Contre vents et marées, déclarations incendiaires et ripostes musclées, le dialogue entre le Hezbollah et le courant du Futur devrait se poursuivre. Une huitième séance est prévue aujourd'hui à Aïn el-Tiné, même si les deux délégations devraient échanger quelques reproches, après les virulents échanges du week-end. L'ordre du jour reste toutefois inchangé, axé essentiellement sur la stabilité et les meilleurs moyens d'apaiser les tensions confessionnelles.
L'alerte a pourtant été chaude. C'est surtout le discours de l'ancien Premier ministre Fouad Siniora, lors de la réunion élargie du 14 Mars, samedi, qui a mis le feu aux poudres. Selon des sources du 8 Mars, Fouad Siniora a développé grosso modo trois thèmes : les critiques adressées au Hezbollah, celles visant le régime syrien et celles contre l'Iran, accusé de créer un empire. Ces mêmes sources reconnaissent que le chef du courant du Futur, Saad Hariri, n'avait pas non plus été tendre avec le Hezbollah et sa participation aux combats en Syrie, ni avec le régime syrien, dans son discours du 14 février. Mais les critiques de cheikh Saad n'avaient pas remis en question la décision de poursuivre le dialogue avec le Hezbollah et elles semblaient plutôt destinées à la consommation interne du 14 Mars.
La perception à l'égard des critiques de Fouad Siniora est différente. Les sources proches du 8 Mars sont convaincues que ce dernier est, depuis le début, hostile au dialogue. Elles relèvent que lorsqu'il s'était rendu à Aïn el-Tiné, avec Nader Hariri, avant l'ouverture du dialogue entre le Hezbollah et le courant du Futur, il avait été très négatif, alors que Nader Hariri s'était montré plus souple. C'est donc sans son aval que cheikh Saad avait donné son feu vert à l'ouverture du dialogue, prenant soin de désigner, pour mener ce dialogue, des figures considérées comme modérées, comme Nader Hariri, bien sûr, mais aussi le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, et le député Samir Jisr.
Au cours des sept séances qui ont déjà eu lieu, ce dialogue a montré sa solidité, résistant à toutes les critiques, et même aux développements, notamment la riposte du Hezbollah à l'attaque israélienne dont il avait été la cible à Kuneïtra, en Syrie. À chaque fois, les observateurs se demandaient si le dialogue survivrait à ces secousses et, à chaque fois, la réunion se déroulait dans une atmosphère de détente et de franchise qui démentait les pronostics pessimistes.
Malgré cela, Fouad Siniora et ceux qui sont considérés comme « les faucons » du courant du Futur n'ont jamais raté une occasion de critiquer ce dialogue. Il y a même un climat au sein du courant du Futur qui estime que ce dialogue est en faveur du Hezbollah, qui obtient tout ce qu'il désire sans faire la moindre concession en contrepartie. Cette tendance, alimentée par des figures de proue de la formation haririenne, est en train de faire croire à la rue sunnite que le Hezbollah s'est lancé dans ce dialogue pour avoir la paix à l'intérieur du pays et pouvoir ainsi se consacrer aux combats en Syrie. Ainsi, le courant du Futur aura cédé sur le plan de sécurité à Tripoli, sur les arrestations multiples dans les rangs sunnites, sur l'évacuation du bâtiment B à la prison de Roumieh, etc, sans obtenir en contrepartie qu'un vague feu vert pour un plan de sécurité « folkorique » dans la Békaa.
La frustration est en train de prendre de l'ampleur dans la rue sunnite pour plusieurs raisons. D'abord, l'absence de Saad Hariri, figure de proue « de l'islam modéré », ensuite le fait que cette absence prolongée a ouvert la voie à la multiplication des influences internes et externes au sein du courant du Futur. Il y a ainsi des groupes proches du Qatar, d'autres de la Turquie, d'autres encore du Koweït, des Émirats et de l'Arabie saoudite. Toutes ces tendances sont en lutte entre elles pour gagner le plus de sympathisants dans la rue sunnite. Enfin, à tous ces tiraillements, il faut ajouter un phénomène nouveau qui se résume ainsi : les différents pôles au sein du courant du Futur ont le sentiment que cheikh Saad n'a plus la position privilégiée, au cœur du pouvoir saoudien, qu'il avait du temps du roi Abdallah. Certaines figures estimeraient donc que c'est le bon moment pour offrir en quelque sorte leurs services et se présenter comme une alternative possible à M. Hariri auprès des dirigeants saoudiens, sachant que des quotidiens arabes liés à ces derniers ont affirmé que le roi Selmane souhaiterait diversifier ses alliés sunnites au Liban.
C'est dans ce cadre que les sources du 8 Mars placent les propos agressifs de Fouad Siniora samedi et c'est aussi pour couper court à une tentative éventuelle de faire de la surenchère contre le Hezbollah pour attirer les offres provenant d'Arabie saoudite que ce camp a décidé de répondre. Le chef du bloc de la Résistance, hajj Mohammad Raad, a ainsi déclaré qu'il ne servait à rien de dialoguer tout en multipliant les critiques contre le Hezbollah, et le président de la Chambre Nabih Berry a aussi évoqué « les Daech politiques de l'intérieur ». Le tandem chiite a donc voulu adresser deux messages au courant du Futur. Le premier consiste à lui rappeler que quelles que soient ses considérations internes, le courant du Futur ne peut continuer à agresser verbalement le Hezbollah et prétendre en même temps poursuivre le dialogue avec lui, sachant que depuis le début, les deux parties se sont entendues pour mettre de côté les grands sujets conflictuels. Deuxièmement, le Hezbollah n'est pas aussi avide de mener ce dialogue que le croient certains au sein du Futur. Il n'est pas coincé au point d'en avoir besoin pour pouvoir continuer à se battre en Syrie. Mais il reste convaincu de son utilité, même s'il ne veut pas faire les frais des tiraillements internes au courant du Futur.
Liban - Décryptage
Le dialogue, malgré tout !
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 18 mars 2015 à 00h00
Bientôt ils déguerpiront la queue entre les jambes, ces Martiens Malsains en 8 !
15 h 13, le 19 mars 2015