Dame Edna and Mister Barry

Elle est le fait de Dame Edna, set-jetteuse parmi les set-jetteuses, amie de tous les grands de ce monde et auteure sur scène d'un talk-show épinglant célébrités et gens ordinaires. Elle vient de tirer sa révérence, on la comprend, après son époustouflant parcours ascendant et une carrière de plus d'un demi-siècle. Dans son Farewell et Glorious Tour, elle s'est arrêtée à Washington pour un dernier adieu. De femme au foyer, vivant dans une banlieue australienne, elle est devenue, selon ses propres mots, « megastar » et « gigastar ». Une renommée qu'elle a réussi à maintenir, « yes darling » !, surtout après être devenue la confidente de la reine Élisabeth d'Angleterre. Son allure devant être à la hauteur, elle a opté pour des cheveux lilas et des lunettes toujours serties de strass et de paillettes, sa signature, et des robes étincelantes rehaussées de bijoux.
Ainsi mise, elle débute son talk-show qu'elle décrit comme « une conversation intime entre deux amies, l'une beaucoup plus intéressante que l'autre ». On aura deviné qui est la plus intéressante, laquelle abordera moult sujets, dans ce qui sera un excellent « one-woman-show ». Un spectacle des plus divertissants parce que dans une veine people, diluée dans du caustique, du mordant et avec un zeste de burlesque.

La poignée d'amour d'Elizabeth Taylor
Dame Edna, qui interpelle son public avec un « Hello Possum » !, collectionne de fabuleuses reparties, dont voici quelques-unes : « Darling, le sexe est la plus belle chose qui puisse arriver entre un homme heureux en mariage et sa secrétaire. » Ou encore : « Je ne suis pas raciste, j'aime toutes les races, particulièrement les Blancs. Vous savez, j'aime même les catholiques. » Côté chirurgie esthétique, elle raconte ce dialogue avec un ponte brésilien durant une consultation : « Edna, vous êtes très bien et vos cheveux sont encore naturels. » Mais encore docteur ? « Vous avez en fait besoin d'un petit double menton, un doux coussinet sous le vôtre. » Et il me greffe la poignée d'amour gauche d'Elizabeth Taylor. Voyez, j'ai l'histoire gravée sur mon visage. Edna terminait toujours son show sur une note phallique en lançant des glaïeuls aux spectateurs accompagnés de cette exhortation : « Debout, debout et bougez, bougez ! »

Elle est son homme
Quid du producteur et du manager du Dame Edna Show? Elle-même, de son vrai nom Barry Humphries. Non, il ne s'agit pas ici d'un transsexuel ou d'une drag queen, mais d'un véritable comédien, l'un des plus grands d'Australie, qui maîtrise à merveille les transformations et l'art d'un conteur satirique. Il a créé ce personnage, qu'il a interprété dès la fin des années 50, après s'être installé à Londres avec un groupe de ces concitoyens aussies (pour Australiens). Ils voulaient insuffler un peu de leur couleur culturelle au mode de vie britannique. Pour sa part, Humphries a opté pour un souffle de frivolité qui lui a bien réussi. Dans les années 90, il publie un livre sous le titre My Gorgeous Life (Ma vie splendide) qui s'est retrouvé dans la liste des best-sellers. Dame Edna, qui se voulait au début un coup de griffe à l'esprit de clocher australien, a fini en satire magistrale de la célébrité et de la monstruosité de l'ego. Le sien est sans limites. Elle souligne d'ailleurs, presque schizophrène : « Mon nom est au haut de l'affiche et celui de Barry Humphries au bas. » Humphries, quant à lui, occupait le haut de l'affiche au cinéma, dans la série mythique des Hobbits.
Le juste mot de la fin revient à la revue élitiste The New Yorker : « En tirant sa révérence, Dame Edna emporte avec elle la tradition vaudevillesque que Barry Humphries s'est efforcé de transposer au XXe siècle. Durant des décennies, son étourdissante et exaltante création a mené le public aux frontières du merveilleux. Pour cela, nous le saluons. »
Dame Edna avait annoncé sa volonté de quitter définitivement les planches en 2012, mais elle y est revenue l'année suivante. Cette fois-ci, darling, il semblerait que ce soit pour de bon.