Difficile de se départir de cette habitude d'être là, à partir de 6 heures trente et jusqu'à 15 heures, qu'il pleuve, qu'il vente. Tempêtes, canicules, temps de guerre et de paix, naissance de ses jumelles, son fiston puis sa toute dernière, ou décès de grands responsables politiques. Aujourd'hui, c'est sans son chariot que Ali retrouve sa Corniche. C'est étrange de le voir ainsi, seul, assis sur un banc, loin de son «point de vente», point de rassemblement près de Derwandé, où l'ont toujours rejoint les habitués. Inattendu qu'il ne soit pas en pleine action, entouré de clients, sportifs, passants, qui viennent s'abreuver auprès de lui. L'habitude, comme une addiction, il n'a pas pu la perdre. C'était un peu comme perdre sa raison de vivre. Son chariot, compagnon de vie depuis 30 ans, peint, repeint tellement de fois, a été brisé, tout comme ses rêves, tout comme son gagne-pain. «J'en ai racheté un, pour le jour où...», confie-t-il sans trop y croire. Assis sur un banc, face à la mer d'où son regard a longtemps puisé une lumière, l'homme, 43 ans au compteur, est triste. Seul. Et surtout démuni. Mais en l'obligeant à abandonner son métier, et surtout cet espace de vie qui le rendait heureux, c'est la Corniche qui se sent à présent désertée. Avec Ali et tous les vendeurs qui trimballaient leurs chariots et leur sourire en proposant du foul, du café ou du termos, ce sont toutes les couleurs de ce melting-pot que la Corniche finit par perdre. Tous ses repères et son charme.
Une douce addiction
Ali Hammoud, fils de Hussein, aujourd'hui à la retraite, a grandi à l'ombre rafraîchissante du chariot de son père, qui faisait lui-même ce métier. Vendeur de jus, d'oranges exclusivement, à Zeitouné. Cette enfance simple, sportive, rassurante, lui a fait aimer la profession. «Nous étions 9 enfants, confie-t-il. On vivait bien.» Avant d'apprendre à écrire, il savait déjà presser des oranges et parler aux clients. Dans les années 90, père et fils se déplacent vers la Corniche. Zeitouné en voie de disparition n'est plus alors qu'un vague souvenir. Une nostalgie. Un regret. La roue tourne, le temps passe, mais pas sur ses gestes. Les mêmes, qu'il fait et refait, une cinquantaine de fois par jour, lorsque de ses bras musclés de marin il presse ses oranges fraîches, qu'il les sert et les offre à ses clients, presque tous des habitués. «J'ai vu la Corniche changer, se métamorphoser. Je me souviens de Aïn el-Mreissé, sauvage, du bord de mer brut qui n'était que blocs de béton.» Ali reconnaît également les visages, «un à un», les couples qui reviennent en famille, les jeunes qui ont grandi. Les coureurs acharnés, ces formidables marathoniens qui lui offrent la plus belle journée de l'année, et à qui il est indispensable. Les sportifs en herbe, les promeneurs du dimanche, les employés qui travaillent dans le coin et viennent s'échapper de leur routine quelques instants. «Ils sont tous très aimables.» Eux aussi l'ont, pour la plupart, accompagné au gré des années, au rythme des saisons qui modifient les habitudes et le paysage. «Les gens sont fâchés de ne plus me voir, fâchés pour moi et pour eux. Je suis un homme bon, discret, je n'ai jamais eu de problèmes, aucun conflit avec personne.» Mais Ali, comme d'autres, a dû se plier aux nouvelles réglementations. Son permis de travailler dans ces lieux a été suspendu depuis 6 mois. Et depuis 6 mois, les passants le cherchent et le regrettent. «Ils ne cessent de me demander quand je reviens.» Au chômage, en manque de ressources, il se désespère, sans vraiment comprendre que rien ne puisse être fait pour lui permettre à nouveau de faire son métier. Le seul qu'il sait faire. «J'étouffe, dit-il. Cette loi est trop dure. J'ai besoin de travailler, je suis prêt à me plier à toutes les conditions mais qu'on me laisse revenir...».
En attendant une intervention divine ou celle d'autorités influentes, Ali revient tous les matins respirer cet air iodé. Même s'il ressemble à présent à de l'amertume.
Avec toutes les allégations sur la propreté et la toxicité des aliments, la sécurité alimentaire doit demeurer une top priorité pour le gouv. Il ne faut pas permettre les exceptions!!!! et non merci! fini les infections bactériennes.
15 h 21, le 27 mars 2015