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Liban - Droits de l’homme

Le scandale de Roumieh poussera-t-il le pays du Cèdre à criminaliser la torture ?

« Le Liban doit saisir l'opportunité et édifier des institutions qui rendront des comptes », affirme Nadim Houry de HRW.

La commission parlementaire des Droits de l’homme réunie hier. Photo Ani

Le tollé suscité par le scandale de Roumieh et la mobilisation de la classe politique contre la torture aboutiront-ils à des mesures concrètes au Liban, autrement dit à la criminalisation de la torture et la mise en place de mécanismes de prévention ? C'est ce qu'espère le directeur du bureau de Human Rights Watch à Beyrouth, Nadim Houry, interrogé par L'Orient-Le Jour, à l'issue de la réunion de la commission parlementaire des Droits de l'homme, hier.

De son côté, le président de cette commission, le député Michel Moussa, tient à faire montre d'optimisme.
« Nous œuvrons dans ce sens, assure-t-il, mais la situation est difficile. » Quant au député Marwan Hamadé, il se demande comment mettre fin à la torture alors que nombre de prisons échappent à tout contrôle.
Nadim Houry est convaincu que la réaction de la classe politique est positive. Il estime que le véritable défi reste « de voir cette énergie perdurer au-delà du cycle médiatique ». « Au Liban, comme on l'a souvent vu, une fois que le scandale passe, toutes les promesses sont oubliées. Que de questions liées aux droits de l'homme ont été ainsi bloquées ! » déplore-t-il.

Pour un consensus contre la torture
« Le sujet est grave. C'est la raison pour laquelle la société civile ne doit pas agir en spectatrice. Elle doit se démener pour qu'il reste sur l'agenda national », martèle le directeur adjoint de la division du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord au sein de HRW. M. Houry estime « nécessaire de saisir cet incident tragique pour prendre des mesures contre la torture dans les prisons et centres de détention », et apporter une solution à ce problème bien connu. Il invite dans ce sens la classe politique à un « consensus sur la torture », car celle-ci est pratiquée au Liban depuis plus de deux décennies. « Elle est même institutionnalisée, acceptée, encouragée par une culture d'impunité, en l'absence de mesures concrètes pour la combattre », note-t-il, précisant qu'elle n'affecte pas une seule faction de personnes, mais touche aussi bien les toxicomanes que les homosexuels, les employées de maison, les sans-papiers ou les concierges égyptiens ou syriens...


(Lire aussi : La commission des Droits de l'homme se penche à son tour sur le dossier des vidéos)


Rappelons que le Liban a ratifié en 2000 la Convention internationale contre la torture (Cat). Il a aussi ratifié en 2008 son protocole optionnel (Opcat) qui autorise les visites par un comité international, des centres de détention et des prisons du pays. Ce protocole engage de plus les autorités à créer une commission locale jouant le rôle de surveillance. Mais le pays du Cèdre n'a jamais adopté de lois locales permettant l'application de ces conventions. Dans ce cadre, le dernier rapport des Nations unies sur la torture est « accablant pour le Liban », rappelle M. Houry. Publié en octobre dernier, il considère la torture comme « une pratique répandue à laquelle ont recours de manière routinière les forces de l'ordre et les organismes d'application de la loi ». Le rapport n'a pas hésité à considérer cette pratique comme « systématique ».

Le représentant de HRW invite donc l'État à prendre trois mesures concrètes, dans l'attente de l'adoption d'une loi criminalisant la torture : « L'ensemble du système judiciaire doit considérer que la torture est un crime. Pour ce faire, il est nécessaire d'agir avec transparence et de suivre les dossiers », insiste Nadim Houry. Les autorités doivent, de plus, mettre en place une instance nationale indépendante qui visite les prisons. « Non pas pour la forme, mais de manière effective », note-t-il. Et de regretter que cette instance, envisagée par l'Opcat, n'ait jamais vu le jour. Enfin, la classe politique dans sa totalité doit « adopter un message constant et ferme, indiquant que la torture n'est pas tolérée ». « Malheureusement, déplore le militant, de nombreux cas de torture sont couverts. »

Une situation difficile
M. Houry est convaincu que « cette affaire a créé un nouvel élan ». D'autant que le Liban et l'ensemble de ses secteurs sécuritaires ont le soutien international. « Ils doivent donc saisir l'opportunité et bâtir des institutions qui rendront des comptes », souligne-t-il. Reconnaissant que les cas de torture ne peuvent plus être tenus secrets, il invite le pays du Cèdre « à prendre une direction claire contre les violations des droits de l'homme dans son combat contre le terrorisme ». « Mais cette décision n'a toujours pas été prise », dit-il.


(Lire aussi : Le 14 Mars dénonce « une volonté de porter atteinte à l'image du Liban »)


De son côté, le président de la commission parlementaire des Droits de l'homme, le député Michel Moussa, tient à faire preuve d'optimisme. « Il existe une réelle volonté de la classe politique de lutter contre la torture », affirme-t-il à L'OLJ, précisant que toutes les parties ont intérêt à bouger dans ce sens. « La communauté internationale fait pression sur le Liban dans ce dossier, d'autant que le pays est signataire des conventions onusiennes contre la torture », ajoute-t-il. Si la commission parlementaire a pris la décision d'aller de l'avant dans le dossier, le député tient à rappeler que la situation politique est particulièrement difficile. « Le Parlement ne se réunit pas et le Conseil des ministres trébuche, assure-t-il. Il faut toutefois préparer le terrain. Le projet de loi criminalisant la torture a été approuvé par la commission. Ce projet est prêt à être présenté au Parlement », dit-il. Mais il invite également le gouvernement à mettre en place une cellule de crise pour réactiver le dossier des prisons et améliorer les conditions de détention. « Des démarches ont été entamées dans ce sens », affirme-t-il.

Même optimisme de la part du député Marwan Hamadé. « Cette réunion était plus intéressante que d'ordinaire, dans le sens que le projet de loi criminalisant la torture a été inscrit sur la liste de la législation de nécessité, souligne-t-il. Nous avons également demandé la création d'une autorité de contrôle des prisons, ainsi que l'annulation des bulletins de délation, exceptions comprises, qui sont une réminiscence de l'époque syrienne. » M. Hamadé ne peut toutefois s'empêcher de demander comment mettre fin à la torture, alors que certains services et centres d'arrestation échappent à tout contrôle. « Qu'en est-il des prisons de partis ? » demande-t-il encore. Ces questions parmi tant d'autres mettent en exergue l'urgence d'une réforme globale des prisons, qui favoriserait la prévention et la lutte contre la torture.

 

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