Rechercher
Rechercher

Liban - Souvenir

Jean-Paul II et le Liban : le fil marial

Jean-Paul II. Archives /AFP

Évoquer la figure de Jean-Paul II (dont nous avons commémoré hier la disparition), c'est ouvrir un chapitre de « l'histoire invisible » de notre guerre civile, à laquelle il fut étroitement uni. Cela permet de voir comment une trame sans doute « providentielle » s'est tissée dans l'épaisseur de nos actions quotidiennes, au fil des années, et comme à notre insu, pour le salut du pays.
Précisons que ce qu'on appelle « l'histoire invisible » est un concept familier à beaucoup de théologiens et d'historiens. Ainsi, le théologien H.H. von Balthasar montre comment, sous l'Ancien Testament, « Dieu châtie les ennemis d'Israël, mais il châtie aussi Israël par ses ennemis ». Parler d'histoire invisible, c'est donc confirmer que l'histoire réelle ne coïncide que rarement avec l'histoire événementielle. Dieu reste le Seigneur de l'histoire.

Beaucoup l'ont pensé – certains l'ont dit –, le Liban aurait pu tout simplement disparaître sous la pression des forces qui ont cherché à le déstabiliser, ou se désintégrer sous la pression des facteurs internes, notamment le caractère hétérogène de sa société, que certains ont habilement instrumentalisé.
Le fait que cet éclatement ne se soit pas produit est dû à un ensemble de causes. On a là un bel exemple de la manière dont plusieurs chaînes causales interagissent pour créer l'histoire et, dans ce cas particulier, pour empêcher le Liban de disparaître.

Il est intéressant de mettre en lumière, sur ce plan, le rôle joué par Jean-Paul II et la diplomatie vaticane. Nul n'a souligné plus fortement que le grand pape la vocation à l'unité des Libanais. Il l'a fait de façon répétée, insistant, à l'encontre même des aspirations de certaines forces politiques chrétiennes au Liban et de certaines tentations séparatistes, adressant aux Libanais message après message et faisant prier pour le Liban les évêques du monde entier.


(Lire aussi : Jean-Paul II, « l'athlète » de Dieu, tombeur du communisme)


À tous ceux qui s'interrogent sur ce qui a concrètement poussé Jean-Paul II à se pencher avec tant de constance sur le dossier Liban, voici le surprenant et émouvant témoignage de Gilberte Doummar.
Mère de famille, Mme Doummar fait partie du mouvement des Focolari, qui a représenté le Liban de longues années durant au Conseil pontifical pour l'apostolat des laïcs. « C'était en 1984 pour la première assemblée du Conseil pontifical pour l'apostolat des laïcs, se souvient-elle. Nous étions réunis dans la salle Clémentine. Le cardinal Pironio, alors président de ce Conseil pontifical, me présente au pape. Toute intimidée, je remercie ce dernier pour tout ce qu'il fait pour le Liban et il me dit : "Oui, le Liban est au centre de mes préoccupations, de mes prières."
Le soir même, je rencontre un ami de longue date du pape, l'écrivain Stephane Vilkanovitch, auquel je dis : "Le Saint-Père a un amour spécial pour le Liban. D'où lui vient-il ?" Il me répond : "J'ai rendez-vous avec lui ce soir. Je lui poserai la question."
Le lendemain, il me dit : "J'ai la réponse. La voici : quand, en octobre 1978, après son élection, il est sorti saluer la foule sur la place Saint-Pierre – et bien sûr, à l'époque, les calicots et banderoles étaient défendus –, un calicot est apparu subitement, sur lequel était écrit : Saint-Père, sauvez le Liban ! avant d'être prestement escamoté. Et, a dit le Saint-Père, ces mots lui sont entrés dans le cœur "comme un dard". À la fin des festivités, après avoir salué tout le monde, il est rentré s'agenouiller dans sa chapelle privée devant le Saint-Sacrement et il a demandé à Jésus "assez de vie pour pouvoir sauver le Liban". »
« De la petite histoire ? Sans doute. Il reste qu'on a là un bon exemple de la manière dont un simple geste peut infléchir le cours des événements !
« Dès 1978, Jean-Paul II avait déjà fixé pour objectif à la diplomatie vaticane d'empêcher l'éclatement du Liban. Et Dieu a non seulement donné assez de vie à Jean-Paul II à cette fin, il la lui a même sauvée, lors de l'attentat du 13 mai 1981.


(Pour mémoire : Celui qui voulait tuer Jean-Paul II met des fleurs sur sa tombe)



"Une main a pressé sur la gâchette, une autre main, une main maternelle, a guidé la trajectoire du projectile. Et le pape agonisant s'arrêta au seuil de la mort", raconte le cardinal Tarcisio Bertone, dans un ouvrage sur le pape.
N'allons pas croire, évidemment, que le pape est resté en vie seulement pour le Liban. Cette mission particulière s'insère bien entendu dans une trame globale aux dimensions du monde. Mais un monde dans lequel le Liban, aux yeux de Jean-Paul II, compte beaucoup.
Il n'est pas interdit, non plus, de croire que l'histoire du Liban ait croisé là, par un "invisible fil marial", celle des apparitions de Fatima, puisque l'attentat contre le pape, prédit en 1917 par Notre-Dame, se produisit en 1981 le jour de sa fête, et qu'en sauvant Jean-Paul II, Notre-Dame de Fatima sauva du même coup le Liban.
« Ce qui importait surtout au pape, souligne Gilberte Doummar, c'est l'unité du Liban. Il voulait que les chrétiens œuvrent pour l'unité du Liban. En 1987, après l'échec de la mission Silvestrini, très triste et avec un geste las de la main, il m'avait dit : "Priez, faites prier pour le Liban."

« En mars 1986, en effet, le Saint-Siège, sous l'impulsion du pape, avait lancé un plan de sortie de la guerre que le cardinal Achille Silvestrini, principale figure diplomatique du Vatican à l'époque, était chargé de mettre en œuvre. Mais le cardinal Silvestrini échoua "à opérer une brèche dans le mur érigé par la Syrie entre les Libanais et à réunir un sommet national islamo-chrétien", selon le journaliste Antoine Saad, qui en parle dans sa biographie du patriarche maronite Nasrallah Sfeir.
« Auparavant, le Vatican s'était employé, en vain, à empêcher l'armement des milices chrétiennes, estimant que les "voies de la paix" étaient préférables à celles de la violence.
« Quand Jean-Paul II a déclaré le Liban "pays-message", il voyait d'un regard prophétique ce que pouvait donner le Liban, le rayonnement, la mission très grande qu'il pouvait avoir. Le Liban est fait pour l'unité. Le pape avait le don de voir ce que nous ne voyons pas », conclut Gilberte Doummar.

Jean-Paul II finira par atteindre, en partie, son objectif. Il convoqua une assemblée spéciale du synode des évêques sur le Liban. Celle-ci se tint en octobre 1995. Ce fut une véritable effusion de l'Esprit. Les personnalités musulmanes invitées au synode, qui dînèrent alors à la table de Jean-Paul II, s'en souviennent encore avec émotion. Deux ans plus tard, en 1997, la publication de l'Exhortation apostolique Une espérance pour le Liban, consacra, contre vents et marées, sa vision pour notre pays. Beaucoup de chrétiens et de musulmans se sentirent interpellés par cette charte spirituelle, attirés à ce banquet de l'histoire.
« Pour les chrétiens, épilogua le chercheur Fadi Daou, fondateur de l'association Adyan, c'était passer d'une phase où ils s'étaient conduits comme si le Liban leur appartenait à une phase où le Liban, partie de leur identité, devenait un message à transmettre, un projet à faire advenir, un modèle à servir. »

 

Lire aussi
Jean-Paul II, François : deux papes, deux siècles, un message

Pour mémoire
Sur la place Saint-Pierre, les jeunes Libanais ont célébré le « pape des jeunes »

Évoquer la figure de Jean-Paul II (dont nous avons commémoré hier la disparition), c'est ouvrir un chapitre de « l'histoire invisible » de notre guerre civile, à laquelle il fut étroitement uni. Cela permet de voir comment une trame sans doute « providentielle » s'est tissée dans l'épaisseur de nos actions quotidiennes, au fil des années, et comme à notre insu, pour le...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut