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Économie - Design

Design : L’école libanaise à la recherche d’un modèle économique

Le design libanais, célébré cette semaine lors de la Beirut Design Week, bénéficie d'incontestables atouts. Nada Debs ou Karen Cherkerjian ont installé Beyrouth parmi les villes qui comptent en la matière. Encouragée par ce succès, une nouvelle génération émerge, mais doit aussi composer avec les faiblesses d'un marché local trop étroit pour ses ambitions.

Ils n'ont pas la barbe, mi-Gainsbourg, mi-hipster, si caractéristique des créatifs. Pourtant, David et Nicolas (de leur vrai nom David Raffoul et Nicolas Moussalem) figurent parmi les étoiles montantes du monde du design, qui prendront peut-être le relais de Nada Debs ou de Karen Chekerjian, les grands noms de la création libanaise d'aujourd'hui.
Cela n'a rien d'une intuition : David et Nicolas ont déjà été repérés par des éditeurs internationaux. Ils ont signé, par exemple, plusieurs services de table pour le compte du portugais Vista Alegre. L'un de leurs services, dénommé Red Hot, a d'ailleurs été édité à plus de 40 000 exemplaires. Et primé plusieurs fois. « La création naît de la tension, d'une forme de combat. Un artiste ne s'exprime jamais mieux que lorsqu'il est bousculé... À ce tarif-là, Beyrouth est l'une des places intéressantes pour créer », s'amuse l'architecte d'intérieur Grégory Gatserelia, propriétaire de la Smogallery, qui accueille nombre de jeunes designers.
Pour ce spécialiste, Beyrouth a su gagner ses galons sur le marché international en jouant de ses faiblesses intrinsèques : « 80 % du design contemporain s'appuie sur des matériaux high-tech. Au Liban, cette technicité est inaccessible et les designers libanais réalisent des exploits en utilisant des matériaux simples, mais qualitatifs. Et jouent sur de petites séries à défaut de pouvoir fabriquer massivement. C'est ce qui fait leur identité. »

 

Éditer à l'international
Une spécificité qui commence à attirer les éditeurs internationaux. Avant David et Nicolas, Pascal Tarabay a signé avec l'italien Diamantini & Domeniconi pour de merveilleuses horloges. Bientôt, Najla el-Zein, dont le travail se veut à mi-chemin de l'art et du design, doit rejoindre ces happy fews : le très élitiste Carpenter Workshop Gallery, un producteur de meubles français, lui a commandé une première édition de 20 pièces de l'une des œuvres qui a fait son renom (« Sweep »).
Mais cette reconnaissance naissante pour « l'école libanaise » masque un problème de poids auquel tous les designers sont confrontés : la faible rémunération de la créativité. De fait, les projets ne sont que rarement édités en série. Quand ils le sont, par des éditeurs étrangers puisqu'il n'en existe pas au Liban, les royalties perçues n'excèdent pas 2 à 10 % du prix sortie d'usine. David et Nicolas, par exemple, ne perçoivent que 2,5 % du prix sur la vente de la première série de porcelaines signées pour Vista Alegre. « En tant que jeunes créateurs, il est difficile de discuter le contrat. Nous étions trop heureux déjà d'être repérés par une marque de cette envergure. »
C'est peu. Mais ce contrat a assuré le succès de David et Nicolas, qui vivent désormais de leur métier quand le quotidien de la plupart des designers peut être long comme un jour sans pain. « 80 % de mon temps est consacré à l'architecture d'intérieur », témoigne Carlo Massoud, qui a fait ses études à l'École d'art de Lausanne et a récemment exposé ses « Arabs Dolls » à New York, des poupées voilées, dont on peut (éventuellement) se servir en guise de soliflore ou de cache-objets. Entendons-nous bien : Carlo Massoud ne meurt pas de faim, mais il regrette de ne pas pouvoir se consacrer davantage à sa « passion de l'objet » et en vivre.

 

Un marché étroit
Faute d'éditeurs libanais, beaucoup de créateurs dessinent des pièces uniques ou des éditions limitées (moins de 20 exemplaires) pour les galeries, qui reversent alors entre 30 et 50 % de la vente au designer. Quand une pièce d'exception part à plus de 10 000 dollars, le jeu en vaut la chandelle. Mais ce genre d'occasion est rare dans un petit pays comme le Liban, dont l'intérêt pour le design contemporain reste marginal, voire dans une région qui n'aurait pas encore la maturité pour comprendre ces pièces de décoration, au dire de Grégory Gatserelia de la Smogallery.
« On peut aussi investir conjointement avec la galerie, ce qui augmente notre rémunération », explique Marc Dibeh, créateur notamment de la lampe de chevet « Love the Bird », dans laquelle se niche un discret vibromasseur. Cela signifie cependant que le design reste cantonné au luxe, faute d'être capable de démocratiser la production. Le rocking-chair « Loulou/Houda » de David et Nicolas est ainsi proposé en 12 exemplaires seulement par la galerie Art Factum de Beyrouth. Avis aux amateurs : les cinq premiers acheteurs n'auront à payer que 6 600 dollars pièce ; contre 20 % de plus pour les suivants. « C'est un modèle de vente crescendo assez courant dans le milieu. » Les plus entreprenants peuvent enfin privilégier la voie de l'autoédition. Une manière de conserver le contrôle sur l'objet et de le faire exister rapidement si on en a les moyens. « Avec un distributeur à l'étranger, c'est ce que j'envisage, assure Marc Dibeh, nous sommes plusieurs à avoir choisi de produire en Italie ou au Portugal. Avec la baisse de l'euro, fabriquer en Europe redevient intéressant. D'autant que les finitions sont au rendez-vous, alors que l'artisanat libanais a perdu en qualité et les tarifs pratiqués ne sont pas à la hauteur. »

 

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