Le Yémen va servir de facto de laboratoire à une force militaire conjointe dont le projet de création, initialement proposé pour combattre la menace jihadiste, promettait des débats animés au sommet de la Ligue arabe prévu demain en Égypte.
En effet, jusqu'à l'intervention conduite hier par l'Arabie saoudite contre les rebelles chiites houthis, avec la participation de « 10 pays » selon Riyad, le projet était présenté par la Ligue comme celui d'une force destinée à « combattre les groupes terroristes », en réalité l'organisation État islamique (EI).
Les experts n'accordaient que peu de chance à cette force de voir le jour rapidement, en raison des divisions entre les États arabes. Toutefois, les chefs de la diplomatie arabes réunis hier soir en Égypte ont approuvé le projet de force militaire conjointe, selon le secrétaire général de la Ligue arabe et le ministre égyptien des Affaires étrangères. Ce dernier a précisé que le texte final allait être soumis au sommet de la Ligue arabe.
Mais contrairement aux pronostics, ce n'est pas le groupe extrémiste sunnite, multipliant les atrocités en Irak et en Syrie et gagnant du terrain en Libye et dans le Sinaï en Égypte, qui a précipité l'agenda de l'organisation panarabe ce week-end. C'est plutôt le risque de voir le grand ennemi chiite iranien, principal soutien des houthis, d'étendre son influence dans la région jusqu'au détroit stratégique de Bab al-Mandeb en mer Rouge, au sud-ouest du Yémen, qui pourrait entériner la création d'une force militaire conjointe.
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Le besoin d'une force commune avait été défini comme « pressant » par la Ligue arabe qui en faisait le projet phare de son sommet samedi et dimanche à Charm el-Cheikh. L'Égypte – qui dispose de l'armée la plus nombreuse et parmi les mieux armées du monde arabe – s'affiche comme le fer de lance de cette exigence, en pressant sur la Libye voisine comme terrain d'essai, où l'EI menace sa frontière occidentale.
Depuis qu'il a envoyé ses avions de combat bombarder en février les positions de l'EI en Libye pour venger la décapitation d'Égyptiens coptes, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi est le chef d'État qui pousse le plus pour une force arabe unie contre le groupe jihadiste. L'ex-chef de l'armée, élu après avoir destitué l'islamiste Mohammad Morsi en 2013 et réprimé dans le sang les Frères musulmans qui inquiètent aussi les monarchies du Golfe, présidera le sommet arabe.
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« Influence grandissante de l'Iran »
Mais des obstacles persistants – notamment les éternelles dissensions entre les 22 membres de la Ligue – risquaient de tuer dans l'œuf cette initiative, estimaient des experts. « Même si le Yémen est maintenant le terrain d'une manœuvre militaire arabe, peu d'éléments suggèrent que cela va conduire à quelque chose de plus permanent », met en garde H. A. Hellyer, de la Brookings Institution, un think-tank basé à Washington.
Si la nécessité d'une force arabe semble ne plus faire débat après l'intervention au Yémen, il n'en va pas forcément de même pour ses objectifs.
Oraib al-Rentawi, directeur du centre al-Qods pour les études politiques, estime que la priorité de l'Arabie saoudite reste de « faire face à l'influence grandissante de l'Iran dans la région », tandis que l'Égypte et la Jordanie veulent « lutter contre le terrorisme ». Et l'Iran, « qui est partie prenante du conflit en Syrie et gagne en influence en Irak et au Yémen, pourrait être agacé par une telle force », explique Mohammad al-Zayat, du Centre national pour les études du Moyen-Orient.
Sa composition également reste floue. « Les Émirats et l'Arabie pourraient fournir des avions », estime Aaron Reese, de l'Institute for the study of war basé à Washington, précisant que « les Jordaniens sont réputés pour leurs forces spéciales » et « les Égyptiens, bien sûr, ont l'effectif le plus important ». « L'armée égyptienne formerait la colonne vertébrale de cette force arabe », renchérit Mathieu Guidère, professeur de géopolitique arabe à l'université de Toulouse (France), soulignant les récentes acquisitions du Caire en matière d'armement, notamment l'achat d'avions Rafale à la France.
Outre le Yémen, la question de cette force arabe est cruciale car la coalition internationale antijihadistes menée par les États-Unis se contente de bombarder l'EI en Irak et en Syrie depuis les airs quand les experts estiment qu'il faudrait combattre au sol pour l'emporter. M. Guidère estime que les Occidentaux pourraient voir d'un bon œil cette initiative puisque « c'est la seule chance de mettre en place une force qui fasse le travail à leur place ».
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21 h 33, le 28 mars 2015