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Liban - TSL

Dans les coulisses de l’entrevue Hariri-Ghazalé, avant l’attentat du 14 février

« C'est la Syrie qui commandait au Liban », affirme Ghazi Youssef.

Ghazi Youssef, conseiller et proche ami de Rafic Hariri, témoignant devant le Tribunal spécial pour le Liban.

Les relations libano-syriennes scrutées à la loupe. C'est ainsi que l'on pourrait résumer le témoignage livré hier par le député Ghazi Youssef, un conseiller et proche ami de Rafic Hariri, devant le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) chargé de juger les assassins de l'ancien Premier ministre.
Invité à commenter, passage après passage, un enregistrement inédit d'une réunion entre l'ancien chef des renseignements syriens au Liban, Rustom Ghazalé, et l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, en présence du journaliste Charles Ayoub, le député, qui témoignait pour le troisième jour consécutif, a apporté à la cour un éclairage supplémentaire sur le climat politique et la tension qui prévalaient à l'époque.
Cette rencontre-clé entre les deux hommes, qui avait eu lieu le 4 janvier 2005, soit un peu plus d'un mois avant la mort de l'ancien Premier ministre, résume à elle seule les principaux enjeux qui caractérisaient le bras de fer entre la Syrie et M. Hariri. Pour le témoin, ce dernier était « conscient que cette réunion n'allait pas aboutir à des résultats concrets. Il voulait tout simplement exprimer devant l'officier syrien ses aspirations, sa vision du Liban et sa détermination à vouloir se présenter aux élections quoi qu'il arrive ».

 

(Lire aussi : L'accusation diffuse un enregistrement inédit de la dernière conversation entre Hariri et Ghazalé)


Dès le départ, l'objectif de la rencontre est annoncé : il fallait rapprocher les points de vue et œuvrer à atténuer la tension et la guerre par accusations de félonie interposées, accusations dont Rafic Hariri avait été la principale victime ainsi que ses alliés, dira en substance le témoin. Car, explique M. Youssef, les Syriens et leurs alliés au Liban considéraient que Rafic Hariri « avait dévié de la ligne politique qu'ils lui avaient tracée ».
Bombardé de questions sur la signification de certains passages de la conversation mais aussi sur la sémantique usitée avec laquelle les juges internationaux n'étaient toujours familiers, le témoin avance les explications l'une après l'autre et interprète ce qu'il sait être les intentions des protagonistes, ainsi que les enjeux politiques sous-jacents.
M. Youssef sera notamment prié de commenter la portée de l'expression « je vous apprécie », adressée par Rafic Hariri à Rustom Ghazalé, dans un contexte qui ne présageait pas d'un climat amical. Le témoin souligne que ces propos relèvent plutôt des règles de bienséance et de l'étiquette et n'expriment certainement pas le sentiment profond de l'ancien Premier ministre à l'égard de son interlocuteur.
Le député s'intéresse ensuite à tout un passage de la conversation dans lequel l'officier syrien fait comprendre à Rafic Hariri que les postes politiques successifs qu'il a occupés depuis 2000 « lui ont été servis sur un plateau d'argent ». « Il les doit au parrainage syrien », peut-on entendre dans l'enregistrement. Et l'officier de poursuivre : « Vous avez ensuite quitté (le pouvoir) en 2004, et si Dieu le veut, vous reviendrez également au pouvoir comme en 2000, de la même manière. »
« Ceci est faux, tranche le témoin. Rafic Hariri était venu au pouvoir par ses propres moyens. » Selon lui, « Rustom Ghazalé voulait clairement dire à Rafic Hariri que nous (les Syriens) sommes prêts à parvenir à un modus vivendi pour vous remettre au pouvoir ». « Une chose est certaine, ajoute M. Youssef. Pour M. Hariri, il n'était pas question de payer un prix additionnel pour redevenir Premier ministre. Il était convaincu que le retour à la tête du pouvoir ne pouvait se faire que par le biais d'élections libres (...) sans aucune ingérence syrienne. »

La guerre des poursuites judiciaires
Interrogé par ailleurs sur les « poursuites » auxquelles Rafic Hariri a fait allusion, le témoin explique notamment comment Fouad Siniora, futur chef du gouvernement, avait fait l'objet entre 1998 et 2000 de poursuites judiciaires « injustifiées ». À l'époque, des directeurs généraux, proches de Rafic Hariri, ont été « jetés dans les prisons après avoir été incriminés sans preuves ». « Une campagne terrifiante avait été orchestrée contre lui », dit-il.
Tout un débat s'ensuit sur une expression utilisée par l'ancien Premier ministre lors de la même rencontre, à savoir « qu'il n'y a pas deux présidents mais un seul ». Pressé par l'accusation puis par les juges d'expliquer ce que Hariri voulait dire par là, le témoin souligne que le message qu'il a voulu faire passer est que « c'est la Syrie qui commandait au Liban ». Et d'ajouter : « Lorsque Hariri exprime (plus loin dans la conversation) le souhait de voir les Libanais avoir leur mot à dire et un plus grand rôle dans la gestion de leurs affaires, en ajoutant à l'adresse de Rustom Ghazalé : " je ne crois pas que vous objecterez à cela ", il a tout simplement voulu lui mettre les mots dans sa bouche. »
L'accusation interroge ensuite longuement le témoin sur l'échange autour de la division des circonscriptions, les différences entre le caza et le mohafazat, le choix de Rafic Hariri étant initialement en faveur de ce dernier. L'ex-Premier ministre dira toutefois à l'officier syrien qu'il opte finalement pour le choix du caza, afin de rassurer les chrétiens.
Plus loin, Rustom Ghazalé assure à son interlocuteur que la Syrie « ne va pas intervenir cette fois-ci dans les élections ». Ce à quoi Rafic Hariri répond sans ambages : « Est-ce une plaisanterie ? » Et M. Youssef de commenter : « Hariri voulait clairement lui signifier qu'il ne croyait pas un mot de ce qu'il disait. »
Évoquant les accords de Taëf, le témoin explique que Hariri a voulu envoyer un message on ne peut plus clair aux Syriens : à savoir que le texte fondamental « ne porte pas uniquement sur la question des élections, mais également sur le fait que la présence des forces syriennes au Liban est momentanée », un credo partagé par toute l'opposition.

 

(Pour mémoire : Procès Hariri : les visites secrètes et nocturnes de Rustom Ghazalé à Koraytem)

 

Les ingérences syriennes
Le juge David Re demande à son tour au témoin comment se fait-il que Rafic Hariri demande à un officier des services de renseignements d'intervenir auprès du ministre de la Justice pour déférer le dossier de la tentative d'assassinat du député Marwan Hamadé devant la Cour de justice. « Tout simplement parce qu'il a un pouvoir certain sur le gouvernement (de l'époque, présidé par Omar Karamé). Tout ce qu'il demandera au ministre, celui-ci l'exécutera », répond-il. « À travers cette requête, M. Hariri ne voulait pas ajouter de l'huile sur le feu (...). Il voulait que la justice prenne son cours », ajoute le témoin.
Prié enfin de commenter les propos de l'ancien Premier ministre sur la prochaine majorité au Parlement, M. Youssef soutient que « Rustom Ghazalé est sorti de la réunion avec une conviction ferme, à savoir qu'il y aura une bataille électorale prochaine que mènera Rafic Hariri avec Walid Joumblatt et l'opposition chrétienne regroupée au sein du Rassemblement de Kornet Chehwane et qu'ils auront assurément la majorité, aux dépens de la Syrie et de ses alliés ».
Le témoin conclut son témoignage par un récit sur les propos échangés entre lui et l'ancien Premier ministre, deux jours avant sa mort, lorsque ce dernier lui a demandé, à l'issue d'une visite de condoléances, s'il « avait peur ». M. Youssef lui répond que non. « En réalité, j'avais peur surtout après toutes les menaces qui lui avaient été proférées, mais je ne voulais pas le lui dire », dit-il. Cette séquence, affirme l'accusation, devrait être mise à profit et rajoutée aux preuves relatives à la surveillance dont l'ancien Premier ministre faisait l'objet. M. Youssef comparaîtra à nouveau dans une ou deux semaines par vidéoconférence à partir de Beyrouth pour poursuivre son témoignage.

 

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commentaires (3)

Ingerence bien sur...crime certainement...

Soeur Yvette

16 h 55, le 13 mars 2015

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Ingerence bien sur...crime certainement...

    Soeur Yvette

    16 h 55, le 13 mars 2015

  • CLAIR comme bonjour !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 00, le 13 mars 2015

  • TOUT çA... DU CONNU... DES PREUVES D'INGÉRENCE BIEN SÛR... MAIS LE CRIME ? PROFITAIT-IL AUX SEULS SYRIENS OU À D'AUTRES AUSSI ET PLUS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 40, le 13 mars 2015

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