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Les vigiles

Les Libanais ont le cœur bien accroché. Ils ont connu les atrocités d'une longue guerre civile. La paix enfin revenue, ils n'étaient pas, pour autant, au bout de leurs peines avec cette vague d'assassinats politiques et d'effroyables attentats à la bombe qui, des années durant, n'a cessé de secouer leur pays. Littéralement aguerris, ils restent néanmoins capables de bons sentiments : témoin en est cette indignation générale, transcendant toutes les appartenances, qu'a suscitée, ces derniers jours, le spectacle, sur les télévisions et les réseaux sociaux, de ces prisonniers sauvagement tourmentés par leurs gardiens encagoulés.

Sommes-nous toutefois capables de la même compassion envers nous-mêmes ? Il ne s'agit plus seulement de nous lamenter sur notre sort de peuplade bigarrée qui n'a pas réussi à se muer en peuple, et encore moins en nation. Ou bien alors sur le stupide acharnement que nous avons mis, génération après génération, à démonter, une pièce après l'autre, l'édifice de l'État. Lequel, seul, avait quelque chance d'abriter la mosaïque libanaise.

Tout autour de nous valsent aujourd'hui les vieilles frontières, et des lignes nouvelles quadrillent des espaces nationaux que l'on croyait immuables. Les idéologies les plus solidement ancrées – arabisme, nationalisme, socialisme et autres – ont fait place à de meurtriers délires religieux. De tous les pays de la région, le nôtre est celui qui a le plus à perdre dans ce formidable chamboulement ; ce sont ses chefs, dirigeants et responsables pourtant qui battent tous les records d'aveuglement et d'inconscience.

Tout se passe comme si, à son tour, la quête des hauteurs avait fait place, chez les hommes qui nous gouvernent, à l'attrait du vide : comme si la fascination du suicide avait supplanté la légendaire fureur de vivre des Libanais. Suicide en effet (suicide politique pour l'intéressé lui-même et suicide collectif pour le reste des mortels) que ce Aoun ou personne qui a transformé en maison pas du tout hantée le palais présidentiel de Baabda. Suicide caractérisé que l'équipée guerrière du Hezbollah en Syrie, conduite pour une cause rien moins que libanaise et, de surcroît, perdue d'avance. Et suicide encore, moral cette fois, que ce mur d'argent – ici iranien et là saoudite – qui fait office, dit-on, de ligne de faille au sein de l'establishment.

C'est contre cette course au suicide que se rebellaient salutairement, jeudi, les représentants du patronat, des syndicats et de la société civile, soulignant ce fait dramatiquement simple : la mort lente des institutions annonce celle, plus brutale faut-il craindre, de l'économie. Si cette initiative mérite d'être vigoureusement saluée, c'est avant toute chose parce qu'elle émane, conjointement et solidairement, d'organismes et de personnes visiblement, incontestablement, plus au fait de la question que les responsables. C'est d'une même voix que créateurs d'emplois, salariés et représentants des professions libérales ont crié halte. Le peuple, quoi, le vrai, aurait-on pu dire si seulement cela se passait ailleurs...

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Les Libanais ont le cœur bien accroché. Ils ont connu les atrocités d'une longue guerre civile. La paix enfin revenue, ils n'étaient pas, pour autant, au bout de leurs peines avec cette vague d'assassinats politiques et d'effroyables attentats à la bombe qui, des années durant, n'a cessé de secouer leur pays. Littéralement aguerris, ils restent néanmoins capables de bons sentiments :...