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Nos Lecteurs ont la Parole - Étrange Liban

En attente d’Œdipe roi

Surprenant Liban. Tout d'abord, je vous parle d'un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. C'est-à-dire au milieu des années soixante-dix. De bon matin, en lisant Le Figaro à la table d'une terrasse de café parisien, jeune homme, vous découvrez les opportunités que pourrait vous offrir la vie pour tenter de réaliser vos espérances. Vous vous distrayez en parcourant les nouvelles du monde. Depuis un certain temps, on commence à parler du Liban. Une sanglante et nouvelle tragédie humaine semble inexorablement l'atteindre pour mettre à l'épreuve ce petit pays francophile et francophone.
Voyons, essayons de comprendre.
Le président du Liban Sleiman Frangié appelle ses citoyens à vivre ensemble pour sauver le Liban dans la concorde et la paix. Le Premier ministre Rachid Karamé lui fait écho ; il n'y a aucune raison de ne pas trouver une solution pacifique aux différends qui agitent ce pays. Vous continuez votre lecture. Dans le paragraphe suivant, vous apprenez que « les Marada », la milice du président, mènent un combat sanglant, acharné, face à la milice de la ville de Tripoli, fief de la famille Karamé.
Vous vous demandez si vous avez bien lu. Vous recommencez la lecture depuis le début. Non, il y a bien ce paradoxe antagoniste ; tous les responsables politiques libanais chantent le désir d'un Liban uni, de concorde et de paix tandis que diverses milices se partagent militairement avec des batailles de rue la capitale Beyrouth. D'ailleurs celle-ci était alors plus connue que le pays lui-même.
C'est dans ces temps-là qu'un secrétaire d'État américain, venant de Damas, ne pouvait pas atterrir à l'Aéroport international de Beyrouth. On ne pouvait garantir la sécurité sur l'autoroute de sortie. D'un ton rageur il conclut d'une phrase : « Ce Liban ! Ce n'est pas un pays ! »
Ce mouvement d'humeur, compréhensible, eut des conséquences importantes. À sa décharge, il faut ajouter que bien plus tard, il exprima des regrets amicaux sur ce qui se passait au pays du Cèdre.
En 2015, plein d'âge et de raison, sans plus beaucoup d'illusions, après une trentaine d'années au Liban, vous lisez le quotidien francophone L'Orient-Le Jour. Vous y appréciez les informations sur la vie politique libanaise dans toutes ses subtilités.
Ainsi le secrétaire général de la milice chiite Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah, dit que « les Saoud sunnites vont mordre la poussière... Il se commet des crimes au Yémen contre les houthis... L'Arabie saoudite est l'alliée des Israéliens, etc. ». L'ancien Premier ministre cheikh Saad Hariri, chef du courant du Futur, représentant des sunnites, exprime son indignation vis-à-vis des propos du chef du Hezbollah : « Il participe à un véritable crime contre le peuple syrien...Il est un agent à l'impérialisme iranien... L'heure viendra où cet excès de violence s'épuisera dans la défaite. » Depuis plus d'un an, le Liban n'a pas de chef d'État ; cette situation n'est pas tenable. Pourtant elle dure.
Vous vous arrêtez de lire. Vous connaissez un peu le Liban. Vous tendez l'oreille. Vous regardez autour de vous. Nul sifflement d'obus ou de balle n'attire votre attention. Autour de vous, la vie suit son cours avec un naturel si tranquille. Dans sa douce anarchie habituelle, vous vous trouvez à l'aise. Seuls les embouteillages peuvent susciter des exaspérations pour les jeunes amoureux pressés. Un nouveau code de la route entre en vigueur ; attention à la ceinture ! Attention à ne pas téléphoner en conduisant !
Avez-vous votre extincteur ? Votre triangle de signalisation est-il bien dans le coffre de votre voiture ? Sommes-nous vraiment au Liban de nos informations ? Il y a quelque chose de savoureusement surréaliste. Les services de sécurité de cet État sans chef arrivent à être d'une efficacité remarquable au milieu de la perpétuelle renaissance des divers groupes terroristes protéiformes. Toutefois le nombre de réfugiés syriens vous rappelle la dramatique situation du pays frère.
Pas le moindre barrage, avec les enlèvements adéquats, ne s'annonce dans les informations. Pourtant la plupart des déclarations politiques soulignent l'affrontement d'un choc titanesque de religions englobant toute la région. Le combustible de la mobilisation des foules, la poudre des armes et même l'allumette des mots sont là, disponibles. Circonstances aggravantes ; il n'y a pratiquement plus l'espérance de l'élection d'un chef de l'État ; le Liban, que l'on dit fragile, serait-il menacé de dissolution ?
Beaucoup veulent voir dans le Liban une rencontre de civilisations où chaque communauté a sa place en faisant un minimum d'efforts. Toutes les énergies se dépensent-elles vers l'économie ? Je ne le crois pas. Une bonne partie de ce dynamisme vital, certes, va vers le commerce, la production économique, mais ce n'est pas tout. Oui il me semble que le Liban reste un lieu de rivalités spirituelles. Chaque grande communauté doit réinventer une façon de vivre. Une nouvelle manière se dessine, depuis l'habillement des demoiselles, de préparer le café jusqu'aux rythmes des rites de l'aurore. Chaque jour, le soleil se lève avec des hymnes aux stances différentes.
Avant n'y a-t-il pas eu le défi de la révolution palestinienne ? Le marxisme communiste face à l'impérialisme américain ? Maintenant que nous nous sommes instruits sur le Liban, nous pourrions remonter jusqu'à la fameuse « Nahda ». Le Liban fut toujours un lieu d'une fermentation intellectuelle se réalisant dans la pierre avec la peine des hommes. Cette renaissance de la langue arabe interrogea tout le Moyen-Orient. Comment réinventer un mode de vie, jadis dans le style XIXe siècle ? La sériciculture, les terrasses couvrant les pentes les plus raides illustrent de leurs ruines l'énergie des aïeux. Il suffit de feuilleter les albums photographiques. Nous voyons de petits palais aux goûts délicats, fruit d'une vie ambitieuse. Actuellement l'urbanisation violente de verre et d'acier les efface dans un surgissement fantastique.
De nouvelles et fortes interrogations intellectuelles se présentent abruptes sans avertir. À chaque génération la vie impose une réaffirmation avec de nouvelles coutumes de vie. Cela pour chaque communauté. Pour l'ensemble du Liban, tout le monde a retenu la forte expression de Georges Naccache : « Deux négations ne font pas une nation. » Personnellement, il me semble plus juste de dire : « Au Liban on s'unit contre, jamais pour. » Contre le Turc, contre le mandat français, contre l'impérialisme, contre le maronitisme politique, contre la mainmise syrienne.
Ainsi je peux vous dire qui ne sera pas président de la République, mais je ne saurais vous dire qui le sera. Un ministre libanais de la Culture, ces derniers temps, juge que « l'absence d'un président à mis en relief l'importance du rôle de cette institution ». Espérons que cette importance ne prenne pas des proportions pluriannuelles au point de s'en passer une année encore. On est prêt à se souvenir du fameux : « La force du Liban est dans sa faiblesse. » En toutes choses il ne faut pas exagérer.
Le Liban est, il me semble, le four spirituel où se cuisent les différents pains du futur au Levant et dans tout l'Orient. La tradition et le progrès technique se cherchent un équilibre. Même l'idéologue le plus rétrograde exige le Samsung dernier cri. Tel le sphinx de Thèbes interrogeant Œdipe avant d'être roi, l'avenir nous questionne par énigmes. Chaque réponse risque de nous précipiter dans l'abîme. Pour le Liban, il est heureux que la Providence ne nous impose plus de résoudre ces défis d'une manière sanglante. Il n'en est pas de même pour d'autre contrées, pourtant si proches qui croyaient avoir trouvé la formule absolue pour traverser notre temps.

Michel ROUVIÈRE

Surprenant Liban. Tout d'abord, je vous parle d'un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. C'est-à-dire au milieu des années soixante-dix. De bon matin, en lisant Le Figaro à la table d'une terrasse de café parisien, jeune homme, vous découvrez les opportunités que pourrait vous offrir la vie pour tenter de réaliser vos espérances. Vous vous distrayez en parcourant les...

commentaires (3)

Vous avez oublié un détail qui date de 1959/60, lorsque le "Point IV" avait construit l'autostrade, un terme qui n'existe plus dans la langue française depuis plus de 80 ans, on a mis sur le tronçon Nahr-el-Maout - Nahr-el-Kalb des pancartes disant : "Interdit aux charrettes et aux bétails"... afin d'éviter les encombrements. Maintenant, les encombrements sont dûs à quoi ?

Un Libanais

21 h 04, le 30 mai 2015

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Commentaires (3)

  • Vous avez oublié un détail qui date de 1959/60, lorsque le "Point IV" avait construit l'autostrade, un terme qui n'existe plus dans la langue française depuis plus de 80 ans, on a mis sur le tronçon Nahr-el-Maout - Nahr-el-Kalb des pancartes disant : "Interdit aux charrettes et aux bétails"... afin d'éviter les encombrements. Maintenant, les encombrements sont dûs à quoi ?

    Un Libanais

    21 h 04, le 30 mai 2015

  • Monsieur Rouvier, merci pour nous permettre de rester inconséquemment optimistes grâce à votre vision du Liban "roseau qui plie sans se casser". Et pourtant il y a un phénomène économique qui risque de détruire cet échafaudage complexe. C'est celui du gonflement inevitable de la Dette. Il est toujours possible de trouver un argument pour trouver une porte de sortie au dédale Libanais, mais la boule de neige de la Dette, elle, ne s'arrête pas un instant de croitre et de gonfler. Toutes les perspectives de revenus du gaz et du pétrole ne peuvent malheureusement pas faire grands chose pour éviter la catastrophe financière inévitable, à moins que les deux blocs en présence ne s'accordent, par miracle, pour engranger, une fois pour toutes, ces fameuses REFORMES dont nous rêvons depuis que le Liban moderne a pris corps en 1943.

    George Sabat

    10 h 02, le 30 mai 2015

  • J'ai tout compris...c'est probablement à cause de l'auteur qui a mal expliqué....!

    M.V.

    09 h 46, le 30 mai 2015

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