner, tellement plus exaltant.
On leur vendra la cause des chrétiens d'Orient menacés par l'extrémisme islamique comme s'ils étaient les seuls, on leur vendra la crise des déchets sans forcément proposer de solutions, même en occupant la majorité des sièges au gouvernement, on leur vendra la méfiance qui rend intelligent, on leur désignera, c'est facile, les ennemis à abattre, ceux sans qui « nous » serait heureux, les choses qui, voyez-vous, ne sont pas telles que vous les voyez, ni telles que les voit le commun des mortels. Regardez donc avec les yeux du chef, dans les yeux, il le veut, il est le seul à voir et savoir, je le veux, dit-il, « nous » le veut. Ils achèteront. C'est donné. Il n'y a qu'à se donner.
Fifi ABOU DIB
En 1949, Antoun Saadé a voulu provoquer une insurrection générale contre le gouvernement, il a fini devant un peloton d'exécution le 2 juillet 1949. Que cela serve de leçon à tous ceux qui jouent avec la paix civile pour des causes qui n'ont à voir avec les droits des chrétiens. Notre patrie est en état de guerre à nos frontières, il est formellement exclu que quelqu'un trouble l'ordre public et la paix civile. A bon entendeur, salut !
17 h 24, le 13 août 2015