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Moyen Orient et Monde - Accord sur le nucléaire iranien

Incertitude quant à l’avenir de la politique étrangère de Téhéran

Pour Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l'Iris, l'accord final va, de manière inéluctable, bouleverser les équilibres de pouvoirs dans la région.

Une centrale nucléaire en Iran. Archives Reuters

À l'aune d'un accord-cadre sur le programme nucléaire de Téhéran, il semblerait qu'une redistribution des cartes diplomatiques soit inévitable. Le président américain Barack Obama assurait lundi dernier, après avoir critiqué, la veille, Riyad, que son pays continuerait à coopérer avec ses partenaires pour s'attaquer aux « actes déstabilisateurs » de l'Iran au Moyen-Orient. Mais quelle va être l'attitude des Saoudiens par rapport à leur allié américain, au vu de cette volte-face qui ne semble guère leur plaire ?

Pour Karim Émile Bitar, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), la relation américano-saoudienne est à un tournant. En effet, selon lui, « les Saoudiens avaient mis en garde contre le fait que l'invasion de l'Irak allait renforcer Téhéran. Ils estiment avoir eu raison. Ils paniquent en voyant l'Iran devenir incontournable et renforcer ses positions dans le monde arabe. Ils paniquent aussi en voyant l'Amérique proche de l'indépendance énergétique, grâce à la révolution du gaz de schiste. Le pacte Quincy a été officiellement renouvelé, mais, dans les esprits, il est de facto remis en cause et doit être repensé ».
Aussi, M. Bitar indique que dans son dernier entretien avec Thomas Friedman, « Obama a envoyé un message clair à ses alliés saoudiens : nous continuerons à vous offrir une ombrelle sécuritaire et un soutien militaire, mais vous devez vous réformer : la principale menace ne vient pas forcément de l'Iran, mais de vos propres déséquilibres internes : il faut offrir à votre jeunesse d'autres perspectives idéologiques que celle de Daech ». Et de facto, « ce discours irrite considérablement les Saoudiens. Malgré cela, les deux pays resteront proches, ne serait-ce que parce que l'Arabie est le premier client pour l'industrie américaine de l'armement, avec plus de 97 milliards de $ de Foreign Military Sales (FMS) », rappelle-t-il. Mais cette relation « ne pourra plus être exclusive », car, comme le relève le chercheur, nous pourrions revenir à la situation d'avant 1979, quand les États-Unis avaient des relations étroites aussi bien avec l'Arabie qu'avec l'Iran et n'étaient dépendants d'aucun des deux pays.


(Lire aussi : Un vainqueur et un vaincu après l'accord sur le nucléaire iranien ?)


L'accord final, qui devra être signé le 30 juin prochain, fait grincer des dents plus d'un. Pour sa part, Israël prévoit de mener une campagne internationale contre la décision prise à Lausanne. Mais, en réalité, à part tambouriner à qui mieux mieux, les réfractaires à l'accord ont-ils encore les moyens de changer la donne ? « Il est vrai que les opposants à l'accord sont nombreux, excités, furieux et très bruyants. Il y a aujourd'hui un lien organique très solide entre le Parti républicain et le Likoud, un lien fondé aussi bien sur l'idéologie que sur les intérêts. Le New York Times a révélé cette semaine que le sénateur républicain extrémiste de l'Arkansas Tom Cotton, qui avait été à l'origine de la lettre des 47 sénateurs à l'Iran, avait récemment reçu une donation de 960 000 dollars du milliardaire d'extrême droite et proche de Netanyahu Sheldon Adelson, lequel dit ouvertement souhaiter que l'Amérique largue une bombe atomique sur l'Iran. Cotton, ainsi que des sénateurs radicaux comme Lindsey Graham sont soutenus à hauteur de plusieurs millions par des groupes comme Emergency Committee for Israel. Il y aussi les fondamentalistes religieux évangéliques très hostiles à l'Iran et qui font des surenchères pour défendre Israël. Michele Bachmann, l'égérie du Tea Party, a comparé Obama signant le deal avec l'Iran à Andreas Lubitz, le copilote de Germanwings qui a crashé son avion. Au Sénat et à la Chambre des représentants, les républicains à eux seuls ne pourront pas faire échouer l'accord, mais des défections de démocrates pourraient être problématiques », explique Karim Bitar.


(Lire aussi : Nucléaire iranien : Netanyahu dénonce un "très mauvais" accord)


Par ailleurs, « une fois que l'accord sera signé, et contrairement à ce que disait la lettre des 47, un nouveau président aux États-Unis ne pourra pas déchirer l'accord d'un trait de plume. Ce n'est pas uniquement un accord américano-iranien. Il implique le P5 +1 et la communauté internationale », rappelle le chercheur. Mais il est également important de signaler, selon lui, qu'à côté de ces puissants opposants, l'accord « a aussi beaucoup de partisans aux États-Unis. Les sondages ont montré que l'opinion publique y était globalement favorable (66 % des démocrates et même 61 % de la base républicaine) ». En outre, « l'accord est bien accueilli dans les milieux de la défense, du renseignement, et au sein du courant dit ''réaliste'' des experts en relations internationales. Tous ceux qui ont tiré les leçons de la débâcle irakienne et qui connaissent un tant soit peu les réalités militaires savent qu'une guerre contre l'Iran aurait provoqué un cataclysme régional et n'aurait rien réglé », renchérit M. Bitar.
L'accord final va, de manière inéluctable, bouleverser les équilibres de pouvoirs dans la région. Mais la question est de savoir « comment ». Quels vont être les scénarii envisageables ? Pour Karim Bitar, si l'accord-cadre se concrétise et se confirme en juin, il « s'agirait d'un changement paradigmatique majeur au Moyen-Orient, qui viendrait mettre un terme à 36 années de guerre froide et d'hostilité viscérale entre l'Iran et les États-Unis. Ceci entraînerait par conséquent des bouleversements géostratégiques importants mais ceux-ci ne produiront leurs effets que dans la durée ».

Ainsi, « durant les premières années, la politique de la carotte et du bâton se poursuivra et il faudra progressivement reconstruire la confiance entre ces deux pays. Pour ce qui est des grands équilibres, les pays les plus affectés négativement seront l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et la Turquie, qui avaient tous trois profité de la marginalisation politique ou économique de Téhéran. Par contre, nonobstant tous les discours alarmistes de Netanyahu, cet accord ne représente pas du tout une ''menace existentielle'' pour Israël. Matthew Bunn, qui dirige le Project on Managing the Atom à Harvard, estime que cet accord est la meilleure chance d'empêcher une bombe iranienne. Même l'ancien patron du Mossad Efraim Halevy a estimé qu'Obama avait réussi son coup et que l'Iran avait capitulé. Un Iranien extrémiste a semblé faire écho à cela en disant que les centrifugeuses restant ne suffiraient même pas à faire du jus de carotte. Tout cela est évidemment excessif mais le risque d'un Iran nucléaire est quand même aujourd'hui écarté pour de longues années. Fort de ces concessions iraniennes, Obama espère un scénario où l'Iran révolutionnaire deviendrait progressivement, de par son ouverture économique, une puissance plus raisonnée et conservatrice, qui l'aiderait à se retirer d'Afghanistan, à affronter Daech (acronyme de l'État islamique) et à résoudre les crises irakienne et syrienne. C'est un pari très risqué, à l'issue incertaine, mais l'Amérique mise aussi sur la société civile iranienne, qui est beaucoup plus ouverte, occidentalisée et moderne que son régime, une société qui a accueilli très favorablement cet accord », rapporte M. Bitar.


(Lire aussi : L'avenir de l'accord sur le nucléaire iranien)


Mais le régime iranien va-t-il en profiter pour se remettre en selle au niveau régional et donc revoir sa politique étrangère ? Pour le chercheur, « c'est là que le bât blesse ». En effet, « autant l'accord sur les questions nucléaires est très solide, de l'avis de l'écrasante majorité des experts en non-prolifération, autant l'incertitude continue de prédominer quant à l'avenir de la politique étrangère de Téhéran et notamment sa projection de pouvoir dans le monde arabe. L'Iran ne s'est engagé à rien ni sur l'Irak, ni la Syrie, ni sur le Liban, ni sur le Yémen. Les Iraniens ne renonceront pas à leurs ambitions régionales. Ils ont habilement profité des erreurs américaines depuis 15 ans pour méthodiquement placer leurs pions », poursuit-il.
Enfin, pour M. Bitar, « la question est aujourd'hui de savoir si les Iraniens vont succomber à l'hubris et vouloir poursuivre leur ascension, ou s'ils vont faire preuve de retenue pour consolider leurs acquis géopolitiques. Cela dépendra en partie des rapports de force interne entre radicaux et modérés. L'accord donne des arguments aux modérés mais si Israël et les républicains réussissent à faire achopper l'accord final, Hassan Rohani connaîtra le sort de Khatami et la ligne dure triomphera à nouveau », conclut-il.

 

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