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Moyen Orient et Monde - Trois questions à Myriam Benraad

La reprise de Ramadi serait « une victoire en trompe-l’œil »

Un combattant irakien des Unités de mobilisation avant l’offensive majeure pour la reconquête de Ramadi. Ahmad al-Rubaye/AFP

Les forces gouvernementales irakiennes, appuyées par les unités de mobilisation populaires, ont repris hier plusieurs secteurs de Ramadi, encerclant les jihadistes avant de lancer l'offensive. La prise de cette ville avec une facilité déconcertante, le 17 mai, par l'État islamique (EI) a constitué une perte stratégique majeure pour le gouvernement de Bagdad. Ramadi est une pièce maîtresse dans la stratégie de conquête de l'EI, assurant la continuité territoriale entre la Syrie et l'Irak, et ouvrant la voie à une percée vers Bagdad. Mais l'accomplissement de ce dessein s'est par le passé heurté à la mobilisation des milices chiites, qui a permis la défense de la capitale. Leur implication aux côtés de l'armée a également été décisive dans la reconquête de Tikrit après qu'elles furent parvenues à repousser l'EI de la ville de Baiji. Si, à plusieurs reprises, elles ont représenté le plus gros des forces engagées dans les combats, cette situation laisse à penser que la consolidation de l'alliance entre le gouvernement de Bagdad et les milices « chiites » incarne encore la seule solution pour une reconquête de l'ensemble des territoires perdus. Ce scénario est-il réaliste ? Et dans cette perspective, ne permettrait-il pas à l'État islamique de continuer à prospérer à l'ombre des clivages confessionnels aigus qui déchirent aujourd'hui la population irakienne?
Myriam Benraad, politologue et spécialiste de l'Irak et du Moyen-Orient, livre son analyse de la situation.

Comment s'articulent les responsabilités pour préparer l'offensive sur le terrain entre l'armée et les Unités de mobilisation populaire ?
Il faut tout d'abord distinguer le discours officiel de la réalité sur le terrain. Dans leur discours, les forces irakiennes font référence à l'armée, la police, les forces de sécurité. Or, dans les faits, ce sont principalement les Unités de mobilisation populaire qui sont à l'avant-garde des opérations, assistées des Iraniens. L'enjeu pour le Premier ministre Haïdar al-Abadi est, tout en ayant fait appel à ces unités, de ne pas concéder qu'elles puissent reprendre le dessus sur l'armée. Les forces qui se battent sont essentiellement les miliciens, et le risque de débordement est présent dans la mesure où la composante à majorité sunnite des populations rejette ces milices chiites, qui sont elles-mêmes dans une logique de revanche vis-à-vis de Daech (acronyme arabe de l'EI), et lui associent la composante sunnite, d'autant que le gouvernement irakien n'a aujourd'hui plus aucun moyen d'empêcher les débordements des miliciens, devenus incontrôlables.


(Lire aussi : La bataille est « mal préparée », selon le président du Parlement irakien)

 

Les accusations portées par le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, à l'encontre de l'armée irakienne, dimanche 24 mai, d'un « manque de volonté » de combattre les jihadistes ont suscité de vives réactions de la part du gouvernement irakien et de l'Iran. S'agit-il d'un dérapage qui expliquerait le geste du vice-président américain Joe Biden qui a aussitôt salué « le courage et l'énorme sacrifice des soldats » irakiens, ou cette déclaration a-t-elle un sens ?
Ce n'est pas un dérapage mais un constat. L'armée est incompétente, elle a déserté, les soldats se sont retirés par milliers face à une petite centaine de combattants de l'État islamique. Cependant, cette déclaration venant des États-Unis n'en est pas moins ironique et hypocrite quand on sait que c'est une armée qu'ils ont eux-mêmes formée, entraînée, après avoir dissous l'armée irakienne en 2003. Le pouvoir central ne porte pas cette responsabilité.

En cas de nouvelle défaite à Ramadi, quelles seraient les conséquences pour le gouvernement irakien ? En cas de succès, la stratégie de conquête territoriale de Daech sera-t-elle réellement mise à mal ?
Si Ramadi est récupérée, il s'agira d'une victoire en trompe-l'œil, puisque ce sera celle des miliciens, et, derrière eux, de l'Iran. Sur le terrain, la composante sunnite préférera faire le jeu de l'EI plutôt que de s'en remettre à un gouvernement « chiite ». Jusque-là, il n'y a pas de revers réel pour l'EI, la stratégie de conquête se poursuit. Il n'y a pas de territoires qui aient été repris par les sunnites, et les poches de territoire reprises, comme Kobané (en Syrie), sont aujourd'hui des zones détruites ou rasées. L'État islamique reste très puissant. En face, le pouvoir irakien qui se « milicise » est à la solde de l'Iran. Haider al-Abadi doit aujourd'hui sa survie politique à Téhéran. L'Iran est aujourd'hui le seul acteur apte à reprendre la main face à l'État islamique. Sur le terrain, les Américains n'envisagent pas d'envoyer des troupes au sol, et les forces occidentales sont peu nombreuses, il ne reste donc que l'Iran.

 

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