Marine Le Pen, présidente du Front national (FN, extrême droite), a définitivement rompu les ponts avec son père, Jean-Marie Le Pen, 86 ans, en l'accusant mercredi de lui "nuire" par des "provocations grossières" et en annonçant qu'elle s'opposerait à sa candidature aux élections régionales. Cette décision sans appel, qui ajoute un chapitre inédit aux annales politiques françaises, fait suite à l'interview du président d'honneur du Front national, dont il est le fondateur, dans l'hebdomadaire d'extrême droite "Rivarol" jugé antisémite.
"Jean-Marie Le Pen semble être entré dans une véritable spirale entre stratégie de la terre brûlée et suicide politique. Compte tenu de cette situation, j'ai informé Jean-Marie Le Pen que je m'opposerai" à sa candidature aux élections régionales de fin 2015, a écrit dans un communiqué Mme Le Pen, qui est engagée depuis plusieurs années dans une entreprise de dédiabolisation de son parti.
"Son statut de président d'honneur ne l'autorise pas à prendre le Front national en otage de provocations aussi grossières dont l'objectif semble être de me nuire mais qui, hélas, portent un coup très dur à tout le mouvement, à ses cadres, à ses candidats, à ses adhérents, à ses électeurs."
Marine Le Pen semble envisager d'autres mesures de rétorsion : "C'est avec une profonde tristesse que je suis contrainte de réunir rapidement un bureau exécutif afin d'envisager avec lui les moyens de protéger au mieux les intérêts politiques du Front national".
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"Valls est Français depuis trente ans, moi je suis Français depuis mille an"
Dans l'interview accordée à Rivarol, Jean-Marie Le Pen, député européen, défend la mémoire du maréchal Philippe Pétain, artisan de la collaboration de la France avec l'Allemagne nazie. "Je n'ai jamais considéré Pétain comme un traître. On a été très sévère avec lui à la Libération. Et je n'ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l'estime pour le Maréchal", insiste Jean-Marie Le Pen.
Jean-Marie Le Pen se livre également à une violente charge contre le Premier ministre Manuel Valls, "l'immigré". "Valls est Français depuis trente ans, moi je suis Français depuis mille ans. Quel est l'attachement réel de Valls à la France ? Cet immigré a-t-il changé du tout au tout ? Qu'a-t-il apporté à notre pays ?", demande-t-il à propos des origines espagnoles du Premier ministre, avant de dénoncer sa "référence incessante" à la République. "Ils commencent à me gonfler tous avec la République ! Je ne suis pas royaliste mais cette référence n'est faite d'évidence que pour gommer la référence à la Nation", ajoute-t-il.
M. Le Pen se dit aussi "trahi par les siens" et critique une partie du programme économique du Front national. Déplorant que les "problèmes politiques" soient peu traités au bureau politique du FN, Jean-Marie Le Pen assure avoir tenté en vain d'expliquer à Marine et à ses conseillers que prôner la retraite à 60 ans était "une erreur". "C'est ridicule de demander la retraite à 60 ans alors que moi, à la tête du FN, pendant des décennies, je l'ai demandée à 65. J'étais en avance, encore que les Allemands sont aujourd'hui à 67 ans!", dit-il.
Jean-Marie Le Pen attaque indirectement le vice-président du parti, Florian Philippot, en dénonçant "l'influence nocive" de l'ancien ministre socialiste Jean-Pierre Chevènement dont le numéro deux du FN a été un partisan. "Il a les apparences d'un patriote alors qu'il est au fond un marxiste. L'influence chevènementiste, si elle continue de s'exercer, est nuisible", dit-il.
Concernant l'immigration, il craint fort que le scénario du dernier roman de Michel Houellebecq, "Soumission", imaginant l'élection d'un président musulman en France, ne devienne une réalité "si on n'inverse pas le torrent de l'immigration". "Il y a un million de Chinois en France. Ce sont des gens intelligents, actifs, discrets mais néanmoins puissants et redoutables", dit-il, redoutant à l'avenir une Chine "à trois ou quatre milliards d'habitants".
Jean-Marie Le Pen prône une entente avec la Russie "pour sauver l'Europe boréale et le monde blanc".
La semaine dernière, Jean-Marie Le Pen avait réitéré des déclarations sur les chambres à gaz, "détail" de l'Histoire, pour lesquelles il avait été condamné.
Rupture définitive
Le vice-président du FN, Florian Philippot, est lui aussi monté au créneau, affirmant, sur Twitter, que la "rupture politique avec Jean-Marie Le Pen est désormais totale et définitive" et que "des décisions seront prises rapidement", alors que le patriarche du FN souhaitait représenter le parti aux aux élections régionales dans le sud-est de la France.
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Louis Aliot, également vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, a, lui aussi, estimé mercredi que "les désaccords politiques" avec Jean-Marie Le Pen étaient "désormais irréconciliables" après l'entretien accordée par le fondateur du FN à Rivarol, "torchon antisémite".
Même son de cloche du côté du député proche du FN Gilbert Collard, qui a assuré que les ponts étaient désormais "rompus" avec Jean-Marie Le Pen. "Il fallait que le moment vienne et il est venu", a commenté l'élu du Gard étiqueté Rassemblement bleu marine (RBM). "Mais je sais depuis les déclarations dans Rivarol, journal condamné pour des propos antisémites et journal fondamentalement hostile à Marine Le Pen, au RBM à un point inconcevable et au FN, que Louis Aliot et tous les autres allaient adopter cette position d'irréconciabilité", a ajouté Me Collard. "Les ponts sont rompus".
Jean-Marie Le Pen doit-il quitter la présidence d'honneur du parti ? "Il devrait si le règlement intérieur et les statuts le permettent. Mais là, on est dans un carcan juridique sur lequel il faut travailler pour voir si on peut le desserrer". C'est en tout cas ce que souhaite le député qui ne "peut pas supporter qu'on fasse l'apologie de Pétain" et de son "régime criminel". (...) Je dois siéger à la commission d'investiture" et "je dirai ce que j'ai à dire et ne serai pas le seul", a-t-il martelé.
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LA LIBRE EXPRESSION
20 h 44, le 09 avril 2015