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À La Une - egypte

Au Caire, le jardin de l'âge d'or du cinéma égyptien menacé

Le parc du Merryland est fermé au public et n'est plus que l'ombre de ce qu'il était il y a encore dix ans. Et une partie de ses arbres est menacée par un projet de parking controversé.

Aujourd'hui, le jardin du Merryland, au Caire, est à l'abandon. Et une partie de ses arbres est menacée par un projet de parking controversé. AFP PHOTO / KHALED DESOUKI

C'était un parc mythique, symbole d'une Egypte plus tolérante et plus libérale. Des scènes cultes du cinéma égyptien y ont été tournées dans les années 60, filles et garçons s'y retrouvaient, on s'y mariait, on y dansait, on y buvait de l'alcool... Mais aujourd'hui le jardin du Merryland, au Caire, est à l'abandon.

Les pelouses autrefois luxuriantes ont laissé la place à une terre poussiéreuse. Le lac artificiel, lieu de prédilection des enfants du quartier qui venaient nourrir les cygnes ou monter en bateau, est asséché.
Le parc, l'un des principaux au Caire, est fermé au public et n'est plus que l'ombre de ce qu'il était il y a encore dix ans. Et une partie de ses arbres est menacée par un projet de parking controversé.

Un beau matin, les résidents du quartier huppé d'Héliopolis, dans le nord-est du Caire, ont constaté avec stupeur que des arbres du Merryland avaient été déracinés tandis que des ouvriers s'affairaient à la construction d'un parking. La compagnie d'Héliopolis, gestionnaire de ce parc inauguré en 1963, s'est justifiée en expliquant que ces travaux, entamés il y a deux mois, accompagnaient un projet de réhabilitation du jardin, qui s'étale sur près de 200.000 m2 - l'équivalent de près de 30 terrains de football.
Des riverains ont alors lancé une campagne de protestation sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, ils ont dénoncé "le massacre" et la "catastrophe" du Merryland, diffusant des photos des arbres abattus, organisant des visites de terrain... La compagnie d'Héliopolis a finalement fait marche arrière.

Théâtre et musiciens
Nombreux sont les habitants du quartier qui restent très attachés à ce parc: "le Merryland offrait un tableau idéalisé de la classe moyenne dans les années 1960 et 1970", souligne la sociologue Iman Farag, qui se souvient avec émotion du jour où, encore enfant, elle avait accompagné son père à l'inauguration du jardin.
"Les garçons et les filles s'y retrouvaient, personne ne portait le voile islamique, on y servait de l'alcool, on ne pouvait pas différencier par l'apparence la musulmane et la chrétienne", raconte-t-elle.

L'ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, champion du panarabisme et architecte de la révolution de 1952 qui mit fin à la monarchie, avait réclamé la création du Merryland pour doter sa capitale d'un grand parc semblable à ceux qu'il avait visités aux Etats-Unis. Le Caire était alors la capitale culturelle du monde arabe, sa musique et son cinéma étaient populaires dans toute la région et le Merryland accueillait régulièrement troupes de théâtre et musiciens.
Saleh Abdel Magid, général de l'armée à la retraite, s'est marié dans ce jardin en 1978. Il se souvient qu'une célèbre danseuse du ventre, Souheir Zaki, s'y produisait chaque semaine...

Sous la monarchie, avant 1952, le parc était accolé à un hippodrome qui accueillait les courses de pur-sang arabes auxquelles assistait le roi et qui a été immortalisé dans de nombreux classiques de l'âge d'or du cinéma égyptien. Le champ de courses a ainsi servi de cadre à une scène d'un film culte réunissant le charismatique Omar Charif et la "grande dame" du cinéma arabe, Faten Hamama: "le Fleuve de l'amour" (1960), adaptation du célèbre roman "Anna Karenine" de Léon Tolstoï. On y voit le couple dans les gradins assister à une course, elle dans une élégante robe blanche, passionnément agrippée au bras de son partenaire.

Cette page de l'histoire du Merryland est désormais tournée. D'après le directeur de la compagnie d'Héliopolis, Aly Moustafa, les autorités exigeaient la construction d'un parking pour accompagner l'ouverture prévue de nouveaux restaurants et cafés dans le parc. Mais "nous allions replanter les arbres dans un autre périmètre du jardin", assure-t-il.
Toujours est-il que 38 arbres, certains vieux de plus de soixante ans, ont été détruits, déplore Asma al-Haluji, d'une association écologiste chargée par les autorités d'évaluer les dégâts.

"Poumon"
Magdi Badr al-Din, un ancien haut fonctionnaire qui depuis son balcon jouit d'une vue imprenable sur le parc, s'insurge face à son état actuel: "le Merryland, c'est une bouffée d'air pour tout l'est du Caire ! Sans compter sa valeur historique, esthétique et environnementale..."

Pour le ministre de l'Environnement Khaled Fahmy, ce jardin est d'autant plus précieux qu'il représente un "poumon" pour une mégalopole de près de 20 millions d'habitants où la superficie d'espaces verts par habitant ne dépasse pas "les quelques centimètres", un ratio extrêmement bas comparé à la moyenne planétaire.
La capitale égyptienne ne compte en effet qu'un nombre limité de parcs public. Durant l'été ou à l'occasion des fêtes, les Cairotes peuvent être vus pique-niquant sur les pelouses des principales places et avenues de la ville.

Seule "une décision politique" pourra désormais sauver le Merryland, selon M. Fahmy: la question doit être soumise au Premier ministre Ibrahim Mahlab, qui devra se prononcer sur une éventuelle nationalisation du parc.

C'était un parc mythique, symbole d'une Egypte plus tolérante et plus libérale. Des scènes cultes du cinéma égyptien y ont été tournées dans les années 60, filles et garçons s'y retrouvaient, on s'y mariait, on y dansait, on y buvait de l'alcool... Mais aujourd'hui le jardin du Merryland, au Caire, est à l'abandon.Les pelouses autrefois luxuriantes ont laissé la place à une terre...
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