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Moyen Orient et Monde - Négociations

Yémen : « Ce n’est pas vraiment une guerre par procuration, car les causes internes sont déterminantes »

Les combats ont fait depuis mai plus de 2.600 morts au Yémen selon l'Onu et la situation humanitaire est catastrophique dans ce pays pauvre de la péninsule arabique. AFP PHOTO / MOHAMMED HUWAIS

Les pourparlers indirects entre le gouvernement du président yémenite Abd Rabbo Mansour Hadi en exil et la délégation des houthis et de ses alliés ont été prolongés, hier, à Genève. Quatre heures après l'annonce d'une conférence de presse au cours de laquelle la partie de M. Hadi entendait suspendre sa participation aux discussions, les pressions internationales et notamment celles de Washington ont permis de reprendre les entretiens en vue de trouver un accord sur un cessez-le-feu. Mais ce scénario semble peu réaliste tant les exigences des parties sont inconciliables.
Du côté des autorités en exil, la trêve est conditionnée par l'application immédiate de la résolution 2 226 qui impose le retrait de tous les territoires conquis par la rébellion chiite. Pour cette dernière, le cessez-le-feu à long terme constitue un préalable à toute solution négociée entre l'ensemble des acteurs politiques yéménites. Il s'agit donc de sortir du duel avec le président Hadi et d'affaiblir sa position en cherchant à négocier avec toutes les composantes de la scène politique locale. Les pressions qui s'exercent suffiront-elles à infléchir la position des acteurs pour sortir de l'impasse, ou le poids des facteurs internes, notamment la concurrence des agendas et la lutte pour le pouvoir, enterre-t-il tout espoir de dialogue ? Réponses avec Franck Mermier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Yémen.

 

Quels sont les principaux facteurs de blocage des négociations aujourd'hui ?
Pour la communauté internationale, le fait que ces négociations se tiennent est déjà une victoire. Il était important qu'elles soient entamées, même s'il est certain qu'une solution dans un avenir proche n'est pas à entrevoir du fait de la lutte pour la légitimité du pouvoir et du problème de la représentativité politique des parties, qui entrave tout accord sur un cessez-le-feu immédiat. Par ailleurs, nous sommes face à deux alliances fragiles. D'un côté, l'alliance entre les houthis et l'ex-président Ali Abdallah Saleh pour des raisons d'opportunité politique ; de l'autre, l'alliance autour de Hadi qui réunit des forces disparates combattant avec des objectifs différents. Le fait que les partenaires ne soient pas d'accord sur les termes rend encore plus difficile la conduite des négociations.

 

(Pour mémoire : Yémen : l'Onu face à l'intransigeance des deux camps)

 

Quelles vont être les conséquences à court et moyen terme de l'échec de tout dialogue entre les acteurs de la crise ?
Depuis mars, nous assistons à une confrontation violente et généralisée, des combats extrêmement durs à Taez, Aden, Daleh, etc. L'intervention de l'Arabie saoudite, qui avait pour but de rééquilibrer militairement la situation au profit de Hadi et d'affaiblir le camp des houthis et de leurs alliés en vue des négociations, n'a pas atteint son objectif. Il est donc certain que la coalition saoudienne va poursuivre ses frappes, que les houthis et les forces de Saleh vont continuer leur offensive, et que les combats au Sud contre le régime de Sanaa perçu comme un occupant vont se poursuivre. Les hostilités se poursuivront de manière aussi violente.

 

(Lire aussi : La mort de Wahishi déstabilise el-Qaëda au profit de l'EI)

 

Qu'est-ce qui se joue réellement au Yémen aujourd'hui ?
C'est en réalité un conflit existentiel pour l'ensemble des parties en présence. Hadi joue sa légitimité, la résistance sudiste joue la création de son projet séparatiste ou du moins une large autonomie vis-à-vis du Nord. Quant aux opposants à Hadi, ils jouent la carte de leur devenir politique. Si l'alliance de Saleh et des houthis échoue, Saleh perdra tout rôle politique au Yémen, les houthis se replieront à Saada acculés dans le carré qu'ils contrôlent depuis 2009. Pour chaque acteur, c'est l'avenir politique qui est en jeu.

 

La pression internationale qui s'exerce peut-elle infléchir la position des acteurs locaux et laisser entrevoir une évolution plus favorable ?
Les acteurs régionaux sont évidemment pour une solution négociée, ils ont intérêt à ce que la situation se stabilise, mais en même temps ils entretiennent différemment des liens avec chacun de ces groupes. Ces alliances pourraient infléchir la situation, mais il faut garder à l'esprit que les facteurs internes du conflit sont ici plus importants que les facteurs externes. Il ne s'agit pas vraiment d'une guerre par procuration en ce sens que les causes internes sont déterminantes. Rappelons que, suite à la révolution de 2011, les houthis se sont affirmés comme une force politique importante. Leur prise de pouvoir à Sanaa n'a été possible que parce que Saleh a neutralisé ses forces dans l'objectif de revenir au pouvoir, dans cette alliance on ne sait pas lequel instrumentalise l'autre. D'un autre côté, la présidence de Hadi a été trop faible et son alliance demeure des plus fragiles. Nous avons essentiellement affaire à une guerre entre élites yéménites (Hadi, Saleh, le parti islamique Islah qui a participé au régime de Saleh, les houthis, etc.) pour le partage du pouvoir. C'est l'ensemble du système Saleh qui s'oppose aujourd'hui dans une guerre ouverte, chaque partie instrumentalise des forces tribales et régionales qui ont des objectifs propres, d'où la multiplication des fronts et l'absence de solution visible aujourd'hui.

 

 

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